• Syrie:

    logique et sociologie de la révolte, genèse d'une guerre civile (1/3)

     

    Le premier article sera consacré à l'étude de la genèse de la révolte syrienne, ce qui a convaincu les syriens de s'exposer et quelle(s) cause(s) sociologiques ont pu aboutir à une nationalisation du conflit. 

    Une révolte, révolution enfin ce que connait le pays syrien actuellement doit nécessaire être conçu comme une crise discontinue d'un point de vue sociologique. Une telle étude sur les comportements sociaux qui ont pu pousser aux soulèvements doivent prendre en compte les différents temps sociaux de la contestation, des temps sociaux qui ne se valent pas ! C'est bien pour cela qu'il est tout à fait nécessaire de pouvoir mener à bien des enquêtes (tâche que remplissent les gens accrédités sur le terrain) mais aussi de pouvoir s'interroger sur ces phénomènes que notre civilisation occidentale a qualifié de printemps arabes. 

    Alors, si l'on veut comprendre l'actuel enlisement et phénomène de guerre civile meurtière qui anime actuellement le Proche Orient, il faut se demander qu'elle peut être la genèse d'un tel soulèvement, un soulèvement qui a ça de particulier qu'il n'a pas évolué de la même manière qu'en Tunisie ou en Egypte. L'interrogation que l'on retrouve dans la bouche des sociologues experts en la question est: pourquoi descendre dans la rue pacifiquement dans un contexte tel que celui d'une dictature. Cela représentait un véritable pari sans la longévité pour les habitants syriens, un pari osé rarement conçu dans un tel climat de tensions. 

    Si l'on étudie cela sous l'angle du comportement rationnel qui caractérise l'être humain et qui en fait un être différent d'un animal, il n'y a en fait aucune piste réelle. Le pari est extrêmement dangereux, chacun risque à chaque fois de ne pas retrouver son lit le soir alors...pourquoi? L'attitude classique d'une population dans un tel cas est une attitude attentiste pour bénéficier des résultats du combat des autres. En Syrie, si le combat pacifique n'a pas concerné toute la population dans un premier temps, certaines provinces ont quand même vu une part majoritaire de leur population descendre vite dans la rue. C'est notamment le cas du gouvernorat d'Alep. Cela n'est donc pas concevable sous l'angle de la rationnalité humaine. 

    On entend beaucoup parler aussi de la notion sociologique de "choc moral". C'est ce que beaucoup utilisent pour justifier l'entrer en révolution et le passage à la lutte armée. Il s'agirait d'un évènement choquant, surprenant, inattendu. En Syrie, beaucoup ont vu ce choc dans l'arrestation par les moukhabarat de jeunes adolescents torturés à mort pour graffitis anti-régime. Mais ce n'est pas un choc moral car on ne peut admettre que les syriens ont appris quoique ce soit concernant les pratiques de terreurs exercées par le régime. La torture en Syrie était quelque chose "d'admis" et chacun savait pertinemment qu'une séquestration passait par la torture. Cette atrocité de mars 2011 n'a donc pas été une surprise, revanche elle a suscité de l'indignation. 

    Si ce n'est pas cette rupture cognitive appelée choc moral alors comment expliquer le soulèvement? 

    Il est un cas fréquent dans la construction de contestations: l'utilisation de ressources préexistantes dans la société, ressources mobilisables pour construire une base sociale de contestation. Et ce schéma classique est trop classique pour la Syrie. Il ne peut s'y appliquer dans la mesure où il n'a jamais existé sous Bachar al-Assad, d'autres partis ou organisations rassembleuses sous une bannière idéologique. Le régime a beaucoup travaillé là-dessus et il a tellement bien travaillé que ce ne peut être par mobilisation de ressources sociétales. Cela s'est d'ailleurs traduit très vite par un loyalisme sans faille (à quelques exceptions près) des religieux à Bachar. Dans le gouvernorat d'Alep notamment, les religieux n'ont pas suivi les mouvements de contestation et sont restés solidement ancrés au régime. C'est en cela que la Syrie s'est grandement différenciée des autres révolutions en Tunisie ou en Égypte. 

    Est-ce alors le système de solidarité tribale. Il existe dans le nord de la Syrie un réseau de solidarité, des communautés, des 'asabiya. Michel Seurat (mort lors de ses recherches) s'était focalisé sur cette notion d''asabiya et avait montré leur rôle dans certaines révoltes. Mais ici, l'hypothèse ne tient guère. Pour Élisabeth Picard (du CNRS et de IREMAM) qui a travaillé sur l'identité et les questions de sécurité au Proche-Orient arabe, il faut donc relativiser le rôle de ces communautés. 

