• Irak:

    le pays au bord du chaos et le gouvernement devant un choix décisif

     

    L'intensification de la révolte sunnite dans les provinces irakiennes depuis le 30 décembre ne laisse pas l'ombre d'un doute: le pays est au bord du chaos et le gouvernement est acculé au mur. Le choix proposé au gouvernement du premier ministre Nour al-Maliki est très problématique pour un régime essentiellement chiite: soit ce régime accepte un partage des pouvoirs ce qui signifie obligatoirement une inclusion de la minorité sunnite soit le gouvernement se refuse à ce partage et le pays reste confronté à la répression étatique tout en restant sous le joue des islamistes très puissants. 

    La décision doit intervenir dans les prochains jours. Pour Ihsam al-Shammari, professeur de sciences politiques à l'université de Bagdad, "les prochains jours vont déterminer le sort de l'Irak", car "le pays se trouve à la croisée des chemins : une réconciliation sous la forme d'un État démocratique ou un éclatement dans le chaos total et la guerre civile"*. L'État placé face à un choix dualiste qui laisse entrevoir deux possibilités d'avenir: un pays d'égalité et d'entente (relative, ne nous emballons pas) entre chiite et sunnite ou bien la plongée du pays dans le chaos et la guerre civilie dans laquelle il faut supposer que les islamistes répondraient bien présents!

    La contestation armée a débuté le 30 décembre lorsque le premier ministre Maliki a décidé de la fermeture d'un camp supposer être une base d'al-Qaïda. La décision du ministre a provoqué la démission immédiate de 44 députés et la prise des armes par une communauté sunnite se sentant marginalisée et stigmatisée. Depuis décembre 2012, cette multiplication des camps avait attiré l'attention du gouvernement qui y voyaient des foyers de contestation souvent implantés dans des régions ou provinces favorables aux sunnites. 

     

    Depuis la prise des armes, la révolte a été récupérée par EIIL (État islamique en Irak et au Levant) qui a pris le contrôle de Ramadi et Fallouja à 100 et 60 kilomètres de Bagdad. Ce groupe islamiste très puissant est devenu un acteur incontournable de la géopolitique au Moyen-Orient où il s'est affirmé comme groupuscule djihadiste en Syrie, désormais en guerre contre al-Nostra et les rebelles et où il a réussi à fédérer l'Irak et la Syrie en un seul front, parvenant ainsi à multiplier les afflux de djihadistes et à maintenir sous son contrôle un territoire vaste comprenant de multiples zones de retrait et de stockage. 

    Les autorités irakiennes qui semblaient débordées ont annoncé une vaste opération militaire pour reprendre la ville de Fallouja faisant trotter dans la tête de tous les images des deux batailles américaines menées dans cette ville en décembre 2003 (25 morts américaines en trois semaines) et en 2004 (72 morts américains). 

    Issam al-Faili, professeur de science politique à l'Université Mustansiriyah de la capitale irakienne ajoute que "les cellules d'el-Qaëda les plus actives et les plus importantes sont maintenant tout près de Bagdad, à cause d'une erreur de jugement du gouvernement, qui est en train d'entraîner l'Irak vers l'inconnu". L'expert estime que l'Irak risque de faire face à "une augmentation des crises, et des divisions sociales plus profondes et plus dangereuses"*. 

    Ce qu'estime les experts en réalité c'est que le gouvernement, débordé par les crises internes et les soucis gouvernementaux n'a pas anticipé et prévu le tsunami idéologique et géopolitique de EIIL. Le groupe a entreprit un retour fracassant dans l'actualité sur fond de conflit syrien: "L'EIIL a réussi à tirer profit de ses réseaux et de ses capacités en Irak pour avoir une présence forte en Syrie, et il a utilisé sa présence en Syrie pour renforcer ses positions en Irak"*, explique Daniel Byman, expert au Brookings Institution's Saban Center for Middle East Policy.

     

    Pour les experts en géopotlique et relations internationales, la seule solution pour le gouvernement de Maliki actuellement est de jouer la carte de la réorganisation confessionnelle à la manière des Américains qui en 2008 sont parvenus à fédérer les tribus sunnites contre al-Qaïda et à faire ressortir le pays de la crise confessionnelle traversée. Les sunnites entretiennent actuellement un fort sentiment de dépossession suite à leur évincement et à l'évincement du parti Baas sunnite en 2003 avec l'intervention américaine. Pour les experts et notamment M. Shammari ce sont les sunnites qui ont les clefs de l'Irak en main. Selon Shammari, il faudrait que "les autorités se concentrent sur les sunnites modérés pour les attirer au gouvernement" et leur donner un rôle majeur au niveau fédéral". 

