• Drapeaux de l'Islam: connaissons-nous vraiment les symboles ?

    Drapeaux de l’Islam :

    connaissons-nous réellement les symboles ?

     

    Dans un moment de regain de tensions en France entre populations musulmanes et juives sur fond de crise à Gaza, des photos émergent, présentant le plus souvent des manifestations et des regroupements en soutien avec les Gazaouis.

    Dans ces moments là, des drapeaux arabes surgissent pour venir haranguer la foule et attiser l’élan identitaire si fort chez les populations arabes. Une photo m’a néanmoins surpris. Elle a été prise à Lyon. On y voit un attroupement brandir le drapeau palestinien mais aussi et surtout deux drapeaux arabes : l’un présentant la shahada sur fond vert et l’autre sur fond noir.

    Mais connaissons-nous réellement la signification de ces deux drapeaux que nous autorisons tandis que certains maires ont mis en place des arrêtés préfectoraux durant la coupe du monde interdisant tous drapeaux d’une équipe nationale ?

     

    Le drapeau vert est en effet bien connu des amateurs du  monde arabe car il est le drapeau de l’Arabie Saoudite. Sa signification tranche pourtant à un détail près avec l’autre drapeau. Le détail est bien sûr la couleur de fond. Et quand il s’agit de symbolique et notamment sur des sujets aussi sensibles, les esprits ont tendance à s’embrouiller. Je ne prétends pas simplifier ici la situation mais au moins essayer de résumer les enjeux historiques, politiques et religieux qui s’entrechoquent dans ces symboles.

    La chose est très claire, le drapeau noir sur lequel se plaque la shahada est aujourd’hui un emblème salafiste c'est-à-dire que s’approprient les groupes islamistes extrémistes. Nous en connaissons deux : celui similaire au drapeau de l’Arabie Saoudite et celui qui, actuellement, se trouve sur toutes les photos en provenance de Syrie ou d’Irak. Les inscriptions qui semblent manuelles sont plaquées en blanc et tranchent avec le noir très fort du drapeau. Au centre se trouve un cercle ovoïde malhabilement tracé qui contient trois inscriptions : Allâh, Rasûl, Muhammad. Et depuis 2011, ce drapeau et ses formes se répandent des zones tribales pakistanaises aux maquis yéménites rejoignant aussi les bâtiments des zones désertiques africaines.

    S’il s’agit bel et bien aujourd’hui d’un symbole et d’un drapeau adopté par la mouvance djihadiste, peut-on affirmer qu’il s’agit aussi d’une création djihadiste ? Justement non et c’est là qu’est souvent commise une erreur. Le 03 avril 2013, une Femen tunisienne vivant en France brûle la shahada et ce drapeau devant la Grande Mosquée de Paris. Selon la page Facebook de Femen France, la jeune fille a agit contre la mouvance djihadiste en brûlant un de leur drapeau, comme symbole du combat des femmes contre la sauvagerie de l'extrémisme religieux. Or selon le chercheur germano-égyptien Abdelasiem al-Difraoui (docteur à Sciences Po Paris et auteur d'Al-Qaïda par l'image, la prophétie du martyr), en présentant le drapeau de la shahada comme le drapeau « salafiste », les Femens tombent dans le piège tendu par les salafistes djihadistes. Ce drapeau n'est pas le drapeau « salafiste», mais une récupération d'un symbole de l'Islam par les salafistes qui cherchent à s'approprier ce symbole. Ce drapeau est simplement un symbole de l'Islam en général, venu directement des sources médiévales. Cette erreur démontre que les salafistes ont remporté une victoire en parvenant à implanter une représentation dans l’esprit des citoyens européens.

     

    Le sceau prophétique

    En effet, l’une des significations historique de ce drapeau serait à chercher chez le sceau historique adopté par le Prophète Muhammad. On aurait ici la référence aux premiers âges de l’Hégire, l’âge des pieux ancêtres contemporains de Muhammad, les salafs que cherchent aujourd’hui à imiter par les actions de la vie et par leurs mœurs idéalisées les salafistes. La calligraphie particulière du drapeau présenté avec le rond central serait une référence au style koufique, calligraphie des écrits islamiques.