    Ces ressources auraient-elles pu être créé dans l'action? La question mérite d'être posée mais l'efficacité du régime post révolte mais aussi durant les premiers mois des mobilisations a entravé toute mise en réseau d'un groupe et de revendications diverses. La contestation n'a pu non plus se bâtir sur des secteurs précis comme la politique car la Syrie n'a guère d'autres secteurs que celui politique uniquement contrôlé par al-Assad. La contestation s'est plus rapprochée d'une série de revendications déconnectées des structures pré-établies, des structures sociales du pays donc des secteurs existants. 

    Finalement, après ces contres exemples qui nous ont permis d'établir une liste de particularités du pays et de voir que la contestation syrienne s'inscrit dans un cadre assez complexe car empruntant à plusieurs secteurs de la sociologie humaine, il nous maintenant parler du concret...ce qui a entrainé ce mouvement de descente massive dans la rue. 

    Malgré le danger, les syriens ont été, localement dans un premier temps puis nationalement ensuite, des centaines milliers à manifester contre le régime dans une volonté pacifiste. Comment expliquer que les habitants ont été persuadés de la fuite du régime après des manifestations pacifiques alors même qu'ils étaient tout à fait conscient de la brutalité de ce régime et de sa détermination? Pour la majorité des sociologues qui ont pu travaillé "sur le terrain", il s'agit là d'une grande erreur d'interprétation...assez lourde de conséquence, il faut bien l'admettre. Il y a eu un mouvement d'identification aux printemps arabes qui étaient parvenus à renverser des régimes en Tunisie, en Égypte relativement pacifiquement. La population avant la révolte se montrait déjà assez sceptique concernant le régime et n'avait aucune confiance dans les structures politiques et institutionnelles régissant le pays (autre preuve encore qu'il ne peut s'agir d'un choc moral mais qui d'autant plus ambigüe pour saisir les manifestations pacifiques). Sceptique, les populations ont commencé localement a créer des zones de débat. En Syrie, aucun regroupement de plus de trois personnes n'était toléré avant la révolte. Ces zones de débat ont donc été créées dans des espaces non contrôlabes par le régime. Nous reviendrons sur les lieux mêmes ultérieurement. Toujours est-il que c'est grâce à ces lieux (parfois virtuels) que le débat syrien est né. Les échanges internet ont permis de voir le résultat d'autres soulèvements. Non pas que la population syrienne soit idiote mais elle s'est logiquement et dans l'enthousiasme assimilée à ces révoltes et identifiées aux populations égyptiennes et tunisiennes. La réaction du régime a bien montré l'entendue de l'erreur commise par le peuple. Cette erreur est un élément clef de la contestation et les trois ans de crise passés ont permis de voir et de comprendre que jamais le régime n'aurait pu chuter à la suite de révolutions pacifiques alors même qu'il ne chute après trois ans de guerre acharnée contre plus de 600 groupes armés syriens et djihadistes. 

    Pour comprendre la révolution, il faut aussi comprendre qu'une mobilisation en Syrie est quelque chose d'interdit et que cette mobilisation, pour prendre une échelle nationale a dû trouver des lieux et des personnes pour se former un socle. 

    Cela m'ammène donc à parler des lieux. D'où sont parties les manifestations. Elles sont étrangement parties des mosquées alors même que la population religieuse est souvent restée très fidèle à Bachar. La mosquée, dans le monde syrien est le seul lieu où le régime ne peut pas interdire le rassemblement tous les vendredis de plusieurs centaines d'hommes venus prier. La mosquée est donc rapidement venue vecteur majeur de rassemblement discret. La contestaiton est aussi partie de quartiers dit nouveaux quartiers autoconstruits qui ne sont pas des ghettos sociaux ou des bidonvilles mais de beaux quartiers où la pression policière classique des grandes villes était beaucoup moindre. Leurs petites rues permettaient des fuites plus simples et une tracabilité beaucoup plus difficile pour les forces de l'ordre. 

    Ce facteur de rassemblement dans des lieux précis fait de la révolution syrienne tout sauf une révolution étudiable grâce à une carte catégorique ciblant telle ou telle ethnie ou quartier rassemblent des populations précises. La genèse de la révolution syrienne n'a jamais été confessionnelle, ethnique, tribale... Les lieux sont donc des endroits clefs de cette genèse d'une guerre civile mais difficile à interpréter à cause de leur éclatement géographique. 

