• Syrie:

    une transition pas encore...mais au moins des concessions !

     

    Alors que les pourparlers de Genève avancent vraiment très doucement, les deux partis sont à la recherche de concessions pour éviter de repartir bredouille de cette conférence internationale. Hier, dimanche 26 janvier, les discussions ont porté sur les deux questions d'amorces choisies par Brahimi, le médiateur international de l'ONU: l'aide humanitaire à Homs et la question de la libération de prisonniers.

    Mais c'est avec un visage fatigué que Lakhdar Brahimi a annoncé qu'il approchait peut-être d'une solution maintenant néanmoins le mot prudence comme le maitre mot de ces négociations. "Si tout va bien, à partir de demain [lundi], les femmes et les enfants pourront quitter la vieille ville de Homs". Rappelons que la vieille ville de cette magnifique cité est assiégée par l'armée du gouvernement syrien depuis juin 2012. M. Brahimi a aussi précisé que concernant tous les autres habitants souffrant d'un manque de nourriture, de maladies et de conditions de vies épouvantables, l'armée syrienne réclamait une liste précise des noms de ceux voulant sortir de l'étau.

    Fayçal Mokdad, le vice-ministre des affaires étrangères syrien, a maintenu le ton provocateur qui a caractérisé la délégation syrienne depuis son arrivée à Montreux: il a assuré que le gouvernement d'Assad avait autorisé la sortie des populations de Homs mais les termes employés restent toujours ambigus ... "Si les terroristes armés de Homs laissent les femmes et les enfants partir de la Vieille ville de Homs, nous leur laisserons la voie libre". Les combattants ou membres des instances civiles de Homs ont demandé une assurance que cette évacuation se passera dans le respect des lois sur les populations et qu'aucun civil ne sera arrêté. Il est néanmoins envisageable que le régime laisse cette mesure entrer en action pour gagner auprès des populations, des pays occidentaux et de l'opposition une crédibilité supplémentaire.

    La situation demeurait toujours aussi confuse, dimanche soir, sur l'aide humanitaire que le régime Assad semblait aussi avoir concédé. Là encore, M. Brahimi n'a été que très prudent dans ses déclarations, la situation pouvant s'inverser très rapidement: "nous espérons que les convois entreront dans Homs demain [lundi]", a-t-il dit. Mais Fayçal Mokdad a souligné que le passage des convois faisait encore l'objet de discussions entre le gouverneur de Homs et la représentation de l'ONU à Damas. « Pour nous, le plus important est que ces convois ne tombent pas entre les mains des terroristes », a-t-il rajouté d'un ton cinglant.

    Concernant les prisonniers, le sujet reste encore l'objet de très vives discussions et pour le coup, le régime n'a accordé aucune crédibilité à la liste de prisonniers qu'a fourni l'ASL. "Plus 70 % des personnes mentionnées n'ont jamais été en prison et 20 % d'entre elles ont déjà été libérées », a déclaré la délégation syrienne.

    Cette multiplication des obstacles montre le fossé abyssal qui sépare les deux camps et retarde les pourparlers. En introduisant les notions d'aide humanitaire et du sort des prisonniers, Brahimi pensait engagé un discours plus léger avant d'entrer dans ce qui a réuni les deux pouvoirs: la transition politique voulue par l'opposition. Le médiateur pensait débuter lundi les pourparlers sur la politique de demain en Syrie mais le prolongement des discussions sur Homs et les prisonniers semble repousser un peu plus le réel enjeu de la rencontre...mais enfin bon, cela servira peut être au moins à sortir de cette rencontre avec des résultats faibles mais concrets.  "Sortir la Syrie du fossé dans lequel le pays est tombé prendra du temps » a admis Brahimi. 

     

    Alors pourquoi tant de temps aussi? ll est clair et net que le peu de motivation dans les discussions politique jusqu'à hier du régime de Damas traduit son objectif premier: jouer la montre. Depuis l'ouverture de la conférence de paix sur la Syrie, mercredi dernier à Montreux, le pouvoir syrien a fait preuve de beaucoup de mauvaise foi, et de cynisme d'abord en réfutant la légitimité de la délégation de l'opposition, emmenée le CNS qui est à ce jour la seule colonne vertébrale des mouvements opposés au régime de Damas représentative d'une opposition divisée en liwâ et en katibâ mais manquant d'une légitimité certaine pour les groupes combattants: celle de sa présence sur le terrain. Puis en rejetant les discussions sur le sujet principal de réunion: une transition politique pour un pouvoir civil et une sortie de Bachar al-Assad. Le terrain doit être libéré pour le CNS devant ainsi former "instance de gouvernement transitoire dotée de pleins pouvoirs". Mais ce n'était pas vraiment l'avis de Omran Zoabi, le ministre de l'information de la délégation syrienne qui a déboulé dans la salle de presse dès le premier jour des négociations en martelant "qu'il n'y aurait pas de transfert de pouvoir et le président Assad reste en place".

    Le jeu géopolitique fait aussi que le régime est tout à son aise et peu se permettre son arrogance et son absence de motivation. Tant que Assad continuera de récolter du soutien politique, militaire et économique des russes et de l'Iran et que les combats ne menacent pas son intégrité, il n'y a aucune raison pour qu'il fasse des concessions. D'autant que ces discussions à Genève semblent aussi avoir un effet très néfaste sur l'opposition syrienne modérée, se divisant plus de jour en jour. Le Monde n'hésitait plus ce matin à poser la question de la survie de l'opposition syrienne à ces pourparlers. Cela s'est traduit par une aisance ultime à l'oral de Walid Mouallem, chef de la diplomatie syrienne faisant face à un faible orateur pourtant chef d'une délégation syrienne libre: Ahmad Jarba qui a du être remplacé pour parler créant un nouveau sujet de discorde.

    Une rhétorique parfaitement huilée, c'est d'une manière fine et puissante à la fois que les membres du gouvernement syrien ont abordé les questions humanitaires et des prisons. Bouthaina Chaaban, proche conseillère d'Assad a traité avec grand mépris la situation à Homs, dont les quartiers rebelles de la ville sont bombardés quotidiennement  par l'armée syrienne: "l'autre partie est venue ici pour discuter d'un petit problème ici ou là. Nous, nous sommes là pour débattre de l'avenir de la Syrie", a-t-elle lâché. Concernant le sort des détenus, Omran Zoabi s'est montré plus fin en assurant que Damas souhaitait réellement régler la question des prisons "sans discrimination" mais en rappelant les multiples enlèvements de journalistes ou civils dans des zones rebelles et en assimilant dans le même mouvement, les groupes salafistes djihadistes et l'opposition modérée. Le CNS s'est vu accusé implicitement de cette manière d'enlèvement et de séquestration.

    Sur le terrain, les pourparlers n'ont pas du tout calmé l'ardeur des deux camps et des combats violents ont opposé dimanche les forces syriennes et l'ASL dans plusieurs quartiers de Damas (OSDH). Les combats auraient lieu à Jobar (est Damas) et à Port-Saïd dans le sud de la ville. A Alep, des violences sporadiques se poursuivent: un adolescent de 15 ans aurait probablement été abattu par un tireur d'élite de l'armée hier.

     

    Comme le rappelle Le Monde, les conflits évoluent mais le rôle de l'ONU reste le même et pourtant...si béant semble ce fossé, si infranchissable semble ce gouffre et si démodée semble cette devise du diplomate britannique, Robert Cecil, l'un des architectes de la Ligue des Nations, gravée en lettres dorées sur un mur du premier étage du siège de l'ONU à Genève :"les nations doivent désarmer ou périr"...

     


    Questions d'Orient - Le 27 janvier 2014


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  • Syrie:

    logiques et sociologie d'une révolte, genèse d'une guerre civile (3/3)

     

    Dans cette troisième et dernière partie de notre réflexion sur la sociologie de la révolte syrienne, nous allons nous intéresser aux structures préexistantes dans la société civile syrienne avant la révolte de mars 2011. Pour cela, nous nous interrogerons sur la création et l'évolution des tissus sociaux caractérisés par les associations et leurs droits dans les premières années des Assad en Syrie. L'objectif sera de montrer qu'il existe bien une société civile en Syrie, fragile, instable mais réelle et développée concrètement dans les années 2000. Il sera intéressant de voir comment cette société a muté durant les premiers mois des révoltes d'autant que les mutations n'ont jamais été logiques et les différentes organisations se sont ralliées à tel ou tel camp suivant des objectifs bien précis. 

    Pour montrer qu'il préexistait bien cette société civile en Syrie, une idée souvent contestée, il conviendra de montrer qu'il y a eu des moments forts de fracture sociale traduisant diverses décisions ou contexte politique mais qu'il existe aussi des éléments de continuité qui sont le reflet de l'existence de cette société.

     

    Pour comprendre ces mouvements, il nous faire un petit peu d'histoire évènementielle sur les évolutions sociales en Syrie peu avant l'arrivée de Hafez al-Assad.

    Depuis les années 1960, la société syrienne a toujours été caractérisée par une forte inertie due au fort encadrement de  l'appareil étatique baath. Dans un tel contexte, il est donc intéressant de se demander quel rôle ont eu les organisations associatives. Les premières existaient avant 1963 et avaient été autorisées par une loi en 1958 et en 1990, une certaine ouverture d'esprit de Hafez al-Assad a fait espérer un renouveau. Les restrictions du régime se sont adoucies mais on observe d'un point de vu quantitatif qu'il n'y aucun changement réel dans le tissu social et dans le milieu associatif. 

    En juin 2000, Bachar al-Assad hérite du pouvoir de son père. A ce moment là, les chiffres permettent d'affirmer que le tissu associatif est composé d'environ 500 associations. Ces dernières sont officielles, souvent contrôlées par des membres du parti baath et déclarées auprès du ministère des affaires sociales et du travail. Le poids de la société civile n'est pas donc considérable. Il faut néanmoins prendre en compte la création en parallèle de ces associations formelles, un réseau beaucoup plus souterrain et fournissant des aides sociales aux populations. Enfin, il existe aussi des associations d'activistes militant pour les droits de l'homme et qui ont comme seul objectif de renforcer le poids d'une population affaiblie et encadrée. 

    Quand Bachar a accédé au pouvoir, ses premiers pas ont été axés sur des actions sur ce tissu social pour faire de la société civile un pilier indestructible de son pouvoir. Ces priorités sont aussi à la mode à ce moment et marchant dans les sillons de la famille Moubarak en Egypte ou des rois jordaniens, ses proches et membres du partis baath se lancent dans toutes sortes d'actions d'évergétisme tout en faisant des promesses d'une plus grande ouverture d'esprit et d'une lutte contre la corruption. Le régime a très vite déchanté et s'est senti menacé par la prise de conscience du peuple des nouvelles libertés. Des forums de discussions avaient été mis en place à Damas où ils étaient très actifs. Dès lors de Bachar al-Assad s'est senti menacé, la répression a été immédiate et les forums ont été fermés, leurs leaders emprisonnés. C'est ce qu'on a appelé le printemps de Damas. 

    C'est la première fois que Bachar a fixé une ligne rouge à sa population, confirmant ainsi la continuité d'une politique rude et sans merci où toute discussion évoquant la liberté semblait déplacée. Néanmoins, comme le souligne la sociologue espagnole spécialiste de ces questions de tissu associatif en Syrie, Laura Ruiz de Elivra Carrascal, la diminution de l'espace public syrien n'a pas entrainé un retour au statu quo du temps de Hafez al-Assad. 

    En 2004, et la proximité des dates témoigne de ce dynamisme incontestable d'une société syrienne renfermée par obligation sur elle-même et qui ne demande qu'à s'épanouir, le peuple syrien connait une nouvelle phase d'euphorie. Cela ne se traduira jamais avant mars 2011 par des manifestations de l'ampleur qu'ont connu des villes comme Alep ou Homs mais on assiste à la multiplication des initiatives dissidentes au pouvoir entre 2003 et 2007. Les transformations sont visibles dans le paysage associatif syrien dès 2005. Des témoignages de syriens évoquent "l'ouverture de la porte pour la création de nouvelles associations". Et les nouvelles mobilisations sont rapidement traduites par des actions du gouvernement d'Assad et par une redéfinition de la politique étatique concernant la société civile. Comme lors du printemps de Damas, le gouvernement souhaite via ces mesures, faire de la société civile un partenaire concret de dialogue. 

    Mais cette fois, le gouvernement accompagne ces paroles d'espoir de mesures de normalisation sur le territoire syrien. Par processus de normalisation, entendons des mesures d'enregistrement et d'officialisation de beaucoup d'associations qui existaient sans autorisation dans l'ombre des quelques organisations civiles autorisées. En 2005, le verrou d'accès à cette sphère de l'associatif ayant sauté, le nombre d'associations explose et le gouvernement gagne des points dans les sondages: le mot liberté semble enfin prendre une réalité concrète dans la vie sociale syrienne. Le discours du gouvernement s'est donc caractérisé par des mutations quantitatives sur "le terrain" mais aussi qualitatives avec deux changements majeurs: la diversification dans les thèmes associatifs (environnement, social, développement de structures...) et l'introduction de nouveaux termes dans un discours renouvelé: le terme de développement social notamment. Le secteur caritatif, par exemple qui constituait 60 à 70% du paysage associatif syrien autorisé dans les années 2000 a connu de fait, des changements révélateurs. 

    Alors, lorsque l'on voit de telles mutations sociales dans le paysage syrien dans ces années 2003-2007, on peut s'étonner des mesures prises par Assad pour "libéraliser" la vie syrienne. Il convient de se demander pourquoi, ces mesures. Plusieurs facteurs sont explicatifs de ces changements. Tout d'abord, on estime à la baisse voir à l'épuisement les ressources de l'Etat syrien à ce moment qui pousse de cette manière le gouvernement à appliquer cette politique de décharge. Mais on peut aussi mobiliser la théorie de l'application croissante de l'économie sociale de marché dès 2005, une telle politique favorisant l'interventionnisme d'Etats ou d'acteurs autres dans les activités politiques et dans les apports à la population syrienne. Cette intervention extérieure a accéléré la perte de vitesse du pays sur la scène internationale et un affaiblissement de ses positions. Ce renforcement de liens avec la population peut être vu comme une recherche d'un soutien perdu dans les relations internationales.