    "Les sunnites sont ceux qui vont déterminer le sort de l'Irak". 

    Tout est dit. 

     

    * Propos rapportés par le quotidien franco-libanais L'Orient-Le Jour.

     

    Questions d'Orient - Le 07 janvier 2014


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  • Front irako-syrien: 

    religion et seconde révolution

     

    Le peuple garde la main de la révolution de mars 2011

    Nouvelle année, nouvelles difficultés, nouveaux défis. Voilà plus de 1000 jours que le Moyen-Orient vit au rythme du conflit syrien qui a connu cette année des bouleversements majeurs. On ne cesse de le répéter, le premier de ces changements est la partition devenue "énorme" entre front de lutte populaire syrienne représentée par l'ASL et le CNS et les fronts djihâdistes qui ont eu le toupet en fin d'année 2013 de revendiquer officiellement un détachement des organes de révolution modérées. Mais un autre changement non moins important et pour le coup, beaucoup plus encourageant est la prise de conscience populaire de l'aliénation de la révolution aux groupes islamistes. Cette prise de conscience semblait bien timide fin 2013; ce début d'année 2014 commence en pétard pour les djihâdistes dont plusieurs centaines ont été arrêtés et exécutés pour certains par l'ASL et la population au nord du pays, hier le vendredi 03 janvier. Les slogans et la multiplication de manifestations massives organisées par des organes civiques dans certaines villes montrent que la détermination de la population syrienne à faire face à cette montée de "da'ech", acronyme péjoratif pour désigner EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant). "Nous ne nous sommes pas révoltés contre qui nous tyrannisait au nom de la résistance, pour nous laisser faire au nom de la religion! Da'ech dehors!" peut-on lire sur les pancartes arborées sans scrupule dans les villes et bourgs libérés.

    Bilan: le peuple syrien (entendons-nous bien sur cette notion de peuple pour ne pas nous laisser aller à soutenir n'importe qui) représenté par l'ASL a encore les moyens de résister et de braver les forces armées du président Assad et les milices de terreur djihâdistes. Cette remobilisation semble d'autant plus encourageante alors même que les pays occidentaux poursuivent leur attitude attentiste qui a fait de leur chancellerie la risée de tous. Le mot d'ordre reste donc de ne pas baisser les bras, pourtant pris en étau entre les pressions militaires et géostratégiques de plus en plus importantes du régime et les principes extrémistes religieux conduisant aux exécutions sommaires des fronts al-Nostra et EIIL. Le peuple continue donc avec fierté à rejeter toutes les formes de radicalisme.

    Cela se traduit par de multiples campagnes de communication et de prévention. La dernière en date qui a réussi à créer un certain émule est celle menée contre les "encagoulés". Cela paraît peut-être anecdotique mais les civils et organismes civiques des zones libérées ne cessent de devoir lutter contre ces hommes cagoulés profitant de l'imbrolgio politique et militaire pour commettre pillages, saccages, enlèvements, exécutions et répandre une terreur non nécessaire sur des zones censées être libres. Cette notion de liberté justement va à l'encontre de la notion d'anonymat que rien ne justifie. L'organisation civile semble lutter tant bien que mal en créant des milices armées avec des hommes appartenant à l'ASL ou des comités de justice pour traquer et punir ces hommes.

    Cette campagne menée sous les slogans "Nous ne voulons pas d'encagoulés chez nous" a connu un franc succès auprès des populations mais n'a en rien calmé les ardeurs de groupes djihâdistes...bien au contraire! Se sentant comme visés, ces derniers ont multiplié les actes de provocation durant les derniers jours de 2013 en faisant des journalistes indépendants une cible de choix. En réalité, les pouvoirs de ces groupes sont si importants dans les zones qu'ils tiennent qu'ils ont conscience qu'ils ne seront guère inquiétés par les comités juridiques civils encore bien faibles et fragiles. 

    Mais les civils tiennent et se construisent une réputation déjà bien solide après près de trois ans de contestation. La ville d'Alep est bien connue pour sa mentalité très frondeuse et les populations civiles n'ont pas reculé devant les menaces islamistes et la multiplication des enlèvements. Les manifestions ont eu lieu et...sans foulard cette fois-ci. 

     

    La Syrie, extension révolutionnaire et djihâdiste d'Irak

    Les deux fronts syriens islamistes les plus actifs mais aussi les plus extrémistes sont EIIL et le front al-Nostra. En revanche, ce qui nous paraît être des fronts de création ex-nihilo syriens ne sont en réalité que des organes d'extansion d'al-Qaïda en Irak. 

