• Égypte: jeu de pouvoir et guerres souterraines avec le Hamas

    Égypte:

    jeu de pouvoir et guerres souterraines avec le Hamas

     

    Le 3 juillet de l'année passée, Mohamed Morsi, président élu démocratiquement et membre des Frères Musulmans est destitué par l'armée égyptienne. Depuis ce jour, le maréchal Sissi est devenu l'homme fort du pays et il fait le ménage. Nous ne parlerons pas des répressions plus ou moins condamnables contre les manifestations fréristes aujourd'hui; non nous parlerons de l'importance des relations géopolitiques que cette destitution a exacerbé et des conséquences que cela a dans les territoires voisins palestiniens.

    Quel impact alors sur les relations avec le Hamas et le Fatah (les deux organismes de lutte palestinienne qui sont totalement désunis) mais aussi quel impact sur les relations entre le Hamas et le Fatah? L'un profite...l'autre ramasse et Sissi joue admirablement.

    Avec la destitution de Morsi, le Hamas est devenu du jour au lendemain l'ennemi public numéro 1 en Égypte. C'est assez logique pour quelques raisons. Tout d'abord Sissi se trouve devant un groupe qui adopte une attitude pour le moins ambigüe vis-à-vis du  nouveau président. N'ayant pas hésité à qualifier la destitution de Morsi d'inqilâb (en arabe coup d'État), ils s'attachent maintenant à se montrer beaucoup plus délicats en martelant que les égyptiens sont libres dans leur organisation intérieure de leurs choix politiques. En bon militaire, Sissi n'a pas hésité à trancher fermement et sans concession: trop d'ambiguïté n'est pas bon signe et le Hamas est désormais un ennemi d'Égypte. Bien sûr, il y a une autre raison à cela. L'objectif premier de Morsi lors de son accession au pouvoir après la desitution de Moubarak a été de faire retirer le Hamas de la liste officielle des organisations terroristes par les États-unis. Échec, double échec même ! C'est désormais les Frères Musulmans qui sont considérés comme organisations islamiques en Égypte et Sissi assimile de fait le Hamas au courant frériste.

    Pour s'opposer finement au Hamas et dans un respect qui semble sincère pour les populations de Gaza, le maréchal égyptien a opté pour une destruction quasie totale des tunnels souterrains servant à alimenter le Hamas et Gaza en vivres et armes et permettant de toucher de hauts revenus au Hamas par le biais des taxes. Rappellant la situation de juin 2007 où l'ONU, les États-Unis, la Russie et l'Union Européenne avaient entrepris de mettre en place un blocus pour contrer la prise de Gaza par la force par le Hamas, aujourd'hui Sissi a comme objectif "d'étrangler" économiquement le Hamas dans son territoire pour amorcer une révolte des 1 millions 700 000 habitants de la région.

     

    C'est le 9 novembre 2013 que Mahmoud al-Zahas a indiqué que tous liens avec l'Égypte étaient rompus. Il avait aussi indiqué à al-Watan, un journal égyptien qu'un homme du Hamas n'avait jamais interagit dans les affaires intérieures de son voisin. Mais voilà, l'armée égyptienne dit le contraire. Et l'armée en Égypte en ce moment c'est le pouvoir. Les militaires accusent le mouvement islamiste d'aller bien au-delà de simples interférences mais de financer de groupes djihadistes dont les bases sont dans le Sinaï. Ces groupes auraient revendiqué un certains nombres d'attaques au Caire depuis la fin de la révolution et notamment le week-end dernier en abattant un hélicoptère de l'armée égyptienne tuant les cinq militaires. Le plus puissant de ces groupes est Ansâr Beït al-Maqdess et serait rattaché à al-Qaïda. C'est une accusation que le Fatah a aussi lancé au Hamas. Il y aurait même preuve de ces liaisons via des documents que Mahmoud Abbas aurait transmis à l'Égypte.

    Toujours est-il que, si sur ces affaires de terrorisme il faut impérativement rester au conditionnel, sur le reste la guerre semble bien déclarée. Très intéressante pour l'Égypte cette guerre puisqu'elle lui permettrait d'ancrer sa lutte contre les Frères Musulmans dans une perspective régionale et lui accorderait plus de légitimité. Agitant le voile et construisant la psychose d'une sorte de "complot" ou "conspiration" entre fréristes et Hamas, la population n'a pas eu de mal à se ranger derrière Sissi, figure carismatique des purges contre les islamistes. D'autant que les quelques attaques à la voiture piégée contre des postes de police la semaine passée et le crash de l'hélicoptère ont accordé (au prix de vies humaines néanmoins) une crédibilité à ces paroles.

     

    En juin 2007, lors de la prise de pouvoir dans la bande de Gaza, le Hamas arrive à se constituter comme une force assez puissante en contournant les blocus imposés par Israël. Comment ? Par cette fameuse utilisation des réseaux souterrains avec l'Égypte, une Égypte qui accepte malgré tout cette contrebande pour éviter une crise humanitaire dans les territoires palestiniens car ce commerce souterrain représente 80% des besoins de Gaza. Il est donc indispensable pour les populations et pour le Hamas, chef des populations qui récupère des taxes dessus. Tout cela pour montrer qu'avec ces liaisons et étant donné la position géographique d'isolement de la bande de Gaza, le Hamas s'est attaché avec des chaines de fer à l'Égypte; une dépendance quasie totale garante de sa survie. Et aujourd'hui ça coince parce que Sissi, après avoir déclaré la guerre au Hamas détruit les tunnels.

    Cette destruction n'est pas réellement nouvelle et elle avait déjà été envisagée avant les printemps arabes. La chute de Moubarak a été un facteur d'accélaration puisqu'en 2012, des innodations voulues ont été réalisées dans ces réseaux souterrains puis à nouveau en 2013. Deux vagues finalisées par une destruction quasie en totalité (90% des tunnels) avec l'arrivée de Sissi. D'après le ministre de l'économie al-Rafati, ces destructions signfieraient une perte de 230 000 000$ pour le Hamas en pleine crise.

    Mais alors qu'en est-il des populations? Dit ainsi, la méthode ne semble pas franchement favorable aux populations tandis qu'en réalité le gouvernement égyptien ne veut en aucun cas qu'on puisse lui reprocher une crise humanitaire entrainée par la fin des tunnels. C'est ainsi que les militaires égyptiens laissent transiter sans aucun regard, des valises d'argent vers Gaza pour permettre l'approvisionnement.

     

    Enfin, la dernière stratégie de Sissi est de parvenir à rassembler les adversaires de toujours du Hamas pour affablir ce dernier. Rien de très créatif mais ça marche. En Égypte ce type de politique est assez traditionnelle et l'armée a toujours accordé une préférence au Fatah. Depuis 2007, les membres du Hamas agitent leur victoire par la force à Gaza comme la conséquence directe des tentatives d'inqilâb menées par le Fatah et organisées depuis le Caire. Dans l'idéologie du Hamas, cette prise de position à Gaza a toujours été vue comme une seconde libération après le départ de l'armée d'Israël de ce même lieu en 2005. En ce qui concerne une telle attaque et une soumission par des moyens non diplomatiques, le Hamas n'emploie guère le terme d'inqilâb, mais bien plutôt d'Hassem qui signifie que la situation demandait une prise de pouvoir radical.

    Alors que la guerre est déclarée entre Égypte et Hamas, le Fatah l'a compris...l'heure a sonné et Sissi lui ouvre la porte pour affaiblir son adversaire de Gaza pris en étau au sud et à l'est.

     

    Questions d'Orient - Le 31 janvier 2014


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