    Ses actions qui correspondent à un mouvement ascendant vis-à-vis de la questions sociale ont permis à Assad de jouer un double rôle: rester le grand maitre de l'éxecutif dans le pays mais aussi d'être le bon père de famille dont la femme et l'entourage s'engagent dans de grandes actions de solidarité sous la houlette d'associations. Il faut voir dans l'ensemble de ces actions une réelle stratégie de survie du régime, une survie pour consolider ses positions et pour s'affirmer comme dirigeant juste tout en faisant passer sous un joli nuage, de fermes mesures de contrôle et d'encadrement...digne d'un Octave (alis Auguste)...

    En réalité, les effets et conséquences de cette politique ont été imprésivibles, incontrôlables et même contradictoires. En voulant survivre comme il pouvait, le régime syrien a créé de toutes pièces, une société à deux vitesses donc traductrice flagrante de l'échec baath.

     

    Mais alors, que peut être devenue une société qui paraissait fragile dans ses fondements lors de la crise puis de la guerre civile? Les mutations et transitions sont évidentes. Beaucoup de réseaux sont intervenus et ont été créés comme les conditions le permettaient et sont mis à géner les autorités en organisant des manifestations ou des rassemblements. Ces réseaux ont souvent été lancés par d'anciens activistes faisant ainsi usage de leur expérience d'anti-système et de contestaires mais mettant aussi à profit des réseaux de connaissances à l'étranger. Mais ces réseaux ont aussi été fondés par des jeunes d'une vingtaine d'années n'ayant que très peu d'expérience. Laura Ruiz de Elivra Carrascal estime justement que ce décalage générationnel compte beaucoup pour la simple et bonne raison que ces jeunes n'ont pas connu les années sombres de Hama.

    Ce maillage de réseau est donc construit très tôt par une solidarité apparente dans les manifestations et un dynamisme révolutionnaire germant depuis plusieurs années, mais aussi par le biais de réseaux virtuels: à l'image de l'Égypte, Facebook ou twitter jouent un rôle extrêmement important pour coordonner des actions cohérentes au sein des khatibas ou encore par le biais d'une expérience galvanisatrice et rassembleuse qui a permis l'attraction de militants et une conscience politique nécessaire pour comprendre la nécessité de la mobilisation.

    Ces cellules appelées tansîqiyyât (coordination locale) ont été rapidement fournies en activistes, 10 à 20 en moyenne et il en a surgit des dizaines dès les premiers mois de la révolte. Véritables structures civiles de formation, prévention et assistance, ces tansîqiyyât ont axé leur travail autour de la notion de révolution pacifiste: enseignement de comment manifester, collecter et diffuser des informations dans un pays où les réseaux internets ont été très vite fermés, surveillés et ou toute plateforme classique de discussion devenait un danger. Ces cellules des premiers mois se sont montrées efficace mais leur taille relativement petite a tout de suite restreint leur action. Seules les villages ou petites villes ont eu l'occasion d'accueillir ces cellules de coordination locale dans les premiers mois du conflit. Peu à peu, les quartiers ont aussi servi de frontières pour l'établissement d'un territoire propre à une tansîqiyyât.

    Historiquement parlant, la révolte pacifique s'est caractérisée par l'établissement de deux noyaux centraux pour coordonner les actions menées à l'échelle nationale. Ces deux structures: la Commission Générale de la révolution syrienne créée en août 2011 et les Comités Locaux de Coordination (LCC) créés en avril 2011 ont permit de regrouper cette mosaïque de tansîqiyyât pour éviter un éparpillement, des actions doubles et non crédibles. Mais tout n'a pas été simple non plus et notre présentation pourrait faire croire que cette centralisation des actions n'a fait que fonctionner. Bien au contraire, les territoires et provinces aussi avaient leur propre identité et l'intensité des liens entre ce tissu social local devenu tansîqiyyât et les deux grandes instances syriennes libres a été très variable.

    D'autant qu'avec la militarisation et la violence grandissante peu à peu dans les rues des villes et devant faire face aux blindés du régime, d'autres structures ont été fondées, comités résistants de 100 à 400 militants prônant la désobéissance civile et encore plus difficile à gérer. Le rassemblement physique entre résistants étant très dangereux, ces jeunes car ces mouvements étaient souvent coordonnés par des jeunes ont voulu prôner une résistance civile louable d'autant qu'ils ont du faire face directement à l'armée et ont créé des plateformes virtuelles donnant une puissance folle aux réseaux sociaux. Ces espaces virutels d'une vingtaine de jeunes comme à Berze, des jeunes ne se connaissant pas, sont parvenus à exprimer leurs revendications par des actions d'éclat dans l'année 2011: baptiser des rues aux noms des martyrs, verser de la peinture rouge dans les fontaines... Mais cela s'est montré bien faible par la suite bien entendu...nous connaissons tous la suite.

    L'évolution du conflit en faveur d'une militarisation destructrise tant humainement que matériellement a accentué aussi le poids des organismes humanitaires qui ont pris le dessus sur des groupes sociaux comme les tansîqiyyât décapités de leurs leaders des premiers jours morts sous les balles ou la torture, en exil ou emprisonnés. C'est comme cela que le tissu social a vu naître des associations montées parfois dans des pays étrangers comme l'Allemagne par des opposants mais agissant sur des territoires non négligeables. D'autres structures sont aussi moins visibles, proches des milieux islamiques, elles opèrent en silence et dans l'ombre du Jabhat al-Nosra ou de Da'ech mais prônant une idéologie semblable ou proche des Frères Musulmans. Il n'est pas surprenant d'apprendre que les financements de ces groupes circulent via des pays comme le Qatar ou la Turquie en revanche il serait plus surprenant d'apprendre que ces financements peuvent servir à la construction de four à pain ou d'infrastructures publiques...toujours la même ambiguité des actions des islamistes.

    Ce sont néanmoins les structures civiles qui prédominent depuis 2012 environ mais cela grâce aussi à leur favorisation par les structures internationales, ces dernières préférant ériger des organisations sociales civiles pour rivaliser avec l'anarchie djihadistes et commencer à implanter de suite dans le paysage politique syrien, des structures pouvant faire office plus tard d'organisations représentatives et représentants le mieux les populations. Cette décentralisation des pouvoirs permet localement de faire du civisme un remplacant efficace de l'État...mais pour combien de temps?