    Le rond aussi est symbolique et l’explication se trouve dans les Écritures saintes de l’Islam. « Quand le Prophète eut l’intention d’écrire une lettre au souverain des Byzantins, on lui dit que ces gens ne la liraient pas si elle n’était pas cachetée d’un sceau. Alors le Prophète se fit faire un anneau d’argent (…) et fit graver dessus "Mohammed, Messager d’Allah ».Hadith rapporté par Boukhari, (Vol.4, livre 52,189). Ce sceau, que l’on retrouve aussi en bas de quelques lettres attribuées au Prophète de l’Islam destinées aux rois voisins pour leur demander d’embrasser la nouvelle religion, est son anneau sigillaire.

     

    La couleur comme traduction de la volonté politique

    Bien que l’Islam, du temps du Mahomet et donc durant sa formalisation progressive n’ait été symbolisé par aucune couleur ni emblème particulier, le vert, réminiscence du Paradis verdoyant, est habituellement associé à la foi musulmane tout comme le croissant et l’étoile à cinq branches censée représenter ses cinq piliers. C’est ainsi comme cela que doit être lu le drapeau de l’Arabie Saoudite.

    Si aucune couleur ne peut être considérée comme représentante de l’Islam en général; le noir, le blanc (symbole de pureté), le vert et même le rouge (celui du sang des martyrs) ont acquis une certaine notoriété.

    Toutefois, le Prophète Mahomet, pour des raisons politiques, était tenu de représenter la communauté musulmane naissante sous un ou plusieurs drapeaux, particulièrement en temps de guerre. Selon plusieurs sources historiques, deux étendards auraient été hissés à diverses occasions, le premier entièrement noir, appelé Al-Raya, et le deuxième intégralement blanc, appelé Al-Liwa.

    Les deux auraient été frappés de la shahada et auraient remplis un rôle bien défini: Al-Raya n’aurait été utilisé que pour le djihad guerrier, alors qu’Al-Liwa aurait eu un rôle distinctif de la Umma (la communauté des croyants) musulmane, symbolisant le rassemblement des fidèles unis par la foi.

    Le pavillon personnel de Mahomet était connu sous le nom Al-Uqab (L'Aigle). Il était noir, sans symbole ou marque distinctive. Son nom et sa couleur ont été empruntés, dit-on, de celui d’Ali Ibn Hussein, chérif de La Mecque.

    Le drapeau noir est donc perçu comme la reproduction de la bannière des Musulmans d’Arabie, à l’aube de l’Islam, celui de la tribu des Qurayshites à laquelle appartient le Prophète.

     

    La référence dynastique ?

    Néanmoins, on peut aussi y voir une référence à une crise dynastique : la succession, dans la violence de la dynastie omeyyade par la dynastie abbasside.

    Ce fut un esclave persan, Abou Muslim, qui brandit pour la première fois le drapeau noir qui donna naissance à la dynastie des Abbassides (750-1016). Les califes Abbassides ont fondé leur revendication pour le califat en leur qualité de descendants d'Al-Abbas Ibn Abd al-Muttalib (566-662), l'un des oncles de Mahomet. C'est en vertu de cette descendance qu'ils se considèrent comme les héritiers légitimes du Prophète de l’Islam, par opposition aux Omeyyades (au blason blanc) qu’ils chassèrent du pouvoir.

    Leur dessein était d’établir un État plus profondément musulman. La dynastie abbasside a donné naissance à d’illustres califes comme Al-Mansûr, Al-Ma’mÅ«n ou encore le légendaire Harun al-Rachid qui ont participé à l’extension et à la propagation de la religion musulmane, de la langue arabe ainsi que d'une conscience universaliste de l'islam qui caractérise tout le monde médiéval musulman. Paradoxalement, c’est aussi sous leur direction que commence le lent déclin de la civilisation arabo-musulmane.

