• Égypte:

    jeu de pouvoir et guerres souterraines avec le Hamas

     

    Le 3 juillet de l'année passée, Mohamed Morsi, président élu démocratiquement et membre des Frères Musulmans est destitué par l'armée égyptienne. Depuis ce jour, le maréchal Sissi est devenu l'homme fort du pays et il fait le ménage. Nous ne parlerons pas des répressions plus ou moins condamnables contre les manifestations fréristes aujourd'hui; non nous parlerons de l'importance des relations géopolitiques que cette destitution a exacerbé et des conséquences que cela a dans les territoires voisins palestiniens.

    Quel impact alors sur les relations avec le Hamas et le Fatah (les deux organismes de lutte palestinienne qui sont totalement désunis) mais aussi quel impact sur les relations entre le Hamas et le Fatah? L'un profite...l'autre ramasse et Sissi joue admirablement.

    Avec la destitution de Morsi, le Hamas est devenu du jour au lendemain l'ennemi public numéro 1 en Égypte. C'est assez logique pour quelques raisons. Tout d'abord Sissi se trouve devant un groupe qui adopte une attitude pour le moins ambigüe vis-à-vis du  nouveau président. N'ayant pas hésité à qualifier la destitution de Morsi d'inqilâb (en arabe coup d'État), ils s'attachent maintenant à se montrer beaucoup plus délicats en martelant que les égyptiens sont libres dans leur organisation intérieure de leurs choix politiques. En bon militaire, Sissi n'a pas hésité à trancher fermement et sans concession: trop d'ambiguïté n'est pas bon signe et le Hamas est désormais un ennemi d'Égypte. Bien sûr, il y a une autre raison à cela. L'objectif premier de Morsi lors de son accession au pouvoir après la desitution de Moubarak a été de faire retirer le Hamas de la liste officielle des organisations terroristes par les États-unis. Échec, double échec même ! C'est désormais les Frères Musulmans qui sont considérés comme organisations islamiques en Égypte et Sissi assimile de fait le Hamas au courant frériste.

    Pour s'opposer finement au Hamas et dans un respect qui semble sincère pour les populations de Gaza, le maréchal égyptien a opté pour une destruction quasie totale des tunnels souterrains servant à alimenter le Hamas et Gaza en vivres et armes et permettant de toucher de hauts revenus au Hamas par le biais des taxes. Rappellant la situation de juin 2007 où l'ONU, les États-Unis, la Russie et l'Union Européenne avaient entrepris de mettre en place un blocus pour contrer la prise de Gaza par la force par le Hamas, aujourd'hui Sissi a comme objectif "d'étrangler" économiquement le Hamas dans son territoire pour amorcer une révolte des 1 millions 700 000 habitants de la région.

     

    C'est le 9 novembre 2013 que Mahmoud al-Zahas a indiqué que tous liens avec l'Égypte étaient rompus. Il avait aussi indiqué à al-Watan, un journal égyptien qu'un homme du Hamas n'avait jamais interagit dans les affaires intérieures de son voisin. Mais voilà, l'armée égyptienne dit le contraire. Et l'armée en Égypte en ce moment c'est le pouvoir. Les militaires accusent le mouvement islamiste d'aller bien au-delà de simples interférences mais de financer de groupes djihadistes dont les bases sont dans le Sinaï. Ces groupes auraient revendiqué un certains nombres d'attaques au Caire depuis la fin de la révolution et notamment le week-end dernier en abattant un hélicoptère de l'armée égyptienne tuant les cinq militaires. Le plus puissant de ces groupes est Ansâr Beït al-Maqdess et serait rattaché à al-Qaïda. C'est une accusation que le Fatah a aussi lancé au Hamas. Il y aurait même preuve de ces liaisons via des documents que Mahmoud Abbas aurait transmis à l'Égypte.

    Toujours est-il que, si sur ces affaires de terrorisme il faut impérativement rester au conditionnel, sur le reste la guerre semble bien déclarée. Très intéressante pour l'Égypte cette guerre puisqu'elle lui permettrait d'ancrer sa lutte contre les Frères Musulmans dans une perspective régionale et lui accorderait plus de légitimité. Agitant le voile et construisant la psychose d'une sorte de "complot" ou "conspiration" entre fréristes et Hamas, la population n'a pas eu de mal à se ranger derrière Sissi, figure carismatique des purges contre les islamistes. D'autant que les quelques attaques à la voiture piégée contre des postes de police la semaine passée et le crash de l'hélicoptère ont accordé (au prix de vies humaines néanmoins) une crédibilité à ces paroles.

     

    En juin 2007, lors de la prise de pouvoir dans la bande de Gaza, le Hamas arrive à se constituter comme une force assez puissante en contournant les blocus imposés par Israël. Comment ? Par cette fameuse utilisation des réseaux souterrains avec l'Égypte, une Égypte qui accepte malgré tout cette contrebande pour éviter une crise humanitaire dans les territoires palestiniens car ce commerce souterrain représente 80% des besoins de Gaza. Il est donc indispensable pour les populations et pour le Hamas, chef des populations qui récupère des taxes dessus. Tout cela pour montrer qu'avec ces liaisons et étant donné la position géographique d'isolement de la bande de Gaza, le Hamas s'est attaché avec des chaines de fer à l'Égypte; une dépendance quasie totale garante de sa survie. Et aujourd'hui ça coince parce que Sissi, après avoir déclaré la guerre au Hamas détruit les tunnels.

    Cette destruction n'est pas réellement nouvelle et elle avait déjà été envisagée avant les printemps arabes. La chute de Moubarak a été un facteur d'accélaration puisqu'en 2012, des innodations voulues ont été réalisées dans ces réseaux souterrains puis à nouveau en 2013. Deux vagues finalisées par une destruction quasie en totalité (90% des tunnels) avec l'arrivée de Sissi. D'après le ministre de l'économie al-Rafati, ces destructions signfieraient une perte de 230 000 000$ pour le Hamas en pleine crise.

    Mais alors qu'en est-il des populations? Dit ainsi, la méthode ne semble pas franchement favorable aux populations tandis qu'en réalité le gouvernement égyptien ne veut en aucun cas qu'on puisse lui reprocher une crise humanitaire entrainée par la fin des tunnels. C'est ainsi que les militaires égyptiens laissent transiter sans aucun regard, des valises d'argent vers Gaza pour permettre l'approvisionnement.

     

    Enfin, la dernière stratégie de Sissi est de parvenir à rassembler les adversaires de toujours du Hamas pour affablir ce dernier. Rien de très créatif mais ça marche. En Égypte ce type de politique est assez traditionnelle et l'armée a toujours accordé une préférence au Fatah. Depuis 2007, les membres du Hamas agitent leur victoire par la force à Gaza comme la conséquence directe des tentatives d'inqilâb menées par le Fatah et organisées depuis le Caire. Dans l'idéologie du Hamas, cette prise de position à Gaza a toujours été vue comme une seconde libération après le départ de l'armée d'Israël de ce même lieu en 2005. En ce qui concerne une telle attaque et une soumission par des moyens non diplomatiques, le Hamas n'emploie guère le terme d'inqilâb, mais bien plutôt d'Hassem qui signifie que la situation demandait une prise de pouvoir radical.

    Alors que la guerre est déclarée entre Égypte et Hamas, le Fatah l'a compris...l'heure a sonné et Sissi lui ouvre la porte pour affaiblir son adversaire de Gaza pris en étau au sud et à l'est.

     

    Questions d'Orient - Le 31 janvier 2014


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  • Émirat Arabes Unis:

    esclaves et dishdashas

     

    Je trouve approprié de commencer par une simple citation que l'on doit à la chercheuse Claire Beaugrand:"Les Émiratis qui ont besoin d’un employé font une demande de main d’œuvre auprès des autorités et se chargent des démarches administratives. Les conditions d’obtention du visa sont très strictes. Elles sont soumises aux règles de lakafala ou sponsorship, un système de régulation migratoire qui lie la présence d’un étranger sur le territoire à l’obtention d’un contrat de travail signé avec une entreprise, une administration ou un citoyen national".

    Une citation très intéressante pour permettre la compréhension de la suite de l'article sur les conditions de vie de ces esclaves au monde moderne.

    Dans une période de complication sur le plan international avec les crises politiques du Moyen-Orient (Syrie, Liban), et alors qu'on annonce la fin du pétrole pour bientôt, voilà Abu Dhabi qui se cherche une solution pour que son économie survive. En d'autres termes, la finalité est la diversification de l'économie. Il semblerait que l'Émirats aient trouvé mais aient trouvé une solution un petit peu contestable. Tout d'abord parce qu'elle ne peut se passer d'une main d'oeuvre étrangère venant des pays où les conditions de vie sont catastrophiques et espérant y trouver un salaire. Alors bien sûr, en venant travailler aux Émirats ces populations masculines exclusivement (bien entendu étant donné l'application rigoriste de la charia) découvre un régime proche de l'esclave et que les ONG mondiales commencent à trouver un petit peu dérangeant.

    C'est le nouvel esclavage de notre temps mais déguisé pour mieux passer mais surtout diluer avec des litres de pétrole ça...que faire?

    Les quelques citations de cet article ont été recueilli sur le site Orient XXI et les interviews ont donc été menées par les membres de ce site.

    La situation à Abu Dhabi est assez similaire à celle à Dubaï et à celle que l'on constate lorsque l'on ouvre un journal sur l'organisation de FIFA au Qatar ou aux vidéos qui circulent sur le web. On peut y voir des hommes dans les rues. Les rues sont exclusivement occupées par des populations masculines donc rien d'étonnant mais il y a deux types d'hommes...il y a ceux qui en sortant de la mosquée remettent leurs lunettes de soleil et qui portent un dishdashas au blanc qui pique les yeux ou le ghoutra parfaitement posé sur les cheveux. Et puis il y a ceux qui jouent à parader devant les murs de l'enceinte sacrée pendant que leurs compères appuis sur un petit bouton pour immortaliser ce moment. Ce sont donc des rues à la population dualiste...aucun entre-deux.

    Ces hommes à l'extérieur d'une société qui les appelle lorsqu'elle en a besoin, ils sont pakistanais, bangladais, népalais. Ils sont partout dans les villes mais sans y être vraiment... Ils ne se montrent pas, quel intérêt ? Qui pourrait bien s'arrêter pour leur prêter attention? L'absence total d'entre-deux entre cette population de la ville la plus riche des Émirats et ces hommes considérés comme un cheptel de main d'oeuvre créer un vide: un vide qui pourrait être comblé par des institutions, des organismes de protection, de couverture, des gens pour leur prêter un peu d'attention.

    Et ce qui reste le plus surprenant là-dedans c'est encore de savoir que cette frange de la population qui représente à elle seule 88;5% d'une population émiratie de 2 millions 210 000 habitants est la seule et unique "responsable" de l'essor et de la réussite que connaissent des villes des EAU.

    Mais alors où vivent-ils? On imagine mal la haute aristocratie pétrolière se mélangeant dans les beaux quartiers à ces hommes en dehors de tout. Et bien entendu ce n'est pas le cas. A Abu Dhabi, ces populations immigrées de travailleurs masculins s'entassent dans la banlieue de Mussafah c'est-à-dire à une vingtaine de minute de la mosquée si convoitée dans le centre. Ces quartiers ont aussi irrité les ONG mais c'est surtout pour le décalage surréaliste entre les ressources monstrueuses possédées par moins de 15% de la population et qui donnent lieu aux constructions des centres villes que l'on connait si bien pour leur décalage dans le domaine du pensable, et les conditions de vie de mènent le reste de cette population. Ce n'est pas vraiment comme si le pays n'avait pas les moyens... Comme le rappelle Hussein, ce chauffeur de taxi dont les traits sont tirés et qui se dit usé de l'intérieur par la pression. Il a tout laissé au Pakistan dont sa femme et ses deux enfants qu'il  ne voit qu'une fois par mois. Mais comme il explique, le Pakistan ne propose aucun travail, l'instabilité est beaucoup trop forte et envisager une vie correcte c'était partir pour travailler quelques soient les conditions.

