• Le leader états-unien face à de nouvelles problématiques

     

    La fin de la Guerre Froide, soldée par la victoire états-unienne face au bloc communiste, a marqué, selon certains, la « fin de l’histoire ». Mais, au lieu de fin de l’Histoire, s’en est plutôt une autre qui commence, celle d’un Etat qui fait face à un monde multipolaire et à un foisonnement de nouvelles problématiques, mettant son statut de leader à l’épreuve. Dans le contexte de la mondialisation, la politique intérieure et la politique extérieure des Etats-Unis se voient profondément réorientées, redéfinissant la place des USA dans l’ordre mondial.

     

    Politique intérieure et immigration aux Etats-Unis

    Le statut particulier des immigrants

                Selon les observateurs, les Etats-Unis compteraient 11 millions d’immigrants illégaux (undocumented aliens) résidants sur le territoire américain (soit plus de 3.5 % de la population totale), dont 2/3 seraient hispaniques selon le Census Bureau. Il a été également démontré que l’immense majorité de ces immigrants illégaux travaille et paye des impôts (sur le revenu, sur les achats, sur la propriété). Cette situation semble, pour nous Français, paradoxale : comment des résidents en situation irrégulière peuvent-ils payer des impôts ?  A la différence de la France, les taxes aux USA sont appliquées à la source, c’est-à-dire directement sur le salaire avant qu’il ne soit versé par l’employeur.

                Le sujet devient problématique lorsque l’on aborde la question des contrôles d’identité. L’assemblée de l’Arizona, Etat du Sud très conservateur, a voté la mise en place de dispositions afin d’établir un profilage de l’immigré illégal. Ont notamment été retenus comme critères le style de vêtement, la fréquentation de certains magasins, la gastronomie, et les pick-up noirs roulant à grande vitesse. Les individus remplissant ces conditions sont susceptibles d’être appréhendés et contrôlés. L’assemblée de l’Arizona a ainsi délégué à la police de l’Etat le pouvoir de contrôler les individus suspectés. Or, la Constitution fédérale interdit ce genre de vérification : ne peut être contrôlé qu’un individu suspecté d’un délit ou d’un crime autre que le franchissement illégal de la frontière.

                En somme, les immigrés clandestins aux USA sont dans une situation tout à fait originale : ils travaillent, payent des impôts, ont un permis automobile, des enfants qui vont à l’école, mais ils ne peuvent légalement pas être contrôlés, à moins que quelqu’un les dénonce ou qu’ils soient suspectés d’avoir participé à un crime ou délit. Cependant, ils n’ont pas le droit de vote.

     

    Le poids électoral de la communauté hispanique

                La communauté hispanique aux USA, de 53 millions d’individus, soit 17 % de la population, a un impact électoral très important, notamment parce qu’elle est implantée dans des Etats d’importance politique majeure tel que la Californie, qui compte 55 grands électeurs sur 538 (1/10ème). Néanmoins, contrairement aux afro-américains qui ont un comportement électoral prévisible (90 % votaient pour Obama en 2012), le vote hispanique est particulièrement volatile, et ce pour 2 raisons :

    -la communauté hispanique est très peu inscrite sur les listes électorales, elle constitue donc une nouvelle ressource d’électeurs potentiels.

    -une enquête sociologique s’est efforcée de montrer que le premier vote est déterminant en termes d’orientation politique pour les élections futures.

    Pour ces raisons, les hispaniques constituent un enjeu électoral majeur pour les candidats aux élections qui peuvent « puiser » dans cette nouvelle ressource de primo-électeurs qui, une fois leur premier vote acquis, seront des appuis fidèles.

                Par ailleurs, le vote hispanique est confronté à un dilemme moral et économique. Il est souvent orienté démocrate, puisque, appartenant majoritairement à la classe socio-économique la plus basse, les hispaniques souhaitent bénéficier au maximum des aides de l’Etat-Providence. Ce facteur économique, associé à la stigmatisation des hispaniques par les Républicains, qui apparaissent réellement comme le parti « ennemi » des hispaniques, contribuent à orienter leur vote vers le Parti Démocrate. Toutefois, ce vote est susceptible de désalignement et de réalignement en raison du fort conservatisme de ces mêmes hispaniques en termes de mœurs. En effet, les familles hispaniques, souvent très catholiques et conservatrices dans les moeurs, s’identifient de ce point de vue au Parti Républicain. La communauté hispanique se trouve donc face à un dilemme original entre un vote démocrate motivé par leurs intérêts économiques, et un vote républicain influencé par la morale et les croyances personnelles.