     

    Pour conclure, nous avons donc vu que malgré ses fragilités et l'encadrement drastique du régime syrien sur la société civile syrienne, cette dernière existe belle est bien depuis 1958 avec des associations. Son histoire reste malgré tout inégale et les conjonctures politiques ont fait que la géopolitique du tissu associatif syrien a connu de nombreux soubresauts. La transformation et la mutation de ces structures en font actuellement des acteurs majeurs de la crise syrienne et des interlocteurs directs potentiels pour aujourd'hui mais surtout pour la Syrie de demain, une Syrie se cherchant des hommes dignes de parler devant l'Occident et de faire face aux djihadistes. Il faudra néanmoins encore beaucoup de travail pour transcender les revendications locales qui prédominent pour l'instant sur les structures nationales souvent représentées par des hommes en exil.

    La fragmentation du tissu associatif fragilise la société civile déjà amputée par une guerre sanglante. Mais une vision d'ensemble tend quand même à relativiser cette fragmentation en admettant l'efficacité de ces structures souterraines déjà vieilles de plusieurs années et défiant/décrébilisant ouvertement le régime par les actions parallèles et civiles efficaces qui resteront probablement comme les coups d'éclat d'individus ayant donné une âme et un coprs à une révolution qui se voulait pacifique dans ces premiers pas.

     

    Questions d'Orient - 25 janvier 2014


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  • Liban:

    objectifs et menace concrète d'al-Qaïda

     

    Les bombardements anonymes (où presque...) des localités libanaises de la provinces de la Békaa posent un certain nombre de questions sur l'implantation et les dangers que font peser les groupes accusés de ces bombardements. La situation à la frontière libanaise et irakienne a pris une toute autre tournure depuis les attaques à Ramadi et Falloujah et depuis l'exacerbation des passions confessionnelles suite aux bombardements ciblés.

    Quels sont ces localités de la Békaa? Il ya les villages chiites de Boueida, Kasr, Laboué, le village sunnite de Ersal, le village chrétien de Baalbeck et le village multi-confessionnel de Fakiha. Le fait qu'aucune communauté n'ait été épargnée n'est bien entendu pas anodin et les auteurs des attaques avaient l'objectif d'alimenter les discords idéologiques.

    La stratégie a été efficace et relativement bien élaborée. Il s'est agit dans un premier temps d'un attentat suicide contre un fief du Hezbollah sur fond de crise syrienne à Hermel. Le lendemain, la localité de Ersal à majorité sunnite a été bombardée à son tour, faisant ainsi croire que les chiites se vengeaient de la veille. Mais le lendemain de l'attaque à Ersal, c'est la localité chrétienne et mixte qui ont entrainé le Liban dans une discorde générale; surtout que les auteurs des attaques n'avaient guère été identifiés sur le moment.

    En réalité, les attaques auraient été commises depuis le nord-est d'Ersal sur un jurd: un territoire partagé entre la Syrie et le Liban. Le jurd d'Ersal en question comprend sur les terres syriennes, les localités de Yabroud et Douma elles-mêmes situées dans le Qalamoun et le rif de Damas. Alors pourquoi autant de précisions géographiques? Parce que la direction et la localité trahit les auteurs des attaques. Le jurd et ces terres sont le fief et le bastion des plus extrémistes djihadistes syriens: Da'ech et le Jabha al-Nosra.

    Une source arabe diplomatique proche du dossier syrien a confié au quotidien libanais francophone l'Orient-Le Jour que Da'ech est l'organisation qui a, actuellement, le plus d'intérêt au glissement du front syrien sur les territoires libanais. En créant une discorde confessionnelle et en alimentant une psychose favorable au déclenchement de conflits armés, EIIL vise à pousser le Hezbollah au désengagement du théâtre syrien pour faire face aux problèmes intérieurs.

    Cette même source a expliqué que EIIL (Da'ech) a été créé tout comme le jabha al-Nosra par les services secrets saoudiens et qataris il y a deux ans alors que l'ASL créée par la Turquie commençait à s'affaiblir. L'objectif de Da'ech était une internationalisation du djihad sur la terre syrienne et la constitution d'un front commun entre la Syrie (nouvelle terre de djihad) et l'Irak, une terre de djihad où la charia est en perte de terrain et où les fronts islamistes resentent le besoin d'un stimulant. Le stimulant, c'était la Syrie et l'objectif a été plutôt réussi. Des milliers d'hommes se sont retrouvés dans des camps jordaniens pour se préparer avant de passer la frontière syrienne. Les deux formations extrémistes se sont donc partagées ce qui restait du territoire syrien lors de leur arrivée mais ont surtout eu tendance à rejoindre la frontière irakienne et turque au nord et libanaise au sud. La Turquie a rapidement réagi en fermant ses frontières mais les affrontements et le regain de violence dans la province irakienne sunnite d'Anbar montre bien que l'Irak n'a pas su faire face à cette djihadisation du conflit syrien.

    Concernant Da'ech, la source arabe via l'Orient-Le Jour montre comment Da'ech suit dorénavant son propre mouvement de dynamisme et s'est auto-développé. Toutefois, si ces semaines Da'ech a du faire face à une double difficulté avec la guerre contre l'ASL c'est aussi parce que sa génitrice, l'Arabie Saoudite a été contrainte de lâcher son joyaux islamiste suite aux attentats de Volgograd où Poutine a menacé l'Arabie Saoudite de changer la géographie et la géopolitique des régions voisines et suite à l'attentat à Beyrouth visant l'ambassade iranienne et où les services secrets saoudiens ont été immédiatement visés...

    En lâchant Da'ech, les wahhabites ont lancé à sa poursuite l'ASL et les katibas voisinnes qu'elle finance aussi tandis que le Qatar s'est retiré plus ou moins du dossier syrien. Si cette dernière information semble à prendre avec des pincettes, cela paraît néanmoins envisagable. Et pourtant...EIIL s'est montré beaucoup plus coriace qu'on ne s'y attendait. Le groupe djihadiste parvient à garder Falloujah en Irak malgré les pressions de l'armée et parvient à garder des portions de territoire syrien tout à fait considérable tout en faisant glisser les conflits au Liban pour entrainer le "Hezb" dans un conflit interne et pour se défaire de la main l'étranglant en Syrie suite aux conflits contre les rebelles laïcs (ou presque).

    Deux points semblent à retenir pour l'expert cité par OLJ: c'est d'abord que l'armée libanaise semble prête à faire face à ces dégradations sécuritaires mais c'est aussi de EIIL ne bénéficie plus d'aucune couverture étatique solide qui puisse défendre le groupe.

     

    Néanmoins, la situation libanaise préoccupe suite au double attentat d'Haret Hreik. Quand la première bombe a explosé, les services libanais n'avait qu'une crainte: voir apparaître sous leurs yeux ce que les autorités refusent d'admettre depuis des années à savoir qu'al-Qaïda est implantée solidement dans la société libanaise, pourtant connue pour sa tolérance et sa coexistence. Et bien entendu, c'est ce qu'il s'est passé puisque la première voiture était conduite par Qouteïba al-Satim, jeune libanais originaire d'Akkar.

    Serait-ce assez pour que les autorités puissent enfin arriver à l'essentiel? Al-Qaïda au Liban n'est pas seulement constituée de cellules dormantes mais elle est enracinée dans un milieu social favorable à l'exacerbation de ses thèses dans une société pourtant traditionnellement peu perméable à ces idées extrémistes.

    Cela rend toute intervention des forces de l'ordre très complexe car dans un climat de psychoce où chaque confession se sent visée, toute intervention est rapidement vue comme une atteinte à la partialité qui doit caractériser les forces de l'ordre.

    Depuis deux décennies, La Base semble se cristalliser dans une mosaïque sociale mélangée au Liban dans la plus grande indifférence des parties. En 1995, le cheikh Halabi des Ahbache est assassiné en pleine ville de Beyrouth. Le 11 septembre 2001, le pilote du vol 93 écrasé en Pennsylvanie s'appelle Ziad Jarrah et il est originaire de Marj dans la Békaa. Le phénomène est donc longtemps resté tabou et l'inaction falgrante dont on fait preuve les autorités rend difficile toute intervention dans certains secteurs comme Ersal où l'armée ne peut plus rentrer.

    Les noyaux takfiristes salafistes ont donc toujours été présents depuis deux décennies mais mal acceptés. Si le gouvernement commence actuellement à réagir c'est aussi parce que la guerre en Syrie semble faire du Liban un deuxième front mais c'est aussi parce que c'est groupes commencent à profiter des changements sociétaux au Liban et à bénéficier d'un meilleur accueil de la population. Un état d'esprit qui change dans un pays mixte, symbole de la coexistance (même au sein des partis politiques)...comment réagir? Sans vouloir être pessimiste, il faut s'accorder sur le fait que Liban risque de traverser des jours difficiles.

     

    Questions d'Orient - Le 22 janvier 2014


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  • Syrie:

    al-Assad en manque de combattants à la veille de Genève II

     

    Alors que la conférence de Genève II vient d'ouvrir ses portes aux délégations syriennes pro et anti Assad hier et que M. Ban Ki-moon et les ministres des affaires étrangères M. Lavrov et M. Kerry ont inauguré la cérémonie par un discours appelant à prouver au monde entier que malgré les difficultés, la communauté internationale pouvait se mobiliser pour trouver une solution, deux rapports ont été publié dans les deux jours derniers. Les deux pourraient avoir de graves conséquences sur l'attitude adoptée par les membres des délégations pro-Assad. Le premier serait un rapport commandé par le Qatar et donc à prendre avec des pincettes et ferait état de massacre à grande échelle dans les prisons syriennes. Le deuxième est intéressant d'un point de vue géostratégique.

    C'est sur ce rapport que nous allons nous pencher. Il a été relayé par les sites d'informations en ligne du Damas Post mais aussi par All4Syria et indique que le président Assad, chef suprême des armées syriennes a mis en place hier un décret qui "autorise le retour dans l'armée des soldats, sous-officiers et officiers versés à la retraite, ayant démissionné, bénéficié d'une dispense ou mutés à une fonction civile de l'Etat". En ralliant les troupes assadistes, ils pourraient récupérer le grade qu'ils arboraient au moment de leur départ si celui-ci est intervenu depuis moins de 3 ans.

    Ce décret est arrivé en Syrie comme une autorisation et une seconde chance donnée aux anciens ou aux punis mais les sites en question admettent qu'il s'agirait plus d'une mesure d'urgence fasse à la pénurie de troupes de l'armée régulière. Ce déficit vient de plusieurs facteurs. Tout d'abord, l'armée syrienne régulière, d'après les chiffres mis à disposition a subi des pertes énormes dans les combats mais aussi un taux de désertion extrême souvent chez les officiers. Mais aussi parce que le principal allié guerrier des troupes d'Assad était le Hezbollah. Et ce dernier semble commencer à se retirer doucement et discrètement du champ de bataille. Mais pourquoi cet allié chiite de poids se retirerait-il? Tout d'abord parce que lui aussi a subi de très importantes pertes dans les villes syriennes et les attentats. Que ses soldats ont souvent dénoncé un comportement déplacé des militaires syriens, laissant le "Hezb" en première ligne et récoltant des fruits mûrs d'une victoire donc ne se mettant vraiment pas en danger. Il faut rajouter à cela, le procès Hariri qui commence tout juste et dans lequel cinq membres du groupe libanais sont impliqués. Ce procès constitue un poids supplémentaire alors même que le pays libanais est rongé par l'extansion permanente de la guerre syrienne et par une crise politique ministérielle.

    Ce rapport et le décret montre aussi que les mercenaires divers auxquels Al-Assad fait appel constamment dans ces trois ans de guerre n'auront guère fait le poids, ni même les miliciens loyalistes du régime, agents infiltrés et passés maîtres dans l'art de la dénonciation: ce sont les chabbihas. L'armée n'aurait guère su s'appuyer que sur sa garde républicaine et ses forces spéciales, les autres corps comme les Forces de Défense nationale, totalement soumis à un régime en place quel qu'il soit, n'auront pas pu faire la différence. Le rapport montre aussi que les cellules confessionnelles venues d'Irak, du Yémen, du Pakistan ou d'Afghanistan, cellules pour la plupart chiites n'ont pas satisfait l'objectif d'un président Assad qui se serait bien vu comme grand défenseur des minorités (entendons chiites, coptes...).

    Il faudra maintenant compter sur ses anciens, vétérans, officiers ou soldats. Le rapport fait état d'un appel unanime aux militaires ayant commis des fautes graves, ou ayant été placés dans des postes civils en guise de punition ce qui pourrait faire penser que la situation est assez catastrophique, militairement parlant, pour le régime; perte de crédibilité dont ce régime se serait sûrement bien passé quelques jours avec Montreux. Cet appel aux anciens combattants est aussi une manoeuvre habille pour éviter les dépenses extrêmes dans les formations rapides et insuffisantes pour des bataillons de soldats inexpérimentés et décimés rapidement. Les anciens et leur sortie récente (3 ans) font de ceux qui vont revenir, des armes toutes prêtes et toutes formées pour le régime. 

    Ce recrutement dans l'urgence semble accréditer les chiffres qualifiées de "données terrifiantes" sur "la situation militaire du régime" après près de trois ans de guerre civile. Ce rapport a été publié "sous le timbre" de la direction conjointe de l'Armée Syrienne Libre, il est disponible en arabe et en anglais et donne les chiffres suivant estimés à une marge d'erreur de + ou - 5% sachant que l'armée syrienne régulière comptait environ 300 000 hommes au début de la crise syrienne, en mars 2011.

    -> 189 000 (soit 61 % des effectifs de l'armée) le nombre des militaires recherchés par la Sécurité militaire pour défection, désertion ou refus de rejoindre leurs casernes. Il s'agirait de 6 000 officiers, 7 500 sous-officiers et 175 500 hommes de troupes appartenant à toutes les communautés ;
    -> 3 000 le nombre d'officiers déserteurs réfugiés dans des camps spéciaux en Turquie et Jordanie, et 3 700 celui des officiers déserteurs restés en Syrie ou coopérant, sans avoir déserté, avec la révolution ;
    -> 40 000 au maximum (13 % des effectifs de l'armée) le nombre des militaires aptes au combat sur lesquels Bachar al-Assad est en mesure de faire appel avec une totale confiance. Appartenant pour la plupart à la Garde républicaine et aux Forces spéciales, ils sont en majorité membres de la communauté alaouite ;
    -> 38 000 le nombre des militaires présents dans les casernes mais que le régime s'abstient d'engager dans les combats de crainte de les voir déserter. Ils appartiennent eux aussi à toutes les communautés ;
    -> 24 000 le nombre des officiers (70 % de ce corps) n'ayant pas déserté, qui sont majoritairement alaouites ;
    -> 60 000 le nombre des militaires disparus (19 % de l'effectif de l'armée). Certains d'entre eux sont morts et ont été enterrés dans des fosses communes. D'autres sont détenus au secret dans les prisons militaires. Le sort des derniers est inconnu ;
    -> 3 500, dont 145 alaouites, le nombre des officiers détenus dans leurs casernes, en prison ou dans les geôles des services de renseignements pour avoir refusé d'obéir aux ordres d'ouvrir le feu et de tirer sur les civils ;
    -> 4 500 et plus le nombre des sous-officiers de toutes confessions détenus dans les mêmes conditions et pour les mêmes raisons ;
    -> 65 000 le nombre des conscrits et des rappelés détenus dans les prisons militaires pour n'avoir pas répondu aux appels sous les drapeaux ;
    -> 135 000 et plus le nombre des membres de l'armée et des services de sécurité tués depuis le début du conflit. Parmi eux 68 000 (51 % du nombre des victimes) appartenaient à la communauté alaouite ;
    -> 40 à 50 le nombre des militaires de toutes confessions tués chaque jour sous la torture, et inhumés sous de simples numéros dans des fosses communes ;
    -> 125 000 à 130 000 le nombre des militaires, agents des moukhabarat
    , membres des milices populaires ou des chabbiha
    , blessés, estropiés ou invalides. De 90 000 à 100 000, soit autour de 75 % d'entre eux, sont originaires de la région côtière ;
    -> 45 000 au maximum le nombre des hommes actuellement engagés dans l'armée de défense nationale, les comités populaires et les chabbiha, voués à constituer le gros des victimes par manque de formation;
    -> 40 000 et plus le nombre des combattants chiites extrémistes non syriens, rémunérés pour suppléer au déficit en hommes de l'armée régulière. Environ 60 % d'entre eux sont des mercenaires civils, rapidement entrainés. Ils proviennent d'Irak, d'Iran, du Liban et de Syrie même ;
    -> 277 le nombre des appareils de l'armée de l'air abattus, détruits dans leurs hangars ou hors d'usage. Sur 340 chasseurs, bombardiers et hélicoptères en état de voler au début du conflit, seuls 63 le sont encore aujourd'hui. Près de 30 % des 25 avions de transport, hélicoptères non adaptés aux combats et avions de reconnaissance sans pilote, sont actuellement en panne ou hors de service ;
    -> 7 le nombre des aéroports militaires pris par l'Armée libre ou ses alliés, encerclés ou inutilisables. L'un d'entre eux est utilisé comme caserne ;
    -> 2 200 le nombre des chars ou véhicules blindés de divers types partiellement ou totalement détruits. L'armée syrienne possédait 3 600 véhicules de ce type il y a trois ans. Sur les 1 400 qu'il lui reste, 20 % environ sont hors de service, par suite de pannes techniques ou par manque de pièces de rechange ;
    -> 65 % le pourcentage des centres de défense aérienne, de stations de radar et de lance-missiles totalement ou partiellement détruits. Ils sont situés dans les régions nord, est et sud, et autour de la capitale. Les centres situés dans la région centre ont été moins affectés. Ceux situés sur la côte sont tous en état de marche ;
    -> 55 % le pourcentage des forces de la défense aérienne hors service ;
    -> 65 % le pourcentage des édifices militaires détruits en général, y compris les matériels et les équipes ;
    -> 69 % le pourcentage de superficie du territoire national échappant à l'autorité du régime. De ce chiffre, 46 % est totalement passé sous le contrôle de l'Armée syrienne libre, 10 % est contrôlé soit par l'ASL, soit par d'autres forces, et 13 % est contrôlé de jour par le pouvoir et la nuit par l'ASL ;
    -> 65 % à 70 % le pourcentage des édifices sécuritaires détruits ou hors de service. Ce chiffre englobe les bâtiments, les équipements, les matériels, les équipes et les véhicules.

     

    Les chiffres étant fournis par une agence engagée dans le combat et prenant donc parti, sont à prendre avec précaution mais pourraient se situer dans des ordres de grandeur réalistes.

    Le nombre de désertions chez les soldats réaliste humain ou chez les officiers par surprise et dégoût du jeu réel du régime a considérablement affaibli l'armée, décapitant ainsi des unités fortes et organisées mais devenues sans chef, des chefs militaires hauts gradés désormais à la tête de grandes katibas ou brigades (liwâ) dans l'ASL. Ce n'est donc pas avec ces militaires réguliers qu'al-Assad tient mais bien grâce aux mercenaires et aux aides militaires et financements iraniens. Le pays chiite, allié de longue date des Assad a su mobiliser comme il faut des alliés fournissant ainsi des combattants souvent chiites ou des conseillers en stratégie militaires et des financements efficaces à l'armée régulière.

    Cet engagement très productif de l'Iran en terme de durabilité pour le régime Assad et pour le maintien de l'armée dans les noyaux urbains syriennes nécessaires au contrôle des routes et des axes explique les raisons du refus de siéger aux côtés d'une délégation iranienne de la part de l'opposition. Cette dernière avait fixé trois points, conditions sine qua none que devait respecter le pays iranien. Le paysdevait  reconnaître les principes du communiqué de "Genève 1" mais aussi s'engager à ne pas faire perturber les négociations de Genève II  et accepter ce qui pourrait sortir des éventuelles disucssions. Mais ils doivent aussi commencer immédiatement à rappeler les combattants dont ils sont responsables à la fois de la présence en Syrie et des crimes qu'ils commettent, au nom de Bachar al-Assad et à son profit. L'Iran, qui a commencé par refuser les principes de Genève I s'est vu exclure quelques vingt-quatre heures avant le début de la conférence.

     

    Questions d'Orient - Le 22 janvier 2014


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  • Syrie :

    logique et sociologie d'une révolte, genèse d'une guerre civile (2/3)

     

     

    Ce soir, dans ce nouvel article qui suit la première partie où nous nous sommes interrogés sur le point de départ sociologique de la révolte syrienne, nous nous intéresserons au rôle qu'a joué l'État syrien dans la confessionnalisation et la djihadisation de la révolution.