    Le deuxième point que j'aborderais est: qui mobilise et qui est mobilisé? Il s'agit bien entendu de parler des réseaux. Ces réseaux ont été des vecteurs essentiels des révolutions arabes. Facebook, twitter ou ask ont toujours permis l'embrigadement par les islamistes ou l'émergence de revendications populaires quand les journalistes ne pouvaient les transmettre. En Syrie, les réseaux dit faibles ne pouvaient fonctionner, beaucoup surveillés par la police et la tracabilité beaucoup trop grande. La population s'est distinguée par deux pôles extrêmes: l'anonymat total pour lancer une manifestation (un membre se lève, crie Allâh Akbar et tous suivent) ou bien les groupes très serrés de dix à quinze personnes maximales dont la confiance du souvent à une scolarité commune ou un voisinage sur le long terme permet la mise en commun d'avis francs et la création d'espaces de discussion. 

     

    Pour conclure, nous pouvons aussi nous interroger sur l'aspect de nationalisation de la contestation. Sans pousser la réflexion, il serait bon se demander comment, si tous les réseaux dit faibles étaient sous contrôle du régime, la contestation a pu gagner la Syrie en si peu de temps. Les moyens de communication ont été beaucoup utilisés ainsi que la synchronisation. C'est donc par des moyens virtuels que le message est passé et les slogans pouvaient être choisis par des votes sur de platesformes de discussion nationale mais souples donc pas centrées. Ces formes de coordination décentralisées ont très vite échappé au régime sur le modèle afghan: l'imbroglio total fait que les instances dirigeantes se perdre à vouloir tout contrôler suite à la multiplication des platesformes d'échange. 

    La forme prise pour l'organisation est donc tout à fait rationnelle lorsque l'on prend en compte la pression policière pesant sur la population avant la révolte. 

    Ces manifestations pacifiques n'ont pas été prises trop au sérieux par le régime dans les premiers mois, le régime qui a adopté des méthodes de désynchronisation des revendications en travaillant à des échelles locales. Aux revendications morales de reconnaissance du peuple, les émissaires du parti Baath ont répondu par des solutions concrètes: à une demande de transparance du régime, la population s'est retrouvé devant un émissaire proposant une solution radicale au problème d'approvisionnement en eau (problème majeur en Syrie surtout au  nord et dans l'est). 

    On peut le constater aujourd'hui, ces tentatives de mutation en solutions concrètes n'ont pas accroché la population et peu à peu le régime a tenté avec brio cette fois ci de confessionnaliser le conflit en utilisant la fracture bien connue dans le monde de l'Islam : sunnites, chiites. De cette manière le régime a rallier une partie de la population syrienne mais aussi libanaise à sa cause et à obtenu le soutien militaire et économique de voisin tel l'Iran.

     

    A suivre...

     

    Question d'Orient - Le 16 janvier 2014


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  • Liban:

    l'aide militaire et financière de l'Arabie Saoudite via la France...c'est parti

     

    En visite officielle chez le roi Abdallah d'Arabie Saoudite le 29 et 30 décembre dernier, le président français, M. Hollande a renoué avec la monarchie wahhabite, vue comme un pôle de stabilité économique et militaire parmis les pays du Golfe. Alors que sous le quinquénnat de M. Sarkozy, le Qatar était vu comme l'allié de marque la diplomatie française, c'est aujourd'hui en l'Arabie Saoudite que notre président place tous ses espoirs, espoirs surtout économique en raison de multiples contrats devant être négociés. Et celui sur le Liban en fait parti. La convergence de point de vue à Riyad a été immédiate et s'est soldée par un cadeau intermédiaire de la France au Liban avec l'achat pour 3 milliards de dollars (2,2 milliards d'euros) par le roi wahhabite pour supporter l'effort sécuritaire de l'armée libanaise. 

    Acteur de premier plan dans la crise syrienne qui touche le pays de plein fouet avec les flots de réfugiés passant la frontière ou avec l'instabilité politique et sécuritaire du aux appartenances idéologiques, le Liban doit faire face à un certain déchirement entre partis politiques dans lequel la guerre psychologique et parfois meurtière s'affirme de plus en plus. 