    Ceci dit, leur attachement à un islam salafiste (au sens originel du terme) a toujours séduit les tenants d’un retour aux sources perdues de la religion. Les premiers soldats abbassides étaient vêtus de noir et auraient inspiré, tout comme leur bannière, la tenue caractéristique des djihadistes d’aujourd’hui.

     

    Une signification chiite ?

    De nos jours, le drapeau Al-Raya est considéré par les chiites duodécimains comme le futur étendard de l’islam, lors du retour du Mahdi. Ce dernier, dont le nom en arabe signifie à la fois «l’homme guidé (par Dieu)», «celui qui montre le chemin » ou le «le bien-guidé attendu» (Al-Mahdi Al-Mountadhar) désigne le «sauveur» des Musulmans devant apparaître à la fin des temps.

    Le Mahdi apparaîtrait durant les derniers jours de l'existence du monde et serait un signe majeur de l’Apocalypse. Sa venue précèderait la seconde venue de Jésus (le Messie) sur Terre.

    Pour l'islam chiite, le drapeau noir est l’emblème du douzième martyr, l'imam caché chargé de mener l’ultime bataille contre les infidèles d'établir un jour la loi dominatrice de Dieu sur Terre.

     

    Un signe prophétique ?

    Les djihadistes sunnites inspirés par Al-Qaïda font aussi référence à une célèbre prophétie en lien, selon certains avec le Mahdi, relatée par de nombreux hadiths (paroles de Mahomet), qui dit selon les chroniqueurs de l’Islam Tarmidhi et Abu Hurairah:

    «Du Khurasan (province d’Afghanistan) émergeront les bannières noires que nul ne pourra refouler. Les armées qui les porteront continueront d’avancer jusqu’à ce qu’elles atteignent ‘Illya (Jérusalem) et qu’elles plantent leurs drapeaux dans sa terre».

    De cette prophétie découlerait donc l’utilisation par des groupuscules djihadistes de drapeaux noirs portant la shahada. On l’a vu à Tunis avec la chute de Ben Ali, sur la place Tahrir, à Bagdad, à Benghazi, à Islamabad, à Kaboul… et même lors de manifestations à caractère identitaire dans les capitales européennes ou aux Etats-Unis.

    Certains chercheurs qui remettent en doute certaines sources historiques de l’Islam des origines (selon eux, Mahomet avaient aussi comme drapeau distinctif un fanion blanc ou jaune —la couleur fétiche du Hezbollah libanais—selon les circonstances) établissent une filiation beaucoup plus récente à l’étendard noir. Il ne remonterait qu’aux années 1920 où des groupes islamistes l’ont adopté comme symbole de ralliement après la chute de l’Empire Ottoman. Ceci dit, les Frères musulmans d’Egypte, dont l’objectif avoué est de rétablir un ordre califal, ont pour emblème un drapeau vert où figurent deux sabres croisés.

     

    S’il est très clair qu’aujourd’hui les djihadistes du Moyen-Orient ont remporté une victoire symbolique en réussissant à s’approprier ce drapeau noir, il faut néanmoins en connaître clairement le symbole historique.

    Cela ne m’empêche pas de trouver très étrange qu’il soit toléré d’arborer un tel drapeau dans une manifestation de soutien au peuple palestinien en France. Qu’est-ce que cela signifie ? N’allons surtout pas essayer de trouver une excuse historique à ces utilisations dans un temps de guerre. La signification est ici bien guerrière et elle est un symbole de ralliement au mouvement Hamas, mouvement islamiste terroriste qui contrôle la bande de Gaza. Quand l’on connaît la signification et l’intérêt porté à la guerre en terre mécréante (dar al-shâm) par les combattants djihadistes, nous ferions bien de faire un effort de compréhension sur les symboles qui nous entourent pour les contrôler…

    ap_osama_bin_laden_jef_130502_wg

    Ben Laden lors d’une conférence de presse à Khost en Afghanistan en 1998.

     

    Questions d'Orient - Le 17 juillet 2014


    Tags Tags : , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :