• Égypte:

    sanctuarisation de la justice

     

    Dans un pays où les habitants tentent de retrouver une vie normale depuis la révolution de janvier/février 2011, la justice ne peut être perçue comme un organe secondaire du tissu politique et social. Or force est de constater que la justice semble jouer un rôle majeur dans les troubles qui perturbent l'Égypte depuis la destitution de Moubarak, durant le règne des Frères Musulmans et depuis maintenant sept mois que le maréchal Sissi domine le pays d'une main de fer. Une justice qui serait donc largement aux mains des hommes forts du pays et qui pourrait se faire l'actrice d'un retour en force d'un état policier.

    Selon quels motifs l'appareil judiciare dicte-t-il sa loi actuellement ?

    Sous l'État Moubarak, les juges notamment ont toujours été assez indépendants voire même comme un contre-pouvoir relativement efficace. Sous Morsi en revanche, les juges se sont montrés très fermes et sont souvent vus comme en grande partie responsable de la chute du frériste. D'ailleurs, depuis l'arrivée au pouvoir du maréchal Sissi et le début de la répression qui aurait fait 1400 morts depuis sept mois, le pouvoir judiciaire a tranché dans ses positions: il est un élément des plus actifs dans la répression. Il n'y a pas de doute, son rattachement à l'homme fort du pays lui permet de s'autonomiser à condition de ne pas mettre de bâtons dans les roues de Sissi et de légitimer pleinement sa répression judiciaire contre son ennemi frériste.

    Le paradoxe est évident puisqu'il n'y aucun doute: le pouvoir du maréchal Sissi est le symbole d'un retour sur les principes de la révolution même s'il permet d'évincer la menace frériste et les ramifications islamiques dans la société égyptienne. Et pourtant les juges ont tranché: ils seront dans le sillon frais du maréchal.

    Tout jou en faveur de l'organe de jugement. Le fait d'avoir à juger deux présidents déchus (Moubarak et Morsi) ne peut que travailler l'image de l'institution qui est constament sous les projecteurs internationaux. Mais si cette publicité sert son image dans certaines poches de la population, ce n'est pas de l'avis de tous. Des ONG*** ont pointé du doigt le Parquet en l'accusant de faire une sélection politique et idéologique dans le choix des accusés et dans le degré de condamnation. Il est important notamment de souligner qu'à aucun moment, les responsables des forces de sécurité n'ont eu à répondre des violences pratiquées lors des rassemblements anti-Moubarak de la place Tahrir ou lors des manifestations pro ou anti-frères musulmans.

    Dans tous les cas cela ne peut pas sensiblement changer pour l'instant puisque Sissi a su acquérir à sa cause le corps judiciaire notamment en lui donne une puissance et une marge d'action quasiment hors du commun par la Constitution votée en janvier 2014. En fait, dans cette Constitution rien n'a réellement chamboulé le pouvoir judiciaire qui reste le même que sous Moubarak simplement acquis à la cause du ra'is.

    C'est aussi toute une impunité qui caractérise actuellement le judiciaire. Des crimes impunis, cela n'est pas franchement nouveau et aucune police de dictateur n'a jamais été connue pour prendre des gants pour ne pas blesser le prisonnier. Sous Moubarak, il s'agissait donc d'une impunité pour les forces de l'ordre qui imposaient leur loi, la loi du chef sur la société payant au prix fort toute revendication déplacée. Et même après une révolution populaire de l'ampleur de celle contre Moubarak, prônant paix, liberté, justice et même équité, aucun pouvoir qui a régné sur l'Égypte depuis n'a souhaité traduire devant la justice les auteurs de possibles violations aux droits de l'homme; ni le Conseil Suprême des Forces Armées, ni Mohamed Morsi ni même Sissi.

    Au contraire, depuis la chute de l'homme des Frères Musulmans, la magistrature soutenue par une part de l'opinion publique égyptienne elle-même stimulée par les organes de presse se sent actuellement en pleine possession de ses moyens pour prendre le dessus sur les adversaires de l'institution et casser les mesures entreprises à ce moment. Plusieurs conflits avaient opposé Morsi et la magistrature et notamment le 22 novembre 2012 lorsque le président frériste avait fait voté une déclaration constitutionnelle qui immunisait les décisions présidentielles. Morsi avait aussi entrepris de révoquer le procureur général et d'interdire le droit de la Haute Cour constitutionnelle à examiner la constitutionnalité de la composition de l'Assemblée constituante et de la Chambre Haute du Parlement. Morsi avait aussi comme ambition de faire passer un projet de loi diminuant l'âge de la retraite. La magistrature, qui avait unanimement refusé une telle décision, avait accusé le ra'is de vouloir par cette mesure mettre à la retraite un bon quart des magistrats.

    Alors que les arrestations massives et les détentions préventives vont bon train chez les Frères Musulmans, littéralement décapités au plus profond de l'organisation, les investigations contre les policiers sont inexistantes. Morsi est actuellement sous le coup de quatre procès dans lesquels il risque la peine capitale. Une dizaine d'autres procès sont aussi en marche, dirigés contre ses partisans. N'oublions pas néanmoins, que suite à des procès les sanctions prises étant excessivement lourdes, une chaîne de solidarité s'est développée dans la société obligeant ainsi les magistrats à revenir sur leurs décisions. La situation est de facto complexe et personne ne semble franchement tirer les ficelles même si Sissi impose ses vues. En fait, c'est aussi comme un serpent qui se mord la queue: lorsque des policiers sont amenés à comparaître devant un tribunal, ils ne sont guère inquiétés sur le long terme car les motifs de légitime défense ou d'insuffisance de preuve sont suffisants mais derrière cela les juges reprochent au Parquet de fournir des dossiers incomplets et le Parquet accuse les forces de l'ordre de mener des actions trop superficielles...

    Moubarak, par exemple a été totalement blanchi pour des raisons opaques sauf pour attaques contre manifestatns et détournement de biens publics...ce qui est assez peu finalement comparé à ce que l'ancien desposte risquait. Sa condamnation à la perpétuité a été annulée par la Cour de Cassation tandis que les hauts fonctionnaires qui étaient dans son entourage proche n'étaient pas inquiétés. C'est notamment le cas du secrétaire de l'ancien du PND (Parti National Démocratique), de l'ancien directeur de cabinet ou du premier ministre d'Hosni Moubarak.

     

    Mais c'est aussi tout un système qui est défaillant. C'est un système désuet, un système ariéré mais que personne n'ose retoucher puisqu'il fait la gloire des dirigeants (ou du moins il ne les handicape pas) et qu'il assure à l'Égypte un semblant de stabilité institutionnelle.

    Même les juges relativement indépendants et militant pour une autonomie plus concrète sous Moubarak n'ont guère retouché ce système de la magistrature, la question de la réforme globale du système ou son financement. Et pourtant, qu'ils sont nombreux les dysfonctionnements, les lenteurs, les inefficacités; qu'ils sont nombreux les besoins de modernisation, d'informatisation, de centralisation ou de formations adaptée. Mais comme le rappelle Nathalie Bernard-Maugiron, la politisation de l'appareil judiciaire a totalement paralysé la possible réforme.

    De facto, en rien les règles de recrutement n'ont pu être changé. Il s'agit toujours d'une succession de père en fils et les enfants ayant des liens de loin en loin avec des islamistes (déclarés ou soupçonnés), ayant des parents gauchistes ou une famille plus pauvre sont directement mis à l'écart. De la même manière, les femmes ont à souffrir d'une forte discrimination alors même que les textes officiels (Constitution) garantissent l'accès aux fonctions publiques de la gent féminine. Des jeunes femmes diplômées de droit n'ont pas pu être inscrite aux examens pour les fonctions au sein du Conseil d'État. Lorsque la présidente du conseil national pour les femmes a protesté, elle s'est vue menacée par le pouvoir pour ingérence...

    Bernard-Maugiron assure pourtant qu'une remise en question des privilèges par un parti politique aurait pu lui assurer un soutien populaire. Ce ne fut bien sûr le cas d'aucun mouvement qui a été au pouvoir.

    Concernant cette autonomie administrative et financière qui a assuré à l'organe judiciaire, il n'y a actuellement en Égypte aucun autre pouvoir pouvant contre-balancer le contrôle de la société. Dans tous les cas, l'autonomie et l'impunité qui plânent au-dessus du corps des magistrats ne peuvent être levées que par le Conseil Suprême de la Magistrature.

    En revanche, "l'opposition" qui peut se manifester paye cher le prix de son engagement; loin d'elle l'impunité. La presse égyptienne (le quotidien en anglais, arabe et français Al-Ahram) rapporte notamment que des membres du Courant de l'Indépendance ont été obligés de rester sur le territoire égyptien et que l'ancien président du Club des juges d'Alexandrie a été emprionné.

    Le président de la Cour des Comptes (aussi candidat du Courant de l'Indépendance à la présidence du club des juges judes en 2009 et nommé par Morsi à son poste) a affirmé de lui-même que la justice égyptienne était "vindicative et sélective". Il n'a pas hésité non plus à clamer que des organes judiciares étaient largement mouillées dans des affaires de corruption à hauteur de 3 000 000 000 de livres égyptiennes. Mal lui en à pris et mal en à pris aux autres fonctionnaires qui ont mené avec lui l'enquête: ils ont été immédiatement menacés par le Parquet de poursuites.

     

    Il y a donc incontestablement une sanctuarisation de l'appareil judiciaire égyptien, efficace mais déséquilibré et largement introverti. Malgré une certaine indépendance de l'organe étatique, les hautes personnalités qui dictent la conduite de la structure judiciaire n'hésitent à donner de la voix lorsqu'il s'agit de défendre leurs intérêts ou de contrebalancer des informations qui pourraient les menacer sur la scène politique.

     

     

     

    *** 

    "In a report released today (Monday), the International Bar Association's Human Rights Institute (IBAHRI) urges the future Egyptian government to take action to promote the independence of the judiciary and prosecution services, in order to strengthen the rule of law in Egypt..."

    http://www.legalbrief.co.za/article.php?story=20140211121632347

     

    "On the eve of the third anniversary of the “25 January Revolution”, the human rights outlook in Egypt remains grim. Chief among the triggers of the uprising in 2011 were growing levels of poverty and inequality, soaring unemployment, endemic corruption, police brutality and other human rights violations. After three years of chaotic transition, the revolt’s root causes not only remain but in some cases have grown more acute. This briefing details Amnesty International’s main concerns about developments in the human rights situation in Egypt since the removal of Mohamed Morsi from the presidency in July 2013."

    http://www.amnesty.org/en/library/info/MDE12/005/2014/en

     

    Questions d'Orient - Le 27 février 2014


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  • Syrie:

    les "profiteurs"

     

    Ce soir, nous allons faire un petit point sur l'économie actuelle de la Syrie. Pays en guerre depuis bientôt trois ans (l'anniversaire sera fêté le 15 mars), on peut facilement s'imaginer que l'économie est en crise. C'est indéniable. Même si certains avancent que la croissance atteint 5% chaque année (remarquable, notons le pour un pays aussi en ruine), d'autres souligent qu'il faudrait actuellement trente années à la Syrie pour se remettre du conflit. Alors qu'en sera-il demain, ou dans dix ans? 

    En trois ans de conflit, les dégats sont immenses mais ils ne sont pas irrémédiables selon certains. La question mérite d'être posée lorsque l'on voit l'état de villes comme Alep ou Homs... Les destructions seront de toute manière très difficiles à reconstruire. Mais les difficultés futures à reconstruire sont aussi déjà entrevues en raison de la ruine du pays à tous les niveaux: c'est une ruine démographique et humaine avec 140 000 morts selon l'OSDH, mais c'est aussi des flux de populations émigrées uniques donc une main-d'oeuvre et un pourcentage social de la population immense qui n'est plus dans le pays et qu'il faudra faire revenir dans les meilleures conditions possibles d'où l'intérêt d'unifier les fronts de résistance pour éviter que la Syrie de demain ne soit le théâtre des affrontements entres alliés actuels (je pense notamment à EIIL et à l'ASL). Les pertes sont aussi matérielles et économiques. 

    D'après, Jean Yazigi travaillant pour The Syria Report, les données disponibles sur l'économie et les besoins matériels sont assez faibles et permettent des estimations qui ne peuvent être qu'approximatives. En juin 2013 par exemple, on estimait le cout de la guerre à plus de 100 millions de dollars ce qui correspondait alors à 170% du PIB du pays d'al-Assad. 

    De fait, c'est tout un système économique et un système de valeur qui s'effondre progressivement conséquence logique d'un conflit ravageur matériellement parlant mais aussi conséquence des mouvements de populations qui entrainent une fuite des possibles capitaux. A cela il faut ajouter les sanctions internationales dont on parle peu mais qui pèsent sur le système syrien. Les secteurs bancaires et pétroliers connaissent notamment une paralysie qui entraine des mutations dans toute la société. Avant la guerre, 92% des exportations syriennes en pétrole étaient dirigées vers l'Union Europèenne... On peut comprendre le déséquilibre institué par les prises de positions internationales. Le 16 février, le ministre Souleiman al-Abbas chargé du pétrole avait annoncé que la production syrienne avait chuté de près de 96%. "On est passé de 385 000 barils à 14 000" alors même que le secteur pétrolier était incontestablement le point fort du pays, sa plus grande source de devise. 

    Le secteur énergétique syrien est d'autant plus atteint que les réserves, sources de profit sont en grande partie aux mains des rebelles et notamment des djihadistes d'EIIL. La grande majorité de ces sites sont concentrés dans le nord et l'est c'est à dire les points clefs et stratégiques tenus par les rebelles et Da'ech. Les villes de Raqqa, Alep ou Deir Ez-Zor constituent ces charnières dans l'axe ouest-est. D'après le ministre cité par l'agence gouvermentale Sana "l'augmentation des agressions terroristes contre les infrastructures pétrolières, les sanctions occidentales et la suspension des compagnies étrangères de la prospection pétrolière" sont pleinement les causes de cette chute. Et pourtant, fin décembre 2013, Bachar a signé un accord majeur avec la Russie pour une durée de vingt-cinq ans (qui prouve ainsi qu'al-Assad ne compte pas abandonner le pouvoir). Cet accord de prospection dans les eaux territoriales syriennes avec une entreprise russe est le premier signé sur une exploration gazière et pétrolière. 

    Le facteur de destructuration de la géographie du pays est aussi à prendre en compte dans l'affaiblissement du pays. La Syrie est aujourd'hui disloquée suivant des logiques absolument pas rationnelles, en fonction des populations préexistantes à la guerre, des proximités aux frontières, des forces militaires ou des confessions. Les déplacements sont de fait beaucoup plus compliqués notamment dans l'est où les djihadistes irakiens font régner une loi de fer avec une application stricte de la charia et des conditions de vie plus de difficiles. C'est aussi le cas dans les villes d'Alep ou de Damas où les quartiers chrétiens sont isolés puisqu'en zone gouvernementale et où le passage entre les deux zones est devenu tout à fait impossible avec les snipers contrôlant les grandes avenues désertes ou les chabbiha chassant toute présence suspecte. 

     

    Et pourtant, cela a incontestablement conduit à l'instauration d'économies parallèles. Ces économies parallèles s'expliquent par les pénuries croissantes de denrées alimentaires de base (Yarmouk, ou même des quartiers de Damas ou d'autres grandes villes), à la pénurie d'eau saine, au taux de chômage actuellement de 40%, à la dévaluation de la livre syrienne (le dollar est passé de 47 à 150$ dans l'équivalence) ou encore à l'insécurité générale. 

    Cette apparente solidarité qui donne lieu à ces économies souterraines est à attribuer à plusieurs facteurs. La baisse de la demande signifie logiquement une baisse de la consommation. Le gouvernement de Damas dépendant aussi beaucoup de ses alliés (comme on l'a dit plus haut) pour les exportations, il doit aussi développer de nouvelles stratégies pour investir ailleurs et se ravitailler. C'est via son plus grand allié qu'est l'Iran, qu'al-Assad importe le pétrole puisque l'on attribue au pays perse un crédit de plusieurs milliards de dollars de pétrole. 

    Cette économie nouvelle est constituée de réseaux de trafics et notamment dans les zones gouvernementales qui doivent faire face aux lourdes sanctions internationales pesant sur la vie quotidienne. 

    D'après Yazigi, c'est grâce à l'instauration de ces réseaux souterrains que beaucoup se sont mis à "profiter" de la guerre pour s'enrichir. Il s'agirait pour la plupart de proches du pouvoir tel que Rami Makhlouf, cousin de Bachar ou Ayman Jaber. Les sanctions européennes profitent finalement. Yazigi estime même que certains se sont tellement enrichis qu'ils ont pu acheter des places au gouvernement. 

    Yazigi montre aussi qu'avec le conflit, ce sont de nouveaux besoins qui ont émergé: un besoin accru en générateurs de courant ou en services de santé. 

    Chez les chabbiha ou  les milices pro-régime, le fait de ne pas être membre officiel du gouvernement et donc par conséquent de ne pas être payé a contribué largement aux enrichissements personnels de manière plus ou moins orthodoxe. C'est de cette manière aussi qu'il faut appréhender l'augmentation des rapts, des pillages ou des demandes de rançons autant chez les pro-Bachar que chez les rebelles et notamment EIIL. Ce groupe surpuissant dans la Syrie actuelle est accusé régulièrement de s'occuper du contrôle de régions pétrolifères, de champs de blé ou de checkpoints pour s'enrichir plus que pour combattre les troupes de Bachar. 

     

    Globalement donc, le morcellement du territoire a entrainé la création d'une nouvelle économie souterraine, polarisées par des réseaux dans différents centres urbains. Ce n'est pas sans faire des "profiteurs" de la révolution. Ce n'est pas nouveau, à chaque guerre ses profiteurs ! Pour Yazigi, il s'agirait même pour certains de faire en sorte que la guerre puisse durer le plus longtemps possible tant le conflit a été facteur d'accélération de l'enrichissement personnel. Aaah...la paix, c'est bien trop monotone... 

     

    Questions d'Orient - Le 22 février 2014 


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  •  Al-cha'b yurîd jordanien

     

     

    Petit pays au sud de la Syrie, si discret même dans le conflit syrien que l’on pourrait supposer qu’il en est absent tant au niveau des forces en présence qu’au niveau de l’accueil des réfugiés aux frontières.

    Plus que jamais, la monarchie hachémite est prise dans un engrenage géopolitique et est incluse dans une zone géographique de crise majeure. Son histoire a d’ailleurs toujours mis le pays en position de zone tampon accueillant des réfugiés. De 1948 à 1967, ce sera le cas durant les guerres israélo-palestiniennes. Nous y reviendrons toute à l’heure. En 2003 et durant toute la période d’occupation en Irak par l’armée américaine, la Jordanie conservera son rôle d’accueil de réfugiés. Ce n’est pas un rôle voulu mais sa position géographie, en plein centre de l’échiquier géostratégique du Proche-Orient lui impose la présence de réfugiés qu’elle ne peut stopper.

     

    La Syrie a été l’évènement au Proche-Orient du 20ème siècle qui a déclenché pleinement un afflux de réfugiés encore rarement vu. Bien entendu, la Jordanie n’a pas dérobé à son rôle mais l’arrivée par centaines de milliers de syriens a fait émerger des contraintes immenses économiquement, politiquement et socialement dont le pays se serait bien passé.

     

    Pour donner quelques chiffres, depuis mars 2011 (date donnée comme celle du début des révolutions de grande ampleur à Homs et Hama), c’est 2,3 millions de réfugiés qui ont été contraints de fuir les zones d’affrontements à cause des risques de mort ou tout simplement suite à la destruction de leur habitat suite aux bombardements. Les chiffres sont ceux du Haut Commissariat au Réfugiés (HCR). Ce qu’il important de noter dans cette exode c’est que 97% de ces familles émigrées, la destination a été un pays voisin. Le plus souvent, ce fut la Turquie, l’Irak, le Liban ou Jordanie.

     

    La Jordanie n’a néanmoins donné des signes d’alarme humanitaires qu’en janvier 2012. Cyril Roussel, géographe à l’Institut Français du Proche-Orient à Amma, affirme que le pays a connu une première vague d’émigration de mars 2011 à janvier-mars 2012 qui s’est principalement répandue dans les villes frontalières comme celle de Ramtha. Mais au mois de mars, les vagues sont continues et s’engage alors la bataille de Homs au centre du pays syrien. Il faut bel et bien lier l’engagement des combats dans la ville à la massification de l’arrivée de population syrien en Jordanie. Cette fois-ci la population a directement mis le cap sur la ville du centre du pays. Au début du mois de 2013, ce ne sont pas moins de 80 000 à 100 000  personnes qui franchissent la frontière par mois, venant principalement la ville toute proche de Deraa.

     

    En quelques mois, la situation est donc passée d’un phénomène géographique classique et sans réel impact à un phénomène d’intérêt national, véritable bourbier pour la monarchie déjà aux prises avec la crise économique mondiale.

    Le HCR parle de 600 000 syriens actuellement dans la Jordanie nord c'est-à-dire 1/10ème de la population du royaume. 70% de ces réfugiés seraient dans des villes. Les plus démunis se rassemblement ou plutôt s’entassent dans des campas comme celui de Zaatari à Mafraq ou de Mreijeb al-Fhoud à Zarqa et Arzaq à cent kilomètres de la capitale Amman.

    Si ces réfugiés posent un problème concret c’est que leur nombre ne cesse de croitre et qu’ils vivent (pour la plupart) au crochet de l’aide internationale ou locale humanitaire. Dans les camps, les conditions de vie sont particulièrement difficiles (mais peut-être moins qu’à Yarmouk) et les sorties sont extrêmement contrôlées par des autorités dont la crainte est de se laisser déborder. Comme le rappelle Ilham Younes dans son article dans Les clefs du Moyen-Orient, pour s’assurer une sortie, il faut nécessairement avoir un contact local de nationalité jordanienne puisqu’il faut qu’un habitant se porte garant de la sortie d’une personne. Or, la sortie signifie un accès au soin, un accueil dans des structures d’éducation pour les enfants ou des permis de travail ; et encore un seul permis coute 400 dollars. Il faut de fait pouvoir débourser une telle somme ce qui est loin d’être le cas d’une majorité de réfugiés.

     

    Si la Jordanie participe à l’aide des réfugiés, le HCR exhorte la communauté internationale à fournir des aides aux populations exilées de leurs foyers. Depuis mars 2011, l’UE a versé pas moins de 85 000 000 d’euros au royaume hachémite. Ces aides européennes parviennent sous forme d’investissements dans du matériel et d’instrument de coopération humanitaire. En janvier 2014, l’UE a fourni une nouvelle enveloppe de 20 000 000 d’euros. Dans tous les cas, il s’agit d’investissements pour des aides majoritairement dirigées vers des camps où l’eau n’est plus potable et constitue donc un danger direct pour l’intégrité physique des enfants ou des populations très affaiblies physiquement.

    De son coté, l’HCR aussi consacre un budget largement recevable à la Jordanie et à ses réfugiés. 62,8 millions de dollars, c’est l’investissement de l’organisme en 2010. Traduction directe et concrète de l’instabilité du Proche-Orient et du déclenchement soudain de la crise syrienne, en 2014, le budget est de 430.4 millions de dollars. Comme les aides européennes, ces investissements sont dirigés vers des aides à court terme pour une amélioration ou un rétablissement des structures pour l’accueil des besoins ou services nécessaires.

     

    Le problème structurel est donc très complexe. Il doit nécessairement être appréhendé sur la longue durée mais le mouvement permanent des grandes « plaques géostratégiques » rend difficile toute projection future. D’ailleurs, même si une solution politique était trouvée entre régime et rebelles (ce qui parait actuellement définitivement impossible), il serait inconcevable de renvoyer tous ces réfugiés syriens dans les villes respectives étant donné les problèmes sécuritaires qui découlent des fractures entres membres de l’opposition (salafistes, EIIL, ASL, Kurdes).

    La question qui se pose logiquement après de telles évaluations est : quel est donc l’avenir pour ces populations dans les pays d’accueil ? Vont-ils, à terme devenir citoyens ? C’est là aussi tout un sujet très épineux pour la Jordanie qui a déjà fait l’expérience de ce type d’assimilation. Comme nous l’avions dit toute à l’heure, sa position a fait que le royaume a accueilli une masse très importante d’exilés palestiniens lors des guerres de 1948. A ce moment, les émigrés avaient reçu la nationalité jordanienne…tous. Le pays s’était donc pleinement positionné comme terre d’accueil aux peuples arabes voisins si bien qu’aujourd’hui les Palestiniens représentent plus de 50% de la population. Mais, alors ce ne sont que des Palestiniens ? Hé oui justement ! Leur poids en politique intérieure et parfois extérieure est devenu majeur et Israël redoute justement une prophétie souhaitée par Israël : que le royaume hachémite devienne la terre officielle d’accueil pour les Palestiniens qui pourraient devenir citoyens. La Jordanie ne désire guère devenir « la patrie alternative des Arabes ».

    C’est bien pour cela que la monarchie au pouvoir a ordonné la fermeture de la frontière syrienne aux Palestiniens. Pour ceux qui ont pu passer, la vie est si miséreuse (ils n’ont pas le même statut, pas les mêmes droits et pas accès aux services) que la plupart franchissent la frontière syrienne mais dans l’autre sens.

     

    Il est donc clair que les réfugiés ont introduit une nouvelle donnée, facteur de déstabilisation du royaume alors que ce dernier se relève doucement des contestations associés aussi aux Printemps Arabes de 2011.

     

    Comment ses populations exilées peuvent-elles interférer à ce point dans l’équilibre politique, économique et social d’un pays pour le contraindre à faire une immigration massive mais choisies ?

    Revenons quelques années en arrière. Durant les révoltes arabes de 2011, la monarchie a incontestablement tremblé. Les contestations sociales ont été puissantes et menées avec brio par l’opposition, pourtant fraichement autorisée à exister (la charte date de 1992) mais régit par une branche des Frères Musulmans qui constituent le vivier d’opposition.

    De fait, en 2011, le Front Islamiste d’Action (opposition gérée de loin en loin par les Frères Musulmans) a sauté sur l’occasion pour attiser la contestation populaire. Pourtant, jamais le pays n’a souffert d’une contestation directe du pouvoir mais  plutôt de revendications sur de nouvelles réformes institutionnelles et une baisse relative des pouvoirs royaux.

    Mais les 169 millions de dollars déboursés le 20 janvier 2011 pour étouffer l’incendie traduisent bien l’urgence de l’action et le sentiment de danger qu’à probablement ressenti la monarchie. Son pouvoir pouvait être chamboulé dans ses bases les plus profondes en quelques semaines, les exemples n’ont pas manqué.

    Et pourtant, les plans financiers pour réduire le prix des denrées alimentaires et offrir de l’emploi n’a guère satisfait l’opposition et le FIA a jugé artificielles les mesures prises. Il faut dire que les réussites successives des révoltes en Tunisie et en Egypte dans le courant de l’année 2010-2011 ont fait planer un vent d’espoir sur tous les pays où le régime gouvernemental était à tendance dictatoriale. C’est peut-être ça aussi qui peut expliquer la lente militarisation de la crise syrienne ; la population a pu croire renverser le despote en manifestant. C’est une erreur d’interprétation ici. Il s’agit là d’une digression.

    En Jordanie, c’est en février 2011, que le mouvement a pris une dimension que la monarchie n’avait pas réellement prévu. 40 responsables de tribus se sont rassemblés pour dénoncer la sclérose sociale qu’ils attribuaient alors à la corruption et aux pratiques de clientélisme. La mobilisation militante des bédouins, membres ancestrales considérés comme piliers majeurs de la société est la traduction d’une crise qui ne se cantonne pas simplement aux abords de la population mais bien aux catégories « piliers » de l’échiquier politique monarchique.

    Et pourtant, la monarchie ne va guère avoir à engager de nouvelles procédures pour couper court au mouvement. Ce sont des causes extérieures à la volonté de l’opposition qui vont déconstruire en quelques jours une contestation pourtant solide. Il s’agit bien de l’éviction du président Morsi en Égypte par le général, maintenant maréchal Sissi à l’été 2013 et la confusion de plus en plus importante en Syrie avec le début des combats entres factions rebelles (EIIL et ASL). Ces différentes composantes géostratégiques purement inattendues en Jordanie vont infliger un coup terrible à l’aura des Frères Musulmans et vont répandre une crainte dans la population : et si notre pays devenait théâtre de djihad, d’attentats etc comme en Égypte ? La masse populaire s’est donc logiquement détachée du FIA et s’est largement contentée d’une monarchie dont le maillage politique reste correct en terme de contrôle sur les foules.           