    D'après une source proche de l'enquête citée par le quotidien libanais francophone L'Orient-Le Jour, l'accord entre Arabie Saoudite et Liban tendrait à se concrétiser dans les jours à venir. Malgré les vastes critiques notamment dans le parti du 8 Mars, aucun mouvement politique n'a refusé ou condamné clairement l'aide accordée. 

    Ce qui laisse croire que l'accord se concrétise, ce sont les incessants mouvements du général en chef de l'armée libanaise, Jean Kahwan qui revient tout juste de France. En cours d'évalution des besoins militaires de son armée, il n'y a pas de doutes que la France contrôle et joue son rôle dans la transaction précise des pièces. Notre CEMA (chef d'État major des armées françaises) doit quant à lui se rendre dans les jours qui viennent à Beyrouth. 

    Néanmoins, le projet semble peu structuré ou du moins il paraît peu structuré. Aucun plan chronologique, aucun calendrier n'a été fourni mais selon la source de OLJ, les puissances entretiennent la volonté d'un plan mis en application rapidement ce qui explique sûrement les mouvements des hauts responsables militaires. Aucun plan d'attribution non plus n'a été donné, aucune condition idéologique, politique. Les Libanais sont mis ainsi devant leurs responsabilités et l'armée doit évaluer d'elle-même ses besoins pour être efficace dans ses demandes. 

    Ce qui paraît plus taquiner la presse locale est aussi l'absence de procédures formelles établissant les destinataires des cargaisons. On le sait, le Moyen et Proche Orient sont des régions instables où les réseaux font beaucoup le jeu politique et il est arrivé à de multiples reprises que le facteur se trompe de boites aux lettres (en Libye notamment). Il n'y aurait donc aucune disposition spéciale et le gouvernement semble à même de se prendre en charge pour éviter la dispersion des armes et le fait qu'elles viennent nourrir des mouvements sur la liste des organisations terroristes occidentales comme la branche armée du "Hezb". 

    Pour reprendre les mots du président Hollande lors de sa visite, la France ne s'établit pas contre une force quelconque au Moyen-Orient, mais bien pour "l'État libanais, pour tous les Libanais". 

    La mobilisation internationale autour du pays voisin de la Syrie et acteur semi-direct suite à l'implication de certains groupes dans les combats ou suite aux attentats qui ont frappé des fiefs de mouvements politiques ou confessionnels est pleine aux Nations-Unies. L'aide doit se répartir en trois points: 

    -> assistance au pays dans la gestion du flot de réfugiés syriens et dans l'organisation de camps

    -> le soutien direct à l'économie libanaise 

    -> l'aide directe aussi à l'armée pour endiguer le mouvement de dérive sécuritaire qui fait de certaines villes des villes empreintes de psychose. 

     

    Questions d'Orient - Le 15 janvier 2014


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  • Syrie / Irak:

    Da'ech, l'incarnation de l'internationalisation du djihad

     

    Da'ech encore appelé EIIL (État Islamiste en Irak et au Levant) est une création irakienne. Présent depuis le preintemps 2013 sur le théâtre syrien, l'organisation lutte dans une violence extrême aux rebelles de l'ASL. Si l'organisation fait tant parler d'elle ces temps, c'est que ce groupe local au départ est aujourd'hui en mesure d'arborder des intentions de conquête sur tout le Blad al-Cham (territoire de Syrie Palestine). 

    Mardi dernier, EIIL a fait passer un communiqué dans lequel le groupe se promettait d'exterminer tous les noyaux de résistance rebelle pour instaurer un État islamiste, un califat, régit par la charia (la loi islamiste). 

    Actuellement, Da'ech (Dawla islamiyya fi Iraq waChaam => se dit Da'ich en arabe) a réussi à imposer sa tutuelle sur des zones frontalières du pays en crise notamment au nord, devenu une zone de violence et de danger permanent (cf article du 11 janvier 2014). Ce qui a fait la triste renommé des djihadistes de Da'ech c'est leur hyper violence mais c'est aussi la capacité qu'ils ont eu à redonner un élan considérable au groupe, un groupe affaibli depuis 2010 et contenu dans les régions désertiques et rurales d'Irak. Cet élan a été permis par l'internationalisation d'un djihad mineur contre les toutes formes d'impiété (allant des relations sexuelles hors mariage à la consommation de tabac). 