    "Tout est trop cher : les loyers, les transports pour aller travailler", "on veut deux ou trois mois de congés", "nous sommes dix par chambre et il y a soixante-douze chambres", "on fait tout, seuls et dans nos chambres : la cuisine, la lessive" . Voici quelques témoignages qui en disent long sur ce que ressentent ces hommes... Et pourtant... Un homme raconte que depuis 2002, il est dans le batiment et gagne 300 euros par mois. Et pourtant il semble résolu et ne veut pas se plaindre: "Au moins, je suis payé". D'autant qu'avec le rapport des monnaies, celui-ci est assez avantagé: "Et un dirham vaut trente roupies ! C’est beaucoup pour ma famille au Népal !". D'autant que selon d'autres dont je retranscris les témoignages via l'Orient XXI, les arrestations et les contrôles de police sont fréquents et débouchent sur des amendes allant jusqu'à...1000 euros. "Nous sommes des immigrés légaux mais nous occupions un emploi illégal", raconte un des hommes interrogé. Il raconte que les autorités ont arrêté près de 5 000 de ces travailleurs, poumon économique et possible solution à la sortie de l'économie pétrolière. Les ONG semblent se mobiliser de plus en plus sur ces questions d'arrestations massives, d'expulsions ou de disparitions dans les geôles.

    L'Orient XXI qui a interrogé un ancien diplomate d'une soixante d'année et sous couvert d'anonymat a obtenu des réponses qui ne sont pas réellement surprenantes de la part d'un homme issu de la classe dirigeante. L'homme n'a pas hésité à dire que cette présence d'étrangers "est le sujet le plus préoccupant" mobilisant des arguments de menace de l'identité nationale. Je dis non suprenante comme position car c'est la position que l'on retrouve généralement dans les hautes sphères de la société imprégnées d'un racisme et d'un nationalisme quelque peu étrange et irrationnel lorsqu'on sait le rôle de ces 88.5% de la population.

    La question est: expulsions massives ou non ? Les Émirats vont-ils répondre à cette "menace" comme son voisin wahhabite? "Ils n’ont même pas autant d’étrangers" rétorque le diplomate. Mais les Émiratis entretiennent-ils des relations avec leurs clients soumis? "Aucune", et cela est peut-être dû à un statut d'infériorité préexistant lors même de l'entrée sur le territoire avec ce système de clientélisme qui indique dès le départ le dominant et le dominé. Malgré les appels d'offre dans les pays où la main d'oeuvre reste très "cheap" pour des hommes qui voient se rattachement comme nécessaire mais d'un très mauvais oeil, les habitants émiratis sont encouragés à épouser des Émiraties et à avoir "beaucoup d’enfants" pour inverser le rapport de force démographique.

    Il y a du travail ou des mesures strictes à prendre et qui vont faire jaser...

     


    Questions d'Orient - Le 30 janvier 2014


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  • Oman:

    le "Blacksheep" provocateur du Moyen-Orient

     

    Rompant avec une tradition d'introvertissement caractérisant les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), Oman a provoqué ouvertement l'Arabie Saoudite en s'opposant à son projet de transformation en Union du Golfe, projet destiné à s'opposer plus fermement à l'adversaire bien connu qu'est l'Iran.

    Contrairement son voisin saoudien, le sultanat d'Oman partage une politique beaucoup plus modérée voir amicale avec l'Iran. Cela tient de plusieurs facteurs notamment l'histoire politique d'Oman et sa position géographique qui en fait un pays tourné vers les cotes de l'océan Indien. Mascate, capitale d'Oman considère actuellement son voisin perse avec lequel le sultanat partage le contrôle du détroit d'Ormuz, pôle géostratégique de passage de supertanker pleins de pétrole, comme un allié inévitable et comme un acteur incontournable de la géostratégie des années à venir au Moyen-Orient.

    En décembre dernier, le sultan d'Oman avait fait fureur en s'opposant ouvertement à la proposition de réforme du CCG par l'Arabie Saoudite, une réforme visant à faire de l'institution une union.

    Oman s'est toujours démarqué de ce CCG par son attitude frondeuse vis-à-vis du grand manitou du Moyen-Orient, la monarchie wahhabite. Contrairement à toutes les autres monarchies du Golfe, Oman ne tire pas ses origines de l'évolution des tribus du Nejd et a toujours basé son économie et son cercle d'influence sur ses contacts sur les cotes de l'océan voisin. Sa population aussi fait son originalité puisque le sultanat comprend une population ibadite mais regroupant dans une entente de coexistence les minorités chiites et sunnites pourtant ennemis classiques. Les minorités religieuses, tribus baloutches et les ibadites font du pays, un espace de coopération puisque chaque groupe participe à l'appareil étatique. Que de facteurs qui l'écartent bien loin de la rigueur extrême d'une monarchie wahhabite possédée par une charia des plus rigoristes.

    Si la politique d'entente cordiale entre Riyad et Oman cache des tensions beaucoup plus fortes c'est aussi parce qu'Oman reste l'élément perturbateur et qui semble refuser plus que les autres la tutelle que veut imposer l'Arabie aux pays du Golfe. Chacun sait que les pays gravitant dans le CCG autour des saoudiens ont toujours été perçus comme des vassaux des wahhabites. Comme le raconte Orient XXI, il y a peu encore sur les cartes de géographie, les cartographes saoudiens "oubliaient" (ironiquement parlant bien sûr) les frontières entre l'Arabie et le Qatar, Yémen ... Le projet d'une union visait justement à rendre cette tutelle beaucoup plus concrète territorialement et politiquement. Le CCG laissait une réelle marge de manoeuvre aux pays membres sans que l'Arabie Saoudite intervienne dans les affaires étrangères mais avec le projet unioniste, l'idée était justement la construction d'une politique commune fondée sur des projets de coopération en matière de défense et d'affaires étrangères. Autant dire que lorsque les monarches saoudiens auront fait claquer les baguettes, le récital contre l'Iran commencera tout cela venant d'une union puissante et soutenue par des pays occidentaux...ça risque de faire mal.

    Déjà lorsque le roi Abdallah avait senti les vents tournants souffler sur son pays en 2011 au début des printemps arabes, il avait essayé de serrer les rangs des monarchies pétrolières pour éviter une crise. Le 10 et 11 novembre 2013, lors du sommet du CCG en terres de Koweit, dans un contexte chaotique de rapprochement entre Iran et États-Unis et de l'accord P5+1, la monarchie avait senti l'essouflement de l'asphyxie des mesures sur l'économie iranienne. Oman avait alors le choix mais une alliance avec l'Arabie signifiait une rupture définitive des relations avec Téhéran.

    D'autant qu'Oman ne s'est interposé qu'une seule fois contre la République Islamique d'Iran. Au lendemain du renversement du shah d'Iran et de l'arrivée au pouvoir de Khomeni, l'Iran Impérial est venu en aide au sultan Qabous en 1970 pour faire face à une révolte déclenchée dans la province de Dhofas, révolte soutenue par le Yémen du sud et l'URSS. Mais en 1981, après une instabilité dans la région suite à la guerre entre l'Irak et l'Iran, Mascate accorde néanmoins son accord et devient même fer de lance de la création d'une armée conjointe qui bénéficierait de l'aide britannique et américaine. Cette prise de position proche d'une alliance forte de l'Arabie n'a pas été tenue très longtemps par Qabous qui déclare en avril 1985 àl’hebdomadaire égyptien Al-Mousawaru: "Pour être franc, je dis qu’ici à Mascate nous ne croyons pas qu’il soit dans l’intérêt de la sécurité dans le Golfe que l’Iran perçoive de notre part l’intention d’établir un pacte militaire arabe qui lui serait toujours hostile, ou que nous soyons sur le point de constituer une force commune dont le but serait de combattre l’Iran. Il n’y a pasin fine d’alternative à une coexistence pacifique entre Arabes et Perses, ni à un minimum d’accord dans la région."

    Et Oman campe sur des positions, sur ces principes déclarés par Qabous trente ans auparavant.

    D'autant que, comme le rappelle le blog Orient XXI, s'afficher sur une ligne commune avec la monarchie wahhabite signifie aller de l'avant sur la faille confessionnelle de la région entre chiites et sunnites, une fracture que pousse à son paroxysme l'Arabie Saoudite. D'autant que les résultats d'une telle politique sont flagrants aujourd'hui: Irak, Liban, Syrie, Yémen... Et c'est là aussi que le sultan d'Oman craint. Dans un pays où les troubles et passions exacerbées par les printemps arabes se sont cantonnés à des revendications économiques et politiques, on comprend bien que le gouvernement ne veuille en rien voir le territoire pris d'un accès de folie religieuse divisant la population et où la population sunnite prendrait probablement le dessus, poussée par une monarchie wahhabite voisine trop contente de voir le petit blacksheep du Golfe sombrer dans la confessionnalisation et la fracture de son territoire.

     

    Questions d'Orient - Le 29 janvier 2014


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  • Égypte:

    un jugement sans merci et un nouveau "De Gaulle" pour le pays

     

     

    Aujourd'hui s'ouvrait une nouvelle séance dans le procès de l'ex-raïs déchu Mohammed Morsi. Le président islamiste destitué à l'été 2013 par son général en chef des armées Abdel Fattah al-Sissi est jugé depuis plusieurs mois pour s'être évadé de prison lors des manifestations contre l'ancien président Hosni Moubarak en 2011. Morsi est apparu ce matin en tenue blanche derrière les barreaux d'une cage et a écouté la liste des 132 accusés avec lesquels il est jugé. On notera parmis cette liste la présence de Mohamed Badie, chef suprême des Frères Musulmans.

    Le président déchu encourt la peine capitale suite à son évasion en 2011 avec l'aide de l'organisation islamiste des Frères Musulmans qui l'a porté au pouvoir en 2012 mais aussi avec l'aide du Hezbollah, du Hamas et de cellules djihadistes moins connues. Au moment son évasion, plusieurs policiers avaient été abattus et des milliers de prisonniers en avaient profité pour s'enfuir. Durant ce procès, il n'est paru qu'une seule fois physiquement, c'était le 4 novembre dernier où il a pris la parole pour dénoncer "un procès politique" géré par le pouvoir "illégitime" d'auteurs d'un "coup d'État".

    Morsi a été arrêté le jour même de sa destitution par Sissi. Alors qu'un mouvement anti-frériste s'est développé en Égypte, Sissi, fin stratège tire les ficelles d'un complexe jeu politique dans une Égypte en crise économique. Le procès est réouvert alors même que le général vient d'être promu maréchal et qu'il porté par une ferveur générale conduite par l'armée à se proposer à présidence de la république. Il a annoncé des élections dans les trois mois à venir sans néanmoins préciser clairement s'il serait candidat ou non. Alors que le maréchal semble faire une purge générale contre les Frères Musulmans, déclarée organisation terroriste, Amnesty International parle de quelques 1400 morts depuis le début du pouvoir de transition il y a sept mois, le 3 juillet 2013. Selon des sources égyptiennes, les 1400 morts seraient pour la plupart des militants islamistes soutenant Morsi.

    Si la population semble acquise à la cause de Sissi, cela ne fait pas l'affaire de tous et les mécontents n'hésitent à faire couler le sang. Depuis quelques semaines, on note une multiplication des attentats contre les forces de l'ordre pour la plupart revendiqués par Ansar Beït al-Maqdess. Ce groupe djihadiste se revendiquant proche d'al-Qaïda cible la police égyptienne en représailles de la répression menée contre les Frères Musulmans. Mardi, peu avant l'ouverture du procès de Morsi et dans un contexte de psychose, le général de police conseiller de Mohamed Ibrahim, ministre de l'intérieur, et chef du bureau technique du ministre a été abattu par des inconnus à scooter en pleine rue du Caire. Le ministre du l'intérieur avait failli trouver la mort le 5 septembre lors d'une attaque d'al-Maqdess.

    Ces insurgés sont basés dans le Sinaï d'où ils abreuvent le territoire israélien de roquettes ou descendent un hélicoptère égyptien comme ils semblent avoir réussi à faire samedi, tuant cinq soldats. Vendredi et samedi derniers, cinq voitures piégées ont secoué la capitale égyptienne, toutes visant des postes de police. Dans la nuit de lundi à mardi, un gazoduc alimentant la Jordanie a été dynamité.

    Cela ne semble pas perturber le maréchal Sissi dans son jeu politique qui continue à faire régner le mystère autour de sa personne et de sa possible candidature à l'élection présidentielle. Néanmoins, sa popularité est acquise à tel point dans la population que sa présence aux élections ne fait plus grand doute. C'est ce qu'on pourrait appeler un militaire populaire; oui l'expression nous semble paradoxal à nous, français qui passont notre temps à cracher sur la police et l'armée, mais la population apprécie son coté charismatique, énigmatique et semble acquise à cette mise en scène autour de sa personne. Des portraits sont accrochés aux terrasses, des pétitions circulent...tout va bien pour notre général et sa légitimité n'a jamais été aussi évidente.