     

    Projets de loi et réformes structurelles

                Les dernières réformes structurelles en matière d’immigration datent du début du XXème. Le National Origin Act, de 1924, stipule que les populations étrangères ne peuvent immigrer sur le territoire états-unien qu’au nombre maximum du quart de la nationalité ou ethnie déjà présente à cette date.

    La dernière réforme est celle de 1964, relative aux droits civils. Aujourd’hui, c’est le DREAM Act qui est discuté aux USA : il souhaite régulariser les individus entrés illégalement sur le territoire lorsqu’ils avaient strictement moins de 16 ans. Ce projet de loi, qualifié de « path to citizenship », concernerait tous les individus remplissant cette première condition ainsi que les suivantes : payer des impôts, posséder un diplôme du lycée, avoir suivi des études supérieures pendant au moins 2 ans ou avoir servi 2 ans au moins dans l’armée américaine, ne pas être impliqué dans un crime. Les individus remplissant l’ensemble de ces conditions obtiendraient une carte de séjour temporaire, qui, après 6 ans, si les 2 années supplémentaires d’enseignement supérieures ont été effectuées (ou 2 ans d’armée supplémentaires), se transformerait en une carte verte, octroyant le droit à son possesseur d’acquérir à terme la citoyenneté américaine, le droit de résidence à vie, le droit de vote, ainsi que la possibilité d’un regroupement familial. Ce projet a cependant été rejeté en 2010. Obama avait alors émis un executive order visant à bloquer la possible reconduite à la frontière d’immigrants illégaux.

                De plus, les USA appliquent un droit du sol strict. En Virginie par exemple, qui possède des universités publiques d’excellence (University of Houston, University of Virginia), les individus in-state payent leur enseignement à la hauteur de 8 000 $ tandis que les out-state, les résidents illégaux, payent eux 32 000 $. C’est pourquoi l’Etat a accordé le droit aux immigrants qui ont toujours vécus aux USA et qui y ont fait toutes les études d’obtenir la citoyenneté américaine et donc d’accéder à des coûts scolaires moindres.

                Cependant, Le DREAM Act ne concerne qu’une petite minorité d’individus, c’est pourquoi certains politiques demandent son intégration dans une réforme de plus grande ampleur. Cette réforme, c’est le Border Security Economic Opportunity Immigration and Modernisation Act, qui est passée au Sénat (à majorité démocrate) mais est restée bloquée à la chambre des représentants (à majorité républicaine) jusqu’au 27 juin 2013. Son adoption définitive n’est cependant pas encore actée. Elle a vocation à redéfinir la place des immigrants illégaux aux USA et à repenser l’immigration selon le renforcement de la surveillance des frontières. Elle ne remettrait pas en cause l’interdiction de reconduire des individus à la frontière (sauf pour certains individus traversant sans arrêt la frontière mexicano-américaine en fonction du climat et des récoltes) mais donnerait la possibilité de délivrer des visas temporaires pour certains travailleurs (dans l’agriculture notamment) et mettrait en place un système d’immigration choisie, comme cela est le cas avec le reste du monde. En d’autres termes, les USA auraient la possibilité d’ouvrir grand leurs portes aux travailleurs très qualifiés ou rares et de la fermer aux travailleurs possédant moins de compétences.

                Enfin, cette réforme prévoit également le financement du système informatique E-verify, qui faciliterait la vérification, pour les employeurs, du statut légal ou non de leurs employés. Cela rendrait donc les entreprises responsables, ce qu’elles ne veulent pas, et cela aurait pour conséquence finale la hausse du coût du travail et in fine du coût de la vie. On peut ainsi prendre l’exemple de l’Arkansas, dont l’économie repose essentiellement sur les entreprises d’abattage de poulets. Or il a été montré que moins de 1 % des individus employés dans ces usines sont blancs. Les entreprises devront donc augmenter les salaires des ouvriers en situation illégale, très souvent traités inégalement en termes de salaire.

     

     

    Les inflexions de la politique extérieure des Etats-Unis

    Le dossier épineux de Guantanamo

                Guantanamo est une prison située dans une base militaire américaine à Cuba. Implantée dans une zone louée par les USA (bail emphytéotique), elle accueille environ 160 prisonniers, anciens membres d’organisations terroristes. On peut distinguer plusieurs raisons de leur détention dans cette prison, pouvant s’entrecroiser :

    - aucun pays n’a voulu les accueillir

    - un pays souhaite en accueillir certains pour les juger et souvent pour les exécuter

    - les informations révélées par les prisonniers sous la torture ne sont pas légalement recevables.

    Guantanamo étant située dans une base militaire, elle est sous la juridiction des tribunaux militaires américains. Il est impossible de juger ces individus devant un tribunal civil en l’absence de preuves obtenues légalement, car cela reviendrait à révéler des secrets d’Etat ou à compromettre certains services de renseignement.

    Par ailleurs, le Congrès a refusé à plusieurs reprises de voter les crédits nécessaires à la construction d’une prison de haute sécurité sur le territoire américain dans le but d’accueillir les prisonniers de Guantanamo, malgré la demande d’Obama qui souhaite que des procès soient conduits par des cours civiles. Obama est en fait juridiquement dans l’impasse. Les prisonniers de Guantanamo ne peuvent pas être transférés sur le sol américain en raison de l’absence de prisons spécialisées et de, et seraient, si c’était le cas, sûrement relâchés au vu de l’inexistence de preuves légales. Enfin, on peut se demander si le Congrès n’a pas dans cette affaire un intérêt caché, en maintenant les prisonniers sur un territoire considéré par les américains comme cubain, où les droits juridiques sont bien moindres. Les juristes internationaux sont aujourd’hui dans l’incapacité de définir le statut de ces prisonniers qui apparaissent comme de véritables Objets Juridiques Non-Identifiés.

     

    La politique extérieure et le cas particulier de l’Amérique Latine 

                Le récent accord sur le nucléaire iranien est absolument historique, lorsque l’on sait que le dernier accord entre l’Iran et les USA date de 1979. Cet accord, associé au projet de retrait complet des militaires américains en Afghanistan en 2014, marque en quelque sorte la fin de l’unilatéralisme rigide des USA, qui se désengagent progressivement du Moyen-Orient. Cependant, cette inflexion de la politique extérieure américaine n’induit pas un réalignement sur les problématiques de l’Amérique Latine. Deux dossiers majeurs mériteraient pourtant que les USA usent de leur capital politique :

    -Cuba et la question de l’embargo. Faut-il lever ou non ? Le gouvernement américain semble à priori axée sur une réponse négative, considérant l’embargo comme un facteur de stabilité politique. De plus, lever l’embargo serait une reconnaissance explicite de l’inefficacité de cette arme pour faire tomber le gouvernement cubain actuel. A la fois, les USA espèrent, et ce depuis sa mise en place en 1962, que l’embargo va faire imploser le régime cubain et à la fois ils constatent avec plaisir qu’il est un facteur de stabilité politique, et donc n’est plus réellement un problème. Pourtant, le régime de Cuba utilise cet embargo comme ciment politique : il mobilise la population autour d’une politique anti-américaine et anti-impérialiste.

    -Le Mexique et l’ALENA. Le Mexique représente 1 000 milliards de $ dans le cadre des échanges de l’ALENA (USA, Mexique, Canada). La transition économique vers la co-production (maquiladoras notamment) qui est en cours entre les USA et le Mexique est toutefois retardée par l’impossibilité du Mexique de stabiliser sa société civile. En effet, les cartels sévissent dans le pays et font chaque année quelque 11 000 morts. Les USA auraient ainsi intérêt à adopter une politique d’aide économique massive (crise) ainsi que d’aides pour la lutte contre les cartels, mais ils n’en ont ni les moyens ni la volonté politique. Cela pourrait passer notamment par l’intensification de la lutte contre le trafic de stupéfiants  en provenance d’Amérique Latine et particulièrement du Mexique.

                En outre, la politique extérieure américaine se désengage peu-à-peu du Moyen-Orient et adopte la stratégie du Light Footprint suite à l’engagement en Afghanistan en 2001 qui constitue la guerre la plus longue menée par les USA (suivie par l’engagement en Irak). Cette stratégie consiste à refuser ou éviter l’engagement militaire massif et au recours à des techniques plus « subtiles » telles que les drones, la cyber-guerre et les forces spéciales. Parallèlement, depuis une quinzaine d’années, les pays asiatiques se sont tant développés et ont pris une place si importante dans le commerce et la stratégie mondiale que la politique extérieure américaine s’est repositionnée en fonction de ce nouveau pivot (Asia rebalancing). Par ailleurs, les analystes prévoient l’indépendance énergétique des USA d’ici 2 à 3 ans, et même la capacité d’exporter des hydrocarbures à l’étranger. Ce point est essentiel pour expliquer le désengagement des USA du Moyen-Orient, et mériterait d’être plus amplement approfondi.

     

     

    CONCLUSION

    Tandis qu’en matière de politique extérieure, le Président américain semble tout-puissant, à l’intérieur du pays il n’arrive pas à concilier la problématique de l’immigration et de l’Etat-providence avec le National Security State, remplacé en 2001 par le Patriot Act. L’immobilisme états-unien en ce qui concerne les questions relatives à l’Amérique Latine s’explique par la focalisation alternée des USA sur l’Europe, l’Asie, ou le Moyen-Orient, suivant le cours des événements, ce qui relègue continuellement l’Amérique du Sud au second plan de ses préoccupations.

     

    T. Blanc

    Article indépendant. Reproduction interdite

    Questions d'Orient - Le 18 décembre 2013


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  • Iran:

    Levinson était un agent contractuel de la CIA

     

    Cheveux blancs et longs, barbe hirsute mal taillée...cette photo d'un homme en tenue orange et semble-t-il en posture d'otage est revenue au gout du jour. Qui est cet homme âgé portant une pancarte tel un condamné à mort avant l'exécution?

    C'est une énigme de dix ans qui vient d'être résolue grâce à la bonne foi de la CIA qui a reconnu la véritable identité de cet homme. Robert Levinson a disparu en 2007 sur l'île iranienne de Kish. C'est un ancien agent du FBI mais rien de plus n'avait vraiment été officialisé. En réalité cet homme est un indic de la CIA, embauché par une certaine Anne Jablonski. A 59 ans, le profil de cet enquêteur privé et ancien de la maison fédérale intéresse les hommes de Langley qui bossent sur les circuits financiers illicites. 

    Alors embauché pour des rapports, Levinson informe ses patrons qu'il connait un homme dénommé Dawoud Salahudin. Il serait américain mais introduit dans le système iranien suite à une poursuite de Washington. Il serait aussi un grand connaisseur des circuits de corruption de la République Islamiste d'Iran. L'affaire semble intéressante. 

    Le 9 mars 2007, Levinson quitte son hôtel de Kish et monte dans un taxi direction inconnue mais rencontre avec Salahudin assurée...ou presque. On ne reverra jamais l'agent. 

    Les services américains ont présenté cela comme la disparition d'un ressortissant en territoire ennemi lors d'un voyage privé. Toujours est-il que des bruits étaient montés du coté des amateurs et connaisseurs des services secrets...étrange affaire leur semblaient-ils. 

    Mais tout était passé. En 2010, la famille avait reçu une preuve de vie, la dernière à ce jour mais les autorités américaines ont immédiatement acheté leur silence pour la modique somme de 2.5 millions de dollars. En échange de la somme, les membres de la famille se sont engagés aussi à ce qu'aucune poursuite ne puisse être déclarée ce qui pourrait ébruiter l'affaire. Les Etats-Unis sont dans une ligne stratégique claire: l'Iran est l'Axe du Mal et doit le rester sans que personne ne puisse savoir que la CIA y fait son petit bonhomme de chemin

    Mais pourquoi autant de précautions de la part de la CIA? Tout simplement parce que jusqu'à peu encore, personne n'était au courant de la véritable identité de l'homme...pas même la Maison Blanche ou sa maison-mère, le FBI. Levinson représentait encore il y a quinze jours, l'otage détenu le plus longtemps de l'histoire du pays. 

    L'Agence américaine aurait commis de graves erreurs de coordination et d'action. L'opération n'avait pas été déclarée et encore moins approuvée par la hiérarchie et personne n'était vraiment au courant des contacts et des rapports de Levinson depuis Kish pour Jablonski. 

    Cette dernière, ainsi que 9 membres de son équipe ont écopé de lourdes sanctions disciplinaires ou bien ont été poussés gentiment vers la sortie sans pot de départ. Alors la CIA a alerté la Maison Blanche, le Congrès et le FBI. 

    "L'enquête sur la disparition de M. Levinson se poursuit et nous sommes tous déterminés à le ramener sain et sauf à sa famille" a déclaré la porte-parole du Conseil de sécurité nationale, Caitlin Hayden. Pourtant, l'administration américaine a été doublement surprise, déjà d'apprendre l'identité de Levinson en retard puis de voir apparaître l'affaire dans les médias. Cela n'a guère plu, semble-t-il à l'administration Obama. 

    Maintenant que l'Iran pourrait être revenu sur une voie plus pacifique, peut-être peut-on espérer voir rentrer à la maison, un agent officiel de la CIA, même si les termes paraissent oxymoriques. Fin août, John Kerry, secrétaire d'Etat a demandé à Hassan Kahoni et à Téhéran de l'aide pour parvenir à retrouver Levinson. Sur CNN, en septembre, Rahoni a avoué ne pas savoir où pouvait être l'homme. 

    On ne sait si l'agent est encore en vie et ce qu'il a pu se passer depuis cette journée du 9 mars 2007 mais depuis que l'information a été diffusée par la CIA vers la Maison Blanche puis ensuite par les médias, le cas de l'agent est au centre de toutes les préoccupations. Dès le  premier coup de fil historique entre Kahoni et Obama, ce dernier avait déjà évoqué le cas de l'agent. 

    Autant dire que maintenant, la CIA doit recoller les bouts du puzzle pour retrouver son homme, un puzzle déballé il y a 7 ans et dont les pièces sont très très fines... 

     

    Questions d'Orient/ Le 16 décembre 2013


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  • Syrie:

    "le meilleur scénario de la crise" serait une victoire d'Al-Assad

     

    L'affirmation paraît un petit choquante, abérante peut-être alors qu'il y a quelques mois, les Etats-Unis proposaient des frappes militaires contre le régime. D'autant plus que c'est Micheal Hayden, chef de la NSA de 1999 à 2005 puis de la CIA de 2006 à 2009 qui a déclaré craindre la dissolution de l'Etat syrien. 

    La victoire de Bachar al-Assad, président syrien, est selon lui, "le meilleur de trois très, très horribles scénarios". Il fallait oser, il l'a fait. Même si nous n'en sommes pas encore à dire que cette victoire serait une libération, les puissances occidentales pourraient commencer à reconnaître l'absurdité de la gestion de la crise par la rébellion. D'ailleurs, aucun des trois scénarios de la crise n'envisage une victoire rebelle. 

    Pour Hayden, la situation actuelle devient chaque jour "plus actroce" et selon lui, l'actuel scénario très envisagable serait une dissolution totale du pays en une multitude de petits entitées rebelles...un vrai petit royaume de taifas face à la reconstruction d'un pays en ruine et martyrisé. 

    Placé face à au groupe de réflexion Jamestown Foundation, c'est lors d'une conférence sur le terrorisme que Hayden a expliqué les conséquences que cela aurait sur la géopolitique du monde oriental: "Cela signifie aussi la fin (des frontières dessinées en 1916 lors des accords franco-britanniques) de Sykes-Picot. Cela entraînerait la dissolution des Etats artificiellement créés dans la région après la Première Guerre mondiale".
    "Je crains fort la dissolution de l'Etat syrien. Cela provoquerait la naissance d'une nouvelle zone sans gouvernance, au croisement de la civilisation", a-t-il lâché.

    Hayden a déclaré que "La narration, l'histoire dominante de ce qui se passe en ce moment en Syrie est la prise de contrôle par des fondamentalistes sunnites d'une partie significative de la géographie du Moyen-Orient". "Cela signifie l'explosion de l'Etat syrien et du Levant tel que nous le connaissons". Les Etats irakiens, jordaniens et libanais seraient aussi touché. 

     

    Cela intervient dans une phase très critique pour l'ASL (Armée Syrienne Libre). Cette semaine, Washington et Londres ont porté un nouveau coup dur à la rébellion en suspendant leurs aides non létales. Les tensions sont à leur paroxysme entre l'ASL et le Front islamiste qui a fédéré en novembre, sept groupes djhâdistes combattants le régime. Ce groupuscule terroriste s'est emparé il y a peu, de caches d'armes de l'ASL et d'un territoire frontalier avec la Turquie ce qui a entrainé les décisions occidentales. En décembre déjà le Front islamiste a décidé de quitter l'Etat-Major décisionnel de l'ASL, signe fort du morcellement indescriptible qui ruine la rébellion et tend à la décrédibiliser.

     

    Hier, l'Armée du régime a lancé une vaste opération militaire stratégique contre la localité de Adra située sur une route menant à Damas et théâtre d'opération depuis 3 jours. 18 membres pro-régime y ont déjà trouvé la mort selon l'OSDH. Cela fait suite à l'attaque, mercredi, de commissariats militaires et de milices pro-régime (regroupant notamment des civils, indicateurs) par des groupes rebelles. 15 civils ont été tués dans une ville multiconfessionnelles : y cohabitent druzes, chrétiens, sunnites et alaouites. 

     

     

    Les coups sont de plus en plus rudes, les bases vont-elles céder? L'ASL traverse une année compliquée et les combats actuels sont particulièrement éprouvants en raison de la neige épaisse qui recouvre Damas. 

    Toujours est-il que l'ASL bénéficie du soutien américain comme l'a indiqué Chuck Hagel, le secrétaire américain à la Défense. 

     

     

     

    Questions d'Orient/ Le 14 décembre 2013

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  • Moyen-Orient:

    Le coup de projecteur du CCG sur le monde arabe en mouvement

     

    Nous pourrions appeler cela une conclusion générale. Le bilan dressé par les membres du CCG (Conseil de Coopération du Golfe) suite à un sommet ayant eu lieu ces jours et ayant pris fin hier à Koweït est un véritable paranorama de tous les enjeux du Moyen-Orient. 

     

    -> L'affirmation d'une lassitude du conflit syrien

    Les membres du CCG (Arabie Saoudite, Koweït, Oman, Bahreïn, Qatar, les Émirats Arabes Unis) ont dressé une ligne claire et exigeante concernant la crise syrienne. Suite à 33 mois de conflit, les puissances voisines du pays (et qui ont beaucoup d'intérêts en jeu dans cette crise) ont exigé le départ immédiat "de toutes forces étrangères" en lutte actuellement dans le pays. Cela fait écho à la présence avérée de combattants rattachés au Hezbollah libanais aux côtés de l'armée régulière syrienne mais aussi aux conseillers en stratégie iraniens dépêchés auprès du président al-Assad. 

    Dans la dépêche de fin de réunion, elles ont affirmé, avec force, que "les piliers du régime qui ont le sang du peuple syrien sur les mains ne doivent avoir aucun rôle dans le gouvernement de transition et l'avenir politique de la Syrie". Ces pays ont également dénoncé "un génocide du peuple syrien perpétré par le régime à l'aide d'armes chimiques et d'armes lourdes".

    Les monarchies se sont dites toutes très favorables à la participation de l'opposition aux mouvements diplomatiques de transition qui pourraient se mettre en place suite à la conférence internationale de Genève 2. Cette conférence doit réunir le 22 janvier 2014, des représentants du régime de Damas et ceux de l'opposition syrienne pour tenter de trouver une solution diplomatique à la crise actuelle. 

    En revanche, les puissances du Golfe n'ont pas fait mention des problèmes persistants qui divisent de plus en plus les rebelles syriens: plusieurs fronts rebelles ne présentant aucune unité se battent contre le régime mais aussi parfois entre eux. Ces divisions posent un certains nombres de soucis notamment pour tout ce qui touche à la représentation à Genève 2 du front rebelle sachant que c'est le front al-Nostra qui prend peu à peu le dessus actuellement. 

    Face aux accusations de la monarchie wahhabite surtout, le régime de Damas s'est empressé de réagir en montrant du doigt les ingérences des monarchies du Golfe, qu'il a accusées de soutenir "le terrorisme organisé" en "finançant et en fournissant des armes" à la rébellion. Il s'en est aussi pris d'une manière virulente à Riyad qui contribue "en grande partie au meurtre des Syriens et à la destruction de l'État". "Ceux qui ont participé aujourd'hui au sommet au Koweït, et à leur tête le régime saoudien, contribuent en grande partie au meurtre des Syriens, à la destruction de l'État. Leur tristesse à l'égard de la souffrance du peuple syrien n'est que larmes de crocodile", s'est écrié le ministère syrien des Affaires étrangères. Il a considéré que le communiqué final du sommet du CCG "n'est que mensonges et tromperies, écrit par ceux qui ont le sang du peuple syrien sur les mains". "Ceux qui se sont réunis à Koweït n'ont rien à voir avec les aspirations du peuple syrien, qui lui seul détient le pouvoir de choisir ses dirigeants et de former son avenir", a poursuivi le ministère, affirmant que "l'unique solution (au conflit) est politique".

    Autant dire que les relations des pays qui se retrouveront probablement à la même table de négociations le 22 janvier ne sont pas encore d'une immense cordialité. 

     

    -> Une ouverture sur l'Iran

    Bien sûr les intérêts des monarchies pétrolières sont en Syrie mais ils sont en Iran, pays où les choses se bousculent depuis l'accord en novembre sur le nucléaire. Le ministre des Affaires Etrangères, Zarif a effectué de nombreux déplacement dans les pays du Golfe: Oman, Koweït, Qatar et aux Émirats Arabes Unis. Les pays du CCG ont salué la "nouvelle orientation" de l'Iran qui s'est ouvert aux négociations sur certains points sensibles qui étaient source de tensions entre les pays sunnites du Golfe et la République Islamiste d'Iran. 

    Malgré tout, l'Arabie Saoudite qui avait refusé d'accueillir Zarif en déplacement, demande maintenant des mesures concrètes pour affirmer la vérité de ces paroles bienveillantes. 

    Dans le même temps la notice du CCG se satisfaisait de l'accord sur le nucléaire qui a déverouillé un solide boulon diplomatique et géostratégique et a permis à l'Iran de se réaffirmer comme puissance pleinement actrice du jeu géopolitique au Moyen-Orient. Le Conseil a estimé que c'est "un premier pas vers un accord global et permanent sur le programme nucléaire de l'Iran qui suscite les craintes au niveau international et régional". 

     

    -> Et l'Egypte...

    Brièvement mais quand même...il ne fallait pas oublier l'Egypte. Les monarchies pétrolières assurent leur "soutien économique" au nouveau pouvoir qui s'est affirmé depuis juillet en renversant le président islamiste Morsi. 

     

    Questions d'Orient/ Le 12 décembre 2013


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  • Syrie:

    Et si ce dossier des armes chimiques était un nouvel "Irak"?

     

    On ne peut pas dire que les conjonctures syriennes actuelles soit au beau fixe pour les Etats-Unis. On peut même dire que Washington est en train de "pédaler dans la semoule" sur le dossier. Le président de l'OIAC, Ahmet Uzumcu a annoncé hier que les délais accordés pour retirer du pays tous les agents chimiques jugés les plus dangereux auraient du retard. L'accord avait fixé jusqu'à 31 décembre de cette année mais des "problèmes techniques" auraient retardé le déclenchement de l'opération. Malgré tout, le calendrier de destruction des armes défini par la Résolution 2118 du Conseil de Sécurité de l'ONU devrait être respecté. Celui-ci accorde jusqu'à mi-2014 pour achever les destructions. 

    C'est suite aux accusations d'une attaque au gaz sarin contre la banlieue est de Damas, la Ghouta, qui avait failli déclencher des raids armés américains contre le régime en place, que Bachar Al-Assad a accepté de livrer tout son arsenal. 

     

    Une attaque le 21 août dont les circonstances restent très floues et c'est à partir de là que le dossier devient franchement épineux pour les Etats-Unis. Les versions varient. 

    Quelques jours avant l'attaque, le 17 août, le Figaro rapportait que des rebelles syriens faisaient mouvement au sud. 300 rebelles auraient franchi la frontière jordano-syrienne dans la région de Deraa, tout cela épaulé par des commandos israëliens, jordaniens mais surtout, après avoir été entrainés plusieurs mois par des hommes de la CIA dans un camp jordanien. La poussée de ces groupes "d'élite" se serait rapidement fait sentir jusqu'en dans la Ghouta où des membres de l'ASL (Armée syrienne libre) étaient déjà l'oeuvre mais bien impuissants face à la concentration militaire de la ville gouvernementale. David Rigoulet-Roze, chercheur à l'IFAS (Institut Français d'Analyses Stratégiques) :"l'objectif de Washington serait ainsi d'entraîner des opposants pour faire changer le rapport de force face à Bachar al-Assad, sans pour autant intervenir directement, ni armer les rebelles en partie contrôlés par les islamistes radicaux".

    Face à une telle menace, Al-Assad, qui avait fait savoir quelques jours auparavant que face à toute intrusion étrangère dans le pays le régime pourrait face usage d'armes chimiques, aurait pu prendre peur et utiliser le gaz sarin dans cette zone stratégique de Damas. 

     

    Plan des banlieues de Damas

     

    Aucune suite concrète n'a été donnée à cette version. 

     

    Maintenant une autre version nettement plus embarassante pour les Etats-Unis a été livrée le 8 décembre dernier par le journaliste Seymour Hersh, grand vétéran du journalisme d'investigation américain. Il a reçu le prix Pulitzer en 1970 pour son action au Vietnâm et il a contribué, en 2004 a révelé les tortures dans la base américaine d'Abû Ghraïb. 

    Ce dernier a donc publié ce début de mois, un article dans la London Review of Books et autant dire que Washington en prend pour son grade! Le but de l'article est de reconstituer le déroulement des évenements lorsque les Etats-Unis et la France ont voulu intervenir suite à l'annonce d'une attaque chimique. L'affaire avait déjà été très floue notamment suite au retournement brutal du président Obama et sa décision d'attendre avant toute possiblité d'intervention. 

    Cette fois-ci, Washington est accusé d'avoir manipulé des pièces du dossier concernant la possible attaque aux armes chimiques du 21 août qui aurait fait 1400 morts dont une centaine d'enfants. Il semblerait donc qu'on ait voulu modifier ce dossier pour donner une possible légitimité à une intervention américaine contre al-Assad. 

    "Obama n'a pas raconté la totalité de l'histoire", car son administration a "délibérément manipulé les renseignements" en sa possession, assure Hersh. "Le mécanisme de sélection a été analogue à celui utilisé pour justifier la guerre en Irak". A la question qu'il a choisie pour titre de son article – "A qui appartient le sarin ? "–, le journaliste répond qu'il pourrait bien s'agir des rebelles. Il accuse Washington d'avoir "sélectionné les renseignements afin de justifier une frappe contre [le président syrien, Bachar] Al-Assad", reconstruisant a posteriori la conviction de la culpabilité du régime.

    Pour Hersh, ce qu'on aurait refusé de voir et cela découle d'un rapport secret de la CIA, c'est qu'al-Nostra détient totalement la capacité de produire du sarin via un de ses membres: Ziyyad Tarik Ahmed, un ancien soldat irakien grand connaisseur en armes chimiques. 

    Voilà ce qu'écrit Hersh en citant un haut consultant des services de renseignement: "L'administration Obama a transformé les informations en sa possession en termes de chronologie et d'enchaînement des faits, afin de permettre au président et à ses conseillers de faire croire que des renseignements recueillis plusieurs jours après l'attaque avaient été récoltés et analysés en temps réel, au moment même où l'attaque était perpétrée". 

    Après l'attaque, Washington avait affirmé avoir capté une conversation où deux membres du régime syrien interagissent et affirment avoir utilisé le gaz sarin. Etrange...surtout lorsque Snowden, traite des services secrets américains permet la publication le 29 août, d'un rapport secret indiquant que la NSA a perdu tout accès aux conversations entre les membres du régime al-Assad et les commandants militaires. A cela se greffe un autre problème: en décembre 2012, des "capteurs" américains avaient déjà averti de la présence de gaz sarin dans un entrepôt militaire de l'armée syrienne ce qui avait donné lieu à un premier avertissement du président Obama. Pourquoi alors n'ont-ils pas informé immédiatement de l'attaque chimique à la Ghouta? 

    En réalité Hersh indique que le président américain se serait basé sur des conversations enregistrées en décembre 2012 et analysées à postériori. En fait, les américains auraient réinventé l'histoire à partir d'éléments passés...

     

    Comme nous aurions pu nous y attendre, la thèse de Hersh a fait immédiatement l'objet d'une prise de parole à Washington, prise de parole pour démentir cette thèse peu flatteuse pour la première puissance mondiale.

    Qui a raison, qui a tort? Autant de questions historiques qui resteront peut-être sans réponse jusqu'au dénouement de la crise et plus si affinité...

     

    Questions d'Orient/ Le 11 décembre 2013


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