    La question centrale de notre propos sera: comment sommes-nous passés d'un printemps arabe à un enfer? Nous verrons comment une mobilisation citoyenne a glissé vers un propos à revendications universelles dont certains ont perverti le contenu. Nous verrons aussi comment nous sommes passés d'un pays où la confession de chacun importait bien peu à un conflit sectaire haineux invitant les différentes populations ethniques (pour les Kurdes) ou confessionelles à se massacrer. On part donc du principe qu'il ait eu un moment où un lien infracitoyen aurait dénaturé la contestation syrienne. Qui aurait pu ainsi désynchroniser un tel mouvement d'union? Comment cela?

    La première question nous appelle à parler du lexique révolutionnaire. Qu'entendons-nous par lexique révolutionnaire? Entendons lexique de revendications démocratiques, musulman ou islamiste. Qu'en est-il au départ de la contestation? Il est indéniable que le lexique est presque exclusivement musulman. Cela ne signifie pas que la révolution ne regroupe que des musulmans mais ce lexique est un petit peu l'union de tous, le seul grand dénominateur commun. A l'évidence la Syrie est un pays multiconfessionnel (7.5% de coptes chrétiens, sunnites, chiites, druzes...) mais on compte une écrasante majorité de la population d'obédience sunnite (80% de la population environ). Et historiquement parlant, dans l'histoire du 20ème et 21ème siècle en Syrie, les sunnites ont toujours été au coeur de la cible répressive du régime Assad d'obédience chiite. Il faut par exemple rappeler l'épisode de Hama en 1982 qui marque le grand échec de la révolte des Frères musulmans contre Hafez al-Assad, un siège de la ville qui fit entre 10 000 et 40 000 morts selon les estimations. Ce massacre avait certe été fomenté par les frères musulmans mais parmis les révoltés il fallait aussi compter un certain nombre de représentants de la haute bourgeoisie sunnite. Cet épisode exemplaire a permis à al-Assad d'installer durablement son pouvoir et si de tels actes de guerre ne se sont plus reproduits, les sunnites sont toujours considérés comme rabaissés économiquement ou socialement.

     

    Ce premier paragraphe présente donc de manière succinte la population syrienne avant la crise de 2011. Au début de la crise, la première manière de s'émanciper des normes physiques imposées a été de se laisser pousser la barbe, faisant ainsi de beaucoup d'activistes, des hommes barbus assimilables à des djihadistes. Ce premier mode d'expression "libre" s'est donc peu à peu installé comme une nouvelle norme en parallèle avec la lutte armée. Alors bien sûr, cela n'a pas concerné la totalité de la population syrienne mais les combattants assez systématiquement et cela est encore vérifiable dans les vidéos circulant sur le net.

    Ce lexique restant bien un lexique musulman doit être aussi assimilé à une part d'opportunisme, les chefs sachant très bien que les aides financières viendraient en premier lieu des pays du Golfe et quand il s'agit de plaire... Ces sollicitations intervenaient bien sûr en contradiction avec l'attitude attentiste européenne qui a laissé une profonde frustration dans la communauté syrienne et qui est accusée d'avoir accentuée le fossé creusé entre les membres des hautes instances syriennes de l'opposition en exil et les combattants du terrain.

    De plus, la militarisation du conflit peu à peu suite aux répressions féroces a aussi rapidement explicité la surreprésentation sunnite parmi les combattants. En lisant et écoutant des sociologues ayant à disposition des chiffres plus complets sur les composantes sociales de la révolte armée, il faut admettre qu'il y a une variable sociale dans la mobilisation notamment dans les quartiers défavorisés. Mais comme je l'ai dit précédement, les alaouites sont rarement défavorisés tandis que les sunnites n'ont guère accès à l'ascenseur social ce qui fait du conflit un conflit surtout axé sur des revendications sunnites contre un ennemi commun stigmatisant systématiquement les mêmes catégories. Cette réaction logique d'affirmation dans la communauté sunnite doit donc être vue comme un facteur d'une révolution composée essentiellement sunnite.

     

    Maintenant, intéressons-nous à la confessionnalisation de la révolte. Comme mentionné au début de l'article, la Syrie avait ça de particulier qu'elle n'était en rien un pays où les confessions jouaient dans les relations sociales entres quartiers et entres voisins. Beaucoup de manifestations partaient de mosquée car ces lieux permettaient de vrais rassemblements mais certaines sont aussi partis d'Église. En réalité, la révolution syrienne a été confessionnalisée par le régime qui a, pour le coup, réussi un coup de maitre en utilisant les fameux adages: diviser pour mieux régner et l'union fait la force.

    Alors, comment faire lorsque l'on veut désynchroniser une telle révolte? En Syrie, au début de la contestation pacifique, les contestataires n'avaient absolument aucun intérêt à exacerber les divisions sectaires qui auraient considérablement affecté et affaibli les masses. Pour une reconnaissance de tous, il fallait des dénominateurs communs larges et universels. L'intérêt du régime était tout le contraire: le but des gouvernants était justement de faire de la révolution un danger sécuritaire pour certaines castes et casser le mouvement commun en faisant de chacun un ennemi potentiel. D'une manière très cynique, al-Assad est parvenu à déplacer sur le terrain sécuritaire, une contestation qu'il savait incapable de remporter sur le terrain diplomatique et politique. De cette manière, le gouvernement est parvenu à jouer avec la radicalisation du mouvement et avec sa militarisation en oeuvrant astucieusement pour faire émerger (créer de toutes pièces) un adversaire radical servant à légitimer la répression. Et c'est en cela que la révolution syrienne ne peut être comparable à la révolte égyptienne ou tunisienne. Le gouvernement est parvenu à divisier la communauté sur des bases d'appartenances religieuses et ethniques. 

    Concernant le cas ethnique, la population kurde joue un rôle majeur dans la contestation. Mais le régime a justement accepté de soutenir les revendications autonomistes, concessions politiques habiles permettant la dissociation de ces groupes autonomismes de ceux unis, arrivant progressivement sur l'échiquier politique.

    Concernant les chrétiens, le régime a aussi joué le jeu de la séparation et des enjeux sécuritaires. Alors même qu'il était presque grossier de parler de divisions idéologiques dans le pays avant la révolte, le régime a exacerbé ces passions religieuses en répandant de grandes affiches éloquentes mettant en scène des figures citoyennes rattachées implicitement à des groupes idéologiques. Alors que Bachar avait volontairement supprimé cette notion de rattachement à un groupe du discours politique, on peut considérer qu'il l'a pleinement réintroduit lors des manifestations anti-régime.

    Pour résumer, le gouvernement a donc mis en place ces affiches pour créer une scission en introduisant le risque qu'une communauté non nommée s'en prenne à une autre par le biais de revendications démocratiques cachant des animosités bien différentes. On peut citer l'exemple de ces affiches d'une jeune fille portant le hijab l'assimilant donc à la communauté sunnite et disant: "Lorsqu'on me demande qu'elle est ma confession, je réponds que je suis syrienne". Le régime inclut qu'une partie de la population véhicule des idéologiques devenues sectaires dans un pays où cela ne tient pas et voulant ainsi diviser la Syrie, ce que cherche aussi à faire l'ennemi habituel du président Assad: Israël.

     

    Il faut donc prendre en compte ce facteur dans l'accélération de la confessionnalisation, de la radicalisation et de la militarisation de la contestation syrienne. Aux vues des évènements actuels, on peut admettre que le régime a très bien réussi son travail.

    Pour ce qui est de sa propre défense au niveau local, national voir international, le régime a aussi su exploiter avec brio les voix égarées pour les raccrocher à la cause d'al-Assad puis pour les faire témoigner et répandre la bonne parole. Citons la, la soeur Marie Agnès de la Croix s'est particulièrement illustrée dans ce travail de propagande pro-régime allant jusqu'à plaider la cause Assad à Genève ou dans les milieux religieux européens avant de retourner sous la protection du Hezbollah. Un tel exemple ayant eu une telle aura dans les milieux syriens et européens montre bien que la communauté s'est très vite divisée et les chrétiens notamment se sont toujours démarqués par une solide attache à Bachar car il faut bien admettre qu'avant la révolte...ils étaient tranquilles...maintenant plus rien n'est sûr.

    Tous les chrétiens n'ont pas raccroché la cause du régime et certains se sont même fait reconnaitre dans les contestations en faisant taire soeur Marie Agnès ou en demandant aux darons d'ouvrir les yeux sur les réalités du terrain, transcendant ainsi le clivage générationnel qui avait fait que beaucoup de ces darons s'étaient raccrochés à leur protecteur de toujours, ralliement plus rationnel et logique. C'est d'ailleurs encore un facteur de complexité dans la compréhension et la lecture de la crise étant donné l'absence totale de logique dans les différents rapprochements.

    Mais ces séparations sans logique explicative ont divisé des familles entières ou bien des voisins, des quartiers...l'objectif est pleinement rempli. Je cite là le témoignage d'une femme chrétienne rapporté par François Burgat: cette femme vivant dans un quartier à majorité sunnite mais cela n'avait aucune incidence sur la vie puisque tous étaient amis et prenaient des nouvelles les uns les autres. Du jour au lendemain, cette femme a vu les regards se baisser, les mots devenir froids et les têtes se détourner lors de son passage. L'amitié n'a plus eu sa place dans un conflit où chacun protège son clan selon une logique proche du tribalisme. Mais c'est aussi sur ces logiques d'instigation à la haine sectaire qu'ont rapidement appris à surfer les jeunes révoltés à majorité sunnites. Citons une nouvelle anecdote. Dans les premiers temps des manifestations pacifiques, l'objet le plus dangereux pour un homme arrêté était son téléphone. Combien ont été trahis par leur historique et répertoire, leur page facebook ou le contenu de vidéos anti-régime. Peu à peu, des témoignages rapportent que toutes les vidéos étaient supprimées...sauf une. Cette vidéo s'est même répandue comme LA vidéo à avoir sur son téléphone pour les manifestants. De quoi s'agit-il? La vidéo d'origine irakienne et n'ayant rien à voir avec la révolution syrienne durait environ 5 secondes et montrait une tête décapitée ruisselant sang tenue par un homme portant hijab...un sunnite.

    Il y a donc eu dans la dynamique de radicalisation un mouvement inérant à l'ère du temps: l'image du croisé partant lutter pour sa foi, sa terre sainte et son peuple... D'autant qu'il est rationnel aussi que dans un contexte aussi tendu, la religion prenne vite le relais sur le reste. En radicalisant le conflit et en le confessionnalisant de sorte que chacun veuille combattre pour son clan, pour la défense de son idéologie, Bachar al-Assad est parvenu à faire voler en éclat les revendications des premiers temps qui était celles d'un peuple syrien uni contre un régime; un vrai face-à-face dualiste. Et les procédés du régime ont tellement bien marché qu'ils ont pris une crédibilité énorme lors de l'arrivée sur la toile des combattants, des groupes extrémistes djihadistes au discours sectaire. Le discours révolutionnaire pouvait être un discours au lexique musulman et de cette sorte il peut émerger une parole islamonationaliste avant une ligne rouge de l'idéologie radicale "anti-tout". L'opposition a logiquement voulu minimiser ces groupes qui défaisaient toute la crédibilité de l'ASL mais le noyau dur constitué, il était trop tard...d'autant que le régime avait besoin d'eux pour les combattre tous. C'est ainsi qu'al-Assad a repris un semblant de légitimité dans sa lutte à l'échelle internationale et que l'afflux de combattants partant pour la Syrie a commencé à effrayer l'opinion internationale. Ces combattants se caractérisaient par un discours sectaire extrait de toutes dimensions temporelles et territoriales. Pour eux, ils s'étaient battus avant et se battraient après quelque soit l'endroit... On peut comprendre la crainte de telle revendications.

    Alors pour conclure il est bon se demander d'où sont sortis ces djihadistes? Irak? Sûrement mais pas tous! Beaucoup sont sortis des prisons syriennes en 2011 après avoir été combattre en Irak puis retirés de la circulation lorsque Damas a voulu se réconcilier avec Washington (en gage de légitimité, beaucoup de combattants islamistes ont été livrés aux États-Unis par Damas) et relâchés lorsque Damas a eu besoin d'un facteur de légitimité pour ouvrir le feu. La djihadisation a donc été une oeuvre en grande partie due au régime.

    Dans les trois ans qui se sont écoulés depuis le déclenchement de la crise, Damas a réussi à donner une superficie assez importante à ces groupes pour que l'opposition perde beaucoup de crédibilité et de soutien.

    La question est: doit-on pour autant changer notre vision vis-à-vis de l'opposition? Je n'ai aucune réponse précise à donner et ce n'est pas mon rôle mais beaucoup admette que cela ne doit rien changer à nos "plans". Pourquoi? Parce qu'à mesure que ces groupes se sont émancipés de la tutelle de l'État syrien, leur parole a changé. Beaucoup de combattants employant le langage confessionnel ont néanmoins abandonné la condamnation sectaire. Ressort cette phrase très ambivalente d'un leader local de Jabhat al-Nosra: "Le premier qui touche à un cheveux d'un chrétien, je me déplace personnellement pour lui trancher la gorge". Complexe d'identifier la véritable pensée qui se cache derrière une phrase aussi étrange venant d'un chef islamiste.

    Enfin, pour conclure sur ces groupes extrémistes, il faut aussi souligner la présence de nombreux groupes d'origine irakienne sur la terre syrienne. Cela vient de l'histoire régionale du pays: ces groupes ont réalisé que dès lors que la régulation politique était revenue sur le terrain institutionnel dans le pays, ils ne parvenaient plus à accaparer une part assez significative du marché politique les poussant à revenir en Syrie. D'autant que pour des groupes tel que EIIL, la Syrie, le Liban et l'Irak ne forment désormais plus qu'un seul et unique front de djihad.

     

    Pour autant, et l'année 2014 nous le confirme peu à peu, la population ne semble guère disposée à accepter une telle domination par une frange radicale et religieuse construit par la conjonction de la confessionnalisation liée à la violence de la répression et à la construction d'une opposition djihadiste par le régime.

    A suivre...

     

    Questions d'Orient - Le 17 janvier 2014


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