    Une nouvelle constitution a été rédigée et approuvée mi-janvier à 98.1% et a renforcé l'image de héros que l'on attribue dorénavant à Abdel Fattah al-Sissi. Son premier ministre, Hazem Belbawi a déclaré aujourd'hui à Davos que l'esprit du printemps arabe ne s'était pas essouflé en Égypte et qu'aux vues de la mobilisation patriotique et populaire autour de Sissi, il était le nouveau De Gaulle de l'Égypte de 2014. 

    Reste à savoir si De Gaulle avait accepté que l'on fasse des chocolats à son effigie...

     

    Questions d'Orient - Le 28 janvier 2014


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  • Syrie:

    une transition pas encore...mais au moins des concessions !

     

    Alors que les pourparlers de Genève avancent vraiment très doucement, les deux partis sont à la recherche de concessions pour éviter de repartir bredouille de cette conférence internationale. Hier, dimanche 26 janvier, les discussions ont porté sur les deux questions d'amorces choisies par Brahimi, le médiateur international de l'ONU: l'aide humanitaire à Homs et la question de la libération de prisonniers.

    Mais c'est avec un visage fatigué que Lakhdar Brahimi a annoncé qu'il approchait peut-être d'une solution maintenant néanmoins le mot prudence comme le maitre mot de ces négociations. "Si tout va bien, à partir de demain [lundi], les femmes et les enfants pourront quitter la vieille ville de Homs". Rappelons que la vieille ville de cette magnifique cité est assiégée par l'armée du gouvernement syrien depuis juin 2012. M. Brahimi a aussi précisé que concernant tous les autres habitants souffrant d'un manque de nourriture, de maladies et de conditions de vies épouvantables, l'armée syrienne réclamait une liste précise des noms de ceux voulant sortir de l'étau.

    Fayçal Mokdad, le vice-ministre des affaires étrangères syrien, a maintenu le ton provocateur qui a caractérisé la délégation syrienne depuis son arrivée à Montreux: il a assuré que le gouvernement d'Assad avait autorisé la sortie des populations de Homs mais les termes employés restent toujours ambigus ... "Si les terroristes armés de Homs laissent les femmes et les enfants partir de la Vieille ville de Homs, nous leur laisserons la voie libre". Les combattants ou membres des instances civiles de Homs ont demandé une assurance que cette évacuation se passera dans le respect des lois sur les populations et qu'aucun civil ne sera arrêté. Il est néanmoins envisageable que le régime laisse cette mesure entrer en action pour gagner auprès des populations, des pays occidentaux et de l'opposition une crédibilité supplémentaire.

    La situation demeurait toujours aussi confuse, dimanche soir, sur l'aide humanitaire que le régime Assad semblait aussi avoir concédé. Là encore, M. Brahimi n'a été que très prudent dans ses déclarations, la situation pouvant s'inverser très rapidement: "nous espérons que les convois entreront dans Homs demain [lundi]", a-t-il dit. Mais Fayçal Mokdad a souligné que le passage des convois faisait encore l'objet de discussions entre le gouverneur de Homs et la représentation de l'ONU à Damas. « Pour nous, le plus important est que ces convois ne tombent pas entre les mains des terroristes », a-t-il rajouté d'un ton cinglant.

    Concernant les prisonniers, le sujet reste encore l'objet de très vives discussions et pour le coup, le régime n'a accordé aucune crédibilité à la liste de prisonniers qu'a fourni l'ASL. "Plus 70 % des personnes mentionnées n'ont jamais été en prison et 20 % d'entre elles ont déjà été libérées », a déclaré la délégation syrienne.

    Cette multiplication des obstacles montre le fossé abyssal qui sépare les deux camps et retarde les pourparlers. En introduisant les notions d'aide humanitaire et du sort des prisonniers, Brahimi pensait engagé un discours plus léger avant d'entrer dans ce qui a réuni les deux pouvoirs: la transition politique voulue par l'opposition. Le médiateur pensait débuter lundi les pourparlers sur la politique de demain en Syrie mais le prolongement des discussions sur Homs et les prisonniers semble repousser un peu plus le réel enjeu de la rencontre...mais enfin bon, cela servira peut être au moins à sortir de cette rencontre avec des résultats faibles mais concrets.  "Sortir la Syrie du fossé dans lequel le pays est tombé prendra du temps » a admis Brahimi. 