    Mais ce n’est pas pour autant que le danger est écarté du pouvoir. Le danger désormais il est dans les réfugiés et leur nombre extraordinaire. Au vu de l’enlisement de la guerre syrienne, c’est sur la longue durée que doit prévoir la monarchie si elle veut faire face efficacement aux flux humains.

    Ce serait aussi sans compter sur la grogne populaire de plus en plus importante. La gestion de la crise interne et externe sur le seul territoire jordanien constitue un défit de taille pour le roi, les forces de l’ordre et les infrastructures déjà débordés. Dans la ville de Mafraq, les prix immobiliers ont été multipliés par 300, le cout de la vie augmente d’une manière fulgurante et conduit à la paupérisation d’une société déjà fragilisée et sur la défensive. Les taux de chômage sont tout autant élevés : 14% en 2013 dont 22% de chômage chez les femmes, 30% chez les jeunes (15-25 ans). Les coupures d’électricités sont fréquentes mais le plus gros problème et probablement celui qui pourrait conduire au basculement dans une guerre géostratégique défiant toutes les alliances c’est le facteur hydraulique. Dans un pays qui doit livrer 3000m3 d’eau quotidiennement au camp de Zaatari, le problème de l’eau ne peut être ignoré surtout lorsque l’on sait que la Jordanie possède un potentiel de 110 m 3 d’eau renouvelable par personne et par an. Le pays est qualifié en extrême pénurie : moins de 500 m3.

    La population attend beaucoup : le Al-cha’b yurîd jordanien est en place. Cette attitude d’attente n'est mise en place (volontairement ou involontairement d'ailleurs) que pour faire monter une pression alimentée largement par l’instabilité des pays voisins (Syrie, Irak, Liban, Israël). D’autant que les Frères Musulmans n’ont pas disparu du tissu social jordanien et sont notamment très présents dans les distributions d’aides alimentaires et sociales aux populations. Cette position stratégique au plus près du peuple, au plus près des contestations est la place privilégiée lorsqu’on veut attiser un foyer de résistance. Il suffit de montrer que l’on est capable de faire des actions aux antipodes de décisions étatiques affaiblissant le pays. Bien que les manifestations soient aujourd’hui de faible ampleur et localement contrôlées, les autorités jordaniennes suivent de très près le mouvement. D’autant que la dégradation des conditions de vie des réfugiés fait courir le risque d’une adhésion croissante à un islamisme radical et le retour au pays de centaines de Jordaniens combattant au côté de la rébellion syrienne ne fait qu’accroître la crainte d’une menace sécuritaire.

    Si la solidarité de l’« Oumma » fondée sur l’entraide collective reste forte et la générosité de mise, les tensions entre réfugiés syriens et habitants se font sentir au quotidien. Selon un sondage national effectué par un centre de recherche jordanien en septembre 2012, 65 % des Jordaniens se prononçaient contre la poursuite de l’accueil géré par l’État des réfugiés syriens. Entre les écoles surchargées, les problèmes d’eau et les fortes distorsions sur le marché du travail, le ressentiment jaillit peu à peu et laisse planer le risque d’une stigmatisation croissante des Syriens déjà à l’œuvre dans certaines villes du nord du pays. Aujourd’hui, l’avenir des déplacés syriens est incertain. Même si à l’instar des Palestiniens, en 1948, la logique d’une transition rapide et d’un retour au pays d’origine restent à l’esprit des Syriens, l’enlisement dans un conflit dont l’issue reste profondément incertaine met à mal l’espoir pour les réfugiés d’un retour massif dans leurs foyers.

     

    Questions d'Orient - Le 20 février 2014


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  • Arabie Saoudite :

    tribulations étatiques et successions

     

    1932: le royaume des Saouds est créé, à leur nom. C'est le début du règne d'une famille qui va être entouré de mystères et de complexités dans les moments charnières de succession ou de nomination à des postes gouvernementaux. Cette complexité de la politique wahhabite a donc façonné l'exercice du pouvoir dans la monarchie pétrolière.

    Néanmoins, jamais encore les problèmes dynastiques et autres problèmes internes à la famille n'avaient entaché la géopolitique de la région; une région en plus dans un état d'instabilité extrême suite aux printemps arabes.

    Actuellement, d'une point de vu généalogique, la famille des al-Saoud est la plus importante qui existe avec pas moins de 22 000 membres... Je crois qu'il n'est guère compliqué de comprendre l'instabilité de la famille puisque chacun veut sa petite place dans un État devenu le "meilleur partenaire commercial" de certains pays occidentaux...

     

    Une telle volonté de placer les petits nouveaux et les anciens dans le pouvoir n'est pas nouvelle, elle vient tout droit du fondateur du royaume, Abdel Aziz al-Saoud qui a voulu assurer une place dans le pouvoir à chacun de ses 43 fils... Pour avoir des conflits de pouvoir, il n'y a rien de mieux ! Et pourtant, la famille tient et la stratégie de placement sous ce modèle perdure encore actuellement puisqu'elle est mise en oeuvre pour assurer la succession du monarque Abdallah.

    Il faut savoir que la tradition saoudienne assure un rang aux princes suivant la tribu de leur mère mais aussi de leur alliance avec d'autres membres masculins de la famille royale. Dès le début du règne de la maison des Saoud sur le pays, les conflits de succession ont été attisés par la fratrie la plus connue: les Sept "Sudeiri", fils d'Abdel Aziz et de sa femme Hussa al-Sudeiri.

    1975: l'assassinat du roi Fayçal par son neveu traduit encore une fois l'ambiance qui règne au sein du clan et rappelle un petit peu l'atmosphère médiévale des familles Arabes s'entretuant entre eux pour obtenir les places de calife. C'est à partir donc de 1975 que la fratrie Sudeiri revient pleinement au centre du pouvoir: elle est la faction dominante. Fahd, l'ainé des sept frères a régné 23 ans ce qui est le plus long règne d'un monarque saoud. L'importance des soutiens familiaux et extra-familiaux est donc chose majeure et à prendre en compte dans la stabilité ou l'instabilité du pouvoir.

    En 2005, lorsque Fahd décède, c'est Abdallah qui prend le pouvoir ce qui constitue une véritable fronde à l'autorité des Sudeiri donc le pouvoir a lentement mais clairement diminué et donc les seuls descendants encore bien présents dans le jeu politique saoudien sont Sultan et Nayef. Leurs puissances et leurs maintiens dans les intrigues royales sont assurés par les postes importants qu'ils occupent.

    Mais Abdallah n'a alors que des demis-frères qui manquent de légitimité pour assurer la succession. Dans un intense conflit interne, il doit alors trouver une parade pour empêcher une restauration de l'autorité des deux Sudeiri. Son approche de la question est assez simple et sa stratégie n'est pas innovante: il va simplement rassembler des princes de la famille marginalisés et hostiles (au moins politiquement) aux Sudeiri, s'assurant ainsi une base de soutien forte. D'autant que le Conseil d'allégeance formé est certes aux mains de Sultan mais assimile aussi les fils restants d'Abdel Aziz et les fils de ses frères décédés dont ceux de Fayçal. Cela permet donc aux princes marginalisés ou vus comme descendants d'un père trahi et mis à l'écart , de renouer avec le trône et de trouver un fondement instutionnel pour arriver jusqu'aux fonctions proches de ce trône.

     

    Dix ans après sa succession sur Fahd, Abdallah est la définition même du monarque absolu: aucun pouvoir ne lui échappe. Il accorde un poids considérable à la Garde Nationale dont le commandement a été confié à son fils Mutaib et dont le statut est devenu celui de ministère. D'ailleurs, la révocation de multiples officiers supérieurs dont le commandant Badr ben Abdel Aziz fait de la Garde nationale une instance au niveau voire supérieure à l'armée nationale.

     

    Voilà un bref panorama d'une situation confuse dans une famille hyper-nombreuse et aux rivalités internes très fortes. Mais si l'interne restait dans l'interne... En effet, il est indéniable que ces soucis et ces turbulences au sein de l'édifice institué presque de fait maintenant ont eu des impacts très forts sur la région et sur la politique extérieure saoudienne.

    La concentration de tous les pouvoirs en la personne d'Abdallah constitue un réel problème pour la région en ce qu'il incarne l'Arabie Saoudite donc le royaume wahhabite mais aussi le chef de la politique extérieure. Ce qui signifie par effet de chaînage, que les liens de parenté et d'allégeance prévalent largement dans la politique saoude sur le mérite. Ainsi, le régime se voit particulièrement affaiblit dans la région et son champ d'action/ses capacités sont largement à remettre en cause.

    Les rois des monarchies pétrolières en général ont été probablement apaisés de voir que les révoltes arabes ont échoué en ce sens qu'elles n'ont pas institué de démocratie réelle pour l'instant. Ils ont du être encore plus satisfait de voir l'échec flagrant et humiliant des partis islamistes radicaux arrivés au pouvoir aux dépends des printemps arabes aux vertus laïc, il faut le rappeller...

    Mais pourtant, ces révoltes ont indéniablement déstructuré le statu quo local et régional de la maison wahhabite qui reposait avant tout sur les pétrodollars. Les révoltes ont évincé des alliés fiables du monde arabe (Moubarak) et ont fait de voisins des ennemis devenus hyper-menaçants pour le régime (Bachar al-Assad). Tout est loin d'être tout rose et c'est sans compter les millions de dollars que les pays du Golfe ont du dépenser pour étouffer les débuts de contestations lancés en pleine terre d'Islam.

    La monarchie saoudienne a dans un premier temps, menée une politique de soutien actif financier et militaire parfois à ses voisins alliés épargnés par des révoltes mais rarement par les conséquences de ces révoltes (la Jordanie, le Liban avec les 3 milliards d'aides militaires à l'armée pour faire face aux dérives sécuritaires et Bahreïn) et en soutenant l'armée égyptienne, ce qui a abouti au renversement du gouvernement des Frères musulmans à l'été 2013.

    Mais 2013 (disons même avant mais il s'agit des chiffres officiels), la Syrie capte et canalise toute politique (et militaire mais ça aussi il ne faut pas trop le dire) de l'Arabie saoudite dans la région. Les dirigeants saoudiens considèrent que l'affrontement entre Assad et ses opposants est pleinement intégré dans le cadre du combat existentiel du royaume contre son principal ennemi, l'Iran. C'est pourquoi l'Arabie saoudite est devenue le premier financeur et le premier fournisseur d'armes des rebelles sunnites qui combattent l'armée d'Assad soutenue par l'Iran chiite et le Hezbollah qu'il téléguide. C'est une politique de déplacement des conflits dans des territoires étrangers que mène le royaume. On l'a vu au Liban il y a quelques temps, les attentats sunnites sont pointés du doigt par les chiites et accusés d'être financés par la monarchie. En Syrie, le cas est le même: il s'agit avant tout et partout de combattre l'Iran, grande plaque sismique de faille dans la ligne sunnite des pays arabes avec Assad en Syrie.

    Il n'empêche que tous ces efforts ne paient guère et disons le, attirent les foudres des Occidentaux sur le pays. Les États-Unis ont refusé une intervention militaire en Syrie, signe des accords avec Téhéran et condamnent le terrorisme sunnite en Syrie (Jabhat al-Nusra et EIIL). Si bien que EIIL, correctement financé par les riches émirs du Golfe a du être "lâché" par l'Arabie Saoudite qui ne pouvait faire bonne figure sur la scène internationale si son alliance et sa responsabilité dans la création du groupe étaient prouvés.

     

    Questions d'Orient - Le 19 février 2014


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  • Iran:

    la mauvaise foi de l'ayatollah sur le nucléaire ?

     

     

    Alors que le processus était enclenché, voilà que l'ayatollah iranien, chef suprême du pays après la révolution islamique, a jeté une pierre dans la mare en déclarant fermement que les discussions déjà houleuses ne mèneront à rien.

    La déclaration du seul et unique décisionnaire dans les dossiers stratégiques est intervenue alors que la délégation iranienne venait d'arriver à Vienne pour la suite des négociations. Les pourparlers doivent reprendre mardi en présence du chef de la délégation iranienne, le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif et des puissances 5+1 (Russie, Chine, France, Royaume-Uni, États-Unis et Allemagne). Les discussions ont comme finalité, l'instauration d'un accord définitif venant confirmer l'accord provisoire de novembre 2013, tournant historique puisqu'il avait permis la reprise discussions entre Iran et diplomatie américaine. Et pourtant...les diplomates et le président progressiste Rohani pourront bien afficher toute leur bonne volonté, la décision finale sur le nucléaire reviendra à Khamenei dont la puissance reste suprême en Iran.

    Personnage charismatique et conservateur, il n'est pas interdit et même conseillé d'émettre des doutes sur une réelle bonne volonté de la part du l'ayatollah à vouloir traiter d'un sujet aussi important pour le pays perse. Les responsables iraniens ont récemment averti que les négociations "seront difficiles".


    "Certains responsables de l'ancien et de l'actuel gouvernement pensent que s'ils négocient dans l'affaire nucléaire le problème pourra être réglé, mais comme je l'ai également dit dans mon discours au début de l'année (iranienne, en mars 2013) je ne suis pas optimiste à propos des négociations et elles ne mèneront nulle part, mais je n'ai pas d'opposition", a affirmé l'ayatollah Khamenei devant plusieurs milliers de personnes à Téhéran. Le chef religieux iranien a insisté sur le fait que les discussions continuerons bien, mettant fin aux suspicions des dirigeants occidentaux qui craignaient l'arrêt des pourparlers et la perte des avancées considérables effectuées sur le terrain diplomatique depuis novembre 2013. Les négociations "commencées par le ministère des Affaires étrangères vont se poursuivre et l'Iran ne viole pas son engagement mais je le dis dès maintenant elles ne mèneront nulle part", a-t-il insisté.
    Il a toutefois demandé "aux responsables de poursuivre leurs efforts" pour faire aboutir les négociations tout en soulignant que la seule solution "est de renforcer la puissance nationale et les bases économiques du pays".

    Incontestablement, Téhéran a renforcé son image (et a beaucoup travaillé à ça aussi) depuis le départ des discussions et l'accord intérimaire de six mois conclu avec le 5+1 en novembre. Téhéran a accepté le gel d'une partie de ses activités nucléaires contre la levée partielle des sanctions économiques décrétées par les Etats-Unis et les pays européens. Depuis que la menace qu'un extrémisme politique puisse renverser d'un coup de main le Proche Orient a été éradiquée, l'Iran ne cesse d'envoyer des ambassades même chez ses pires ennemis: les pays du Golfe même le conflit syrien a légèrement refroidi les relations depuis quelques mois.


    Mais, si l'ayatollah semble jouer sur les mots avec des déclarations ambigües, les récentes déclarations du président américain Barack Obama et du secrétaire d'Etat John Kerry sur le fait que "toutes les options étaient sur la table" pour arrêter le programme nucléaire iranien en cas d'échec des négociations ont aussi particulièrement irrité les responsables iraniens.


    L'ayatollah Khamenei a dénoncé la politique américaine à l'égard de l'Iran en déclarant que "la nation iranienne n'acceptera jamais les pressions et le chantage des Etats-Unis". "La question nucléaire est un prétexte pour les Etats-Unis à leur hostilité à l'égard de l'Iran. Si un jour, la question nucléaire est réglée, ils évoqueront d'autres sujets comme ils le font maintenant avec celles des droits de l'Homme et des missiles balistiques" pour faire pression, a-t-il ajouté.

    La sous-secrétaire d'Etat Wendy Sherman, chef de la délégation américaine aux pourparlers sur le nucléaire a affirmé il y a peu qu'il fallait aborder la question brûlante du programme balistique de l'Iran lors des négociations finales sur le nucléaire. Les responsables américains ont également affirmé que les Etats-Unis ne devaient pas cesser d'imposer pour autant des sanctions contre le pays perse pour deux raisons d'ordre humanitaire et géopolitiques: la situation des droits de l'Homme et le soutien présumé aux groupes terroristes visant ainsi le soutien affirmé du Hezbollah et des gardiens de la révolution islamique (Pasdarans) au pouvoir de Bachar al-Assad en Syrie.

    Mais les négociateurs iraniens ont refusé de discuter de ces questions qui une fois de plus allument des foyers de discussions sur lesquels tout accord nécessiterait des mois de tractations puisqu'il mettrait en jeu des forces bien supérieures aux simples 5+1. "Ces questions n'ont rien à avoir avec les négociations" nucléaires, a affirmé M. Zarif dans un entretien publié lundi par l'agence officielle Irna.

    Il a aussi assuré que l'Iran n'acceptera pas qu'on lui "dicte ce qu'il doit faire" sur le maintien ou non des sites nucléaires, en particulier le réacteur à eau lourde d'Arak. "Le guide suprême définit les grandes lignes" de la politique du pays dans l'affaire nucléaire, a rajouté M. Zarif, en précisant qu'"il ne faisait qu'appliquer "ces politiques".

     

    L'Iran semble tirer la sonnette d'alarme: ne nous emballons pas trop, le message est clair, les relations ont pu être actualisé, elles sont encore loin d'être cordiales.

     

    Questions d'Orient - Le 17 février 2014


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