    Le retrait américain d'Irak en décembre 2011 a ouvert une voie idéale à al-Qaïda pour affirmer son pouvoir et consolider des arrières. La mouvance salafo-djihâdiste n'a cessé de faire planer la terreur sur la terre irakienne et sur les minorités chiites. Les violences ont d'ailleurs repris ce début d'année. Les hommes de l'EIIL contrôlent depuis jeudi plusieurs secteurs de Ramadi (100 kilomètres à l'ouest de Bagdad) et Fallouja. La ville a été déclarée « Etat islamique » immédiatement après sa prise.

    Les affrontements ont débuté lundi à Ramadi, après la destruction d'un camp de protestataires antigouvernementaux présentés par le gouvernement comme un "repaire d'Al-Qaïda". Les violences se ont ensuite gagné à la ville de Fallouja, proche de Ramadi. Les insurgés de l'EIIL avaient profité de l'abandon par des policiers de leurs postes à Fallouja et Ramadi mercredi après des attaques, ainsi que des combats entre des soldats et des membres de tribus opposés au démantèlement du camp, pour prendre le contrôle de secteurs des deux villes. La province d'Al-Anbar est, depuis plus d'un an, un haut lieu de la contestation contre le premier ministre Maliki, accusé d'accaparer le pouvoir et demarginaliser les sunnites. Fallouja et Ramadi furent des bastions de l'insurrection ayant suivi l'invasion américaine de l'Irak en 2003.

    La contestation ne datant pas d'aujourd'hui, les milices de lutte anti-américaine et anti-pouvoir ne sont donc pas d'aujourd'hui non plus. La nouveauté de l'année 2013 et début 2014 est l'augmentation de violence dirigée contre la population kurde du nord de l'Irak. L'enclave de résidence de cette population est depuis 1990 préservée. Le but des djihâdistes est d'étendre la guerre sainte (djihâd) contre ce territoire dans une logique similaire à celle suivie en Syrie contre les Unités de protection populaires (YPG) qui sont le bras armé du Parti de l'Union Démocratique, (PYD).

    De fait, le front irako-syrien doit être dorénavant considéré comme le front privilégié d'al-Qaïda et comme un front unique d'un seul tenant. Cela s'est traduit justement par la modification du nom du mouvement: Etat Islamique en Irak et au Levant par le chef du groupe, Abou Bakr al-Baghdadi alias Abou Dua (laqab ou kunia). 

    Si la Syrie est maintenant considérée comme terre de djihâd c'est aussi en raison des différences géographiques et sociales d'avec les précédentes terres de combat (Pakistan, Afghanistan, Yémen, Mali, Somalie). Les conditions et la qualité de vie semble bien plus favorable. La traduction type de ces différences est la ville Atmeh, à la frontière avec la Turquie. On la surnomme "le Disneyland des djihâdistes". Cette ville a été transformée en un bazar à ciel ouvert d'arme et de contrebande financant l'achat matériel de "destruction humaine" tout en s'éloignant de l'ascétisme prôné par les Pères fondateurs et les oulémas d'al-Qaïda. 

    Ce sont ces organisations transitant entre Irak et Syrie qui sont aujourd'hui accusées par l'opposition d'être les suppôts du régime. Sans avoir de preuves d'une alliance entre al-Assad et EIIL, ce qui n'arrivera probablement pas compte tenu des rivalités idéologiques, ces organismes ont néanmoins travaillé à la crédibilité du président syrien. Se plaignant de lutter contre des terroristes djihâdistes, la preuve de leur existence en Syrie a confirmé les dires. 

    Actuellement, la situation pour l'ASL reste très critique. La seule représentante d'une partie du peuple syrien a perdu ses soutiens occidentaux et tente de se raccrocher à une légitimité en luttant dorénavant sur un nouveau front: les islamistes. Pourtant, des multiples groupuscules religieux se sont constitués dans l'unique but de contrer le seul organe représentatif de la contestation. On note bien sur EIIL et al-Nostra commandé par Abou Muhammad al-Julani mais aussi Abou Abdullah al-Hamawi du Front Islamique Syrien ralliant une dizaine de petites cellules alliées à EIIL. Se rajoute à cela Liwa al-Tawhid, Liwa al-Islam, les Brigades Suqur al-Cham, al-Fajr, la brigade al-Noor d'Alep, le Bataillon Noor al-Din al-Zawki (soutenu par Arabie Saoudite) ou encore Liwa al-Ansar. 

    Enfin, comptons aussi sur les brigades djihâdistes étrangères (2000 européens actuellement) mais surtout des Tchétchènes et des Caucasiens. La brigade Jaish al-Mujahireen wal Ansar gérée par Abou Omar Shishani (ancien membre des forces spéciales géorgiennes) inquiète beaucoup le pays mitoyen: la Russie. 

    Ces soldats de Dieu, des Arabes, des déçus du Printemps arabes voulant laisser aller leur folie délirante et fantasmagorique politico-religieuse parler au bout de leur canon montre le caractère d'aimant que représente le front irako-syrien...

    Qu'adviendra-t-il lorsque l'aimant cessera d'aimanter et que la multitude d'éléments libres retomberont libres et meurtiers dans leurs pays respectifs? 

     

    Questions d'Orient - Le 04 janvier 2014


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  • Syrie: 

    EIIL accusé d'être partisane du régime Assad

     

    Etre da'ech, chabihha ou indic est devenu la même chose aujourd'hui dans l'esprit des populations des zones rebelles...cela signifie que vous travaillez pour le régime de Damas. Alors autant dire que pour un groupe djihâdiste sunnite parmis les plus violents et malheureusement le plus en vue actuellement, l'accusation est de taille. 

    Mais l'opposition est claire, dorénavant l'EIIL (État Islamique en Irak et au Levant) devrait sûrement être considéré comme une organisation ennemie de la révolution. A juste titre semble-t-il, le CNS accusait ce groupuscule d'avoir "volé" la révolution. C'est globalement ce qui semble s'être passé dans le courant des années 2012-2013, alors que le trafic d'arme mis en place par les civils pour faire face à la répression du régime a été récupéré et instrumentalisé par les "hommes du djihâd". 

    Pour l'opposition à l'heure actuelle, EIIL ne combat plus le régime mais combat les rebelles et les civils. "L'EIIL est étroitement lié au régime terroriste et sert les intérêts de la clique de Bachar al-Assad de manière directe ou indirecte", a déclaré la Coalition de l'opposition dans un communiqué rapporté par Le Monde et l'Orient-Le-Jour. "Le meurtre de Syriens par ce groupe ne fait plus aucun doute sur les motivations derrière sa création, ses objectifs et les agendas qu'il sert, ce qui confirme la nature de ses activités terroristes et hostiles à la révolution syrienne", poursuit le communiqué. Le CNS, organe modérée et son État-major, l'ASL, ont apostrophé les membres révolutionnaires de EIIL et les ont appelé à la "poursuite en justice des leaders de cette organisation terroriste tout comme les criminels du régime".

    Cette attaque fait suite à une exaction particulièrement cruelle rapportée par une ONG et l'opposition syrienne. EIIL aurait arrêté, torturé et exécuté un médecin rebelle de la brigade islamiste "Ahram al-Cham". Le médecin, répondant au nom de Hussein al-Sleimane et au pseudo de Abou Rayyane aurait subi "les pires tortures" avant d'être exécuté par balles: "l'une de ses oreilles avait été tranchée avant qu'il ne soit abattu par balles". "Son corps a été remis par l'EIIL mardi dans le cadre d'un échange de prisonniers", indique l'OSDH.

    La charge émotionnelle est forte pour le corps de métier attaqué dans un pays en ruine et où la situation humanitaire et médicale est décrite comme "catastrophique" par les médias. 

    Mais cela fait déjà un certain temps que les "sous-couches" combattantes de l'opposition craignaient et se plaignaient d'une appropriation démesurée et grotesque de la révolution par ces groupes pour qui la Syrie est la "nouvelle terre de djihâd". En septembre 2013, l'opposition avait clamé que "le phénomène de l'extrémisme est apparu avec le soutien et la planification du régime" et pointé les jihadistes du doigt en les accusant de voler le mouvement politique, social et militant des premiers jours de la révolution. Ces groupes accusés (sans avoir donné de nom) auraient donc fait table rase de l'idéologie révolutionnaire visant à établir un pouvoir démocratique. 

    De son coté, le régime de Damas affirme toujours combattre des groupes terroristes financés par des pays voisins. Par pays voisins, entendez Arabie Saoudite puisqu'il y a quelques jours, Bachar al-Assad invitait ses partisans et les voisins à lutter contre l'emprise wahhabite. Mais il faut aussi entendre par pays, les pays du CCG (Conseil de Coopération du Golfe), le Liban, Israël et par conséquent les pays occidentaux notamment la France dont le président, M. Hollande était en visite à Riyad ce week-end. C'est donc tout un bloc qui est visé par les accusations, chacun se renvoyant infiniment la balle et la faute. 

     

    Questions d'Orient - Le 01 janvier 2014


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