     

    Alors pourquoi tant de temps aussi? ll est clair et net que le peu de motivation dans les discussions politique jusqu'à hier du régime de Damas traduit son objectif premier: jouer la montre. Depuis l'ouverture de la conférence de paix sur la Syrie, mercredi dernier à Montreux, le pouvoir syrien a fait preuve de beaucoup de mauvaise foi, et de cynisme d'abord en réfutant la légitimité de la délégation de l'opposition, emmenée le CNS qui est à ce jour la seule colonne vertébrale des mouvements opposés au régime de Damas représentative d'une opposition divisée en liwâ et en katibâ mais manquant d'une légitimité certaine pour les groupes combattants: celle de sa présence sur le terrain. Puis en rejetant les discussions sur le sujet principal de réunion: une transition politique pour un pouvoir civil et une sortie de Bachar al-Assad. Le terrain doit être libéré pour le CNS devant ainsi former "instance de gouvernement transitoire dotée de pleins pouvoirs". Mais ce n'était pas vraiment l'avis de Omran Zoabi, le ministre de l'information de la délégation syrienne qui a déboulé dans la salle de presse dès le premier jour des négociations en martelant "qu'il n'y aurait pas de transfert de pouvoir et le président Assad reste en place".

    Le jeu géopolitique fait aussi que le régime est tout à son aise et peu se permettre son arrogance et son absence de motivation. Tant que Assad continuera de récolter du soutien politique, militaire et économique des russes et de l'Iran et que les combats ne menacent pas son intégrité, il n'y a aucune raison pour qu'il fasse des concessions. D'autant que ces discussions à Genève semblent aussi avoir un effet très néfaste sur l'opposition syrienne modérée, se divisant plus de jour en jour. Le Monde n'hésitait plus ce matin à poser la question de la survie de l'opposition syrienne à ces pourparlers. Cela s'est traduit par une aisance ultime à l'oral de Walid Mouallem, chef de la diplomatie syrienne faisant face à un faible orateur pourtant chef d'une délégation syrienne libre: Ahmad Jarba qui a du être remplacé pour parler créant un nouveau sujet de discorde.

    Une rhétorique parfaitement huilée, c'est d'une manière fine et puissante à la fois que les membres du gouvernement syrien ont abordé les questions humanitaires et des prisons. Bouthaina Chaaban, proche conseillère d'Assad a traité avec grand mépris la situation à Homs, dont les quartiers rebelles de la ville sont bombardés quotidiennement  par l'armée syrienne: "l'autre partie est venue ici pour discuter d'un petit problème ici ou là. Nous, nous sommes là pour débattre de l'avenir de la Syrie", a-t-elle lâché. Concernant le sort des détenus, Omran Zoabi s'est montré plus fin en assurant que Damas souhaitait réellement régler la question des prisons "sans discrimination" mais en rappelant les multiples enlèvements de journalistes ou civils dans des zones rebelles et en assimilant dans le même mouvement, les groupes salafistes djihadistes et l'opposition modérée. Le CNS s'est vu accusé implicitement de cette manière d'enlèvement et de séquestration.

    Sur le terrain, les pourparlers n'ont pas du tout calmé l'ardeur des deux camps et des combats violents ont opposé dimanche les forces syriennes et l'ASL dans plusieurs quartiers de Damas (OSDH). Les combats auraient lieu à Jobar (est Damas) et à Port-Saïd dans le sud de la ville. A Alep, des violences sporadiques se poursuivent: un adolescent de 15 ans aurait probablement été abattu par un tireur d'élite de l'armée hier.

     

    Comme le rappelle Le Monde, les conflits évoluent mais le rôle de l'ONU reste le même et pourtant...si béant semble ce fossé, si infranchissable semble ce gouffre et si démodée semble cette devise du diplomate britannique, Robert Cecil, l'un des architectes de la Ligue des Nations, gravée en lettres dorées sur un mur du premier étage du siège de l'ONU à Genève :"les nations doivent désarmer ou périr"...

     


    Questions d'Orient - Le 27 janvier 2014


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