    Le groupe fait aussi parler de lui en Irak actuellement puisque ses milices tiennent depuis le 3 janvier les villes de Ramadi et de Fallouja et mènent des opérations kamikazes contre des postes de police, gouvernementaux ou civils. Da'ech a aussi étendu son aire d'influence au Liban, pays gagné par les conflits idéologiques suite à l'afflux constant de réfugiés du pays voisin. Le 1er janvier, le groupe a réussi son premier attentat dans le pays contre un fief du Hezbollah, parti de lutte libanais chiite combattant aux coté d'al-Assad. 

     

    Mais revenu un petit peu sur l'histoire même du groupe. Sa création est actée du 9 avril 2003. C'est en tous cas à cette date qu'un jordanien, Abou Moussab al-Zarkaoui fonde la branche mésopotamienne d'al-Qaïda. C'est dans un contexte d'insurréction anti-américaine que son groupe se fait un solide nom en Irak et bénéficie d'aides d'Arabie Saoudite, du Yémen, de Jordanie, d'Égypte ou de Libye. 

    Zarkaoui se taille vite une réputation de terreur dans tout le pays ce qui lui vaut un conflit avec le commandement centralisé d'al-Qaïda dont il dépend. Dominique Thomas, spécialiste des mouvements djihadistes à l'EHESS, cité par le Monde explique que son numéro 2, Ayman Al-Zawahiri "remet en cause la stratégie du chaos de Zarkaoui en Irak" en 2006.

    En juin 2006, après que Zarkaoui ait été tué dans un bombardement américain, le groupe passe sous les ordres de Abou Omar al-Baghadi et renomme l'organisation EII (État islamiste en Irak). M. Thomas explique que "Le groupe s'est repositionné sur des bases et un commandement irakien et a connu son apogée en 2008-2009, prenant pied sur l'ensemble du territoire irakien et jusqu'au cœur de la capitale, Bagdad". 

    Et pourtant, grâce à l'armée irakienne soutenue par l'armée US et les milices sunnites sahwas que les États-Unis ont parvenu à rallier au mouvement anti-djihadistes, les moujahidines sont repoussés et en mai 2010, leur commandant est tué dans un bombardement. Comme c'est la caractéristique de ces groupes, l'hydre de Lerne gagne immédiatement une nouvelle tête toujours aussi accueillante: Abou Bakr al-Baghdadi. 

    Suite à la mort en mai 2010 de leur leader, les combattants ont largement perdu du terrain et se sont cantonnés au contrôle partiel de provinces frontalières rurales ou désertiques. C'est dans ce contexte que la guerre en Syrie est rapidement devenue un puissant allié pour se refaire une petite santé extrémiste. 

     

    La guerre contre le dirigeant syrien a permis un afflux sans précédent de combattants vers le groupe. Néanmois, voilà que la cellule Jabhat al-Nostra voit aussi le jour en Syrie en 2012. On pourrait penser que, joint par une idéologique extrémiste, les deux groupes pourraient s'entendre...hé bien non ! Al-Nostra a prêté allégeance dès le printemps 2013 à al-Qaïda devant les ambitions de contrôle de la branche syrienne de La Base par EII. Al-Jolani, le chef d'al-Nostra a rapidement été reconnu par le commandement centralisé d'al-Qaïda comme la branche syrienne car composé majoritairement de syriens et ce même commandement a voulu séparer distinctement EII (Irak) et al-Nostra. "Il y avait un conflit de personnes, de pouvoirs mais aussi d'agenda. Jabhat Al-Nosra voulait conserver un agenda clairement syrien et rester dans la stratégie souterraine de dissimulation du projet d'Etat islamique" note M. Thomas

    Malgré les directives établies par al-Zawihiri, numéro 1 d'al-Qaïda depuis la mort de Ben Laden en 2011, EII ne s'est pas arrêté là et à immédiatement envoyé des hommes armés dans le nord de la Syrie grâce à son contrôle des zones frontalières et à un regain de puissance. La mutualisation des terrains de djihad a donc été très bien exploité par EII et cela s'est traduit par son nouveau nom: État Islamiste en Irak et au Levant. "L'ancrage syrien offre à l'EIIL un accès à la frontière turque, important pour les ravitaillements, et lui permet de mettre la main sur les ressources énergétiques de cette région pétrolière". 

    Abou Mohammed al-Jolani, irakien en charge de la branche syrienne d'EIIL a développé grâce à la terrible guerre civile syrienne une véritable économie de guerre et à bénéficier de financements étrangers... Comprenons par financements étrangers: Arabie Saoudite, Qatar...que les pays occidentaux financent à foison en les déclarant nos meilleurs amis...mais ça il  ne faut pas trop le dire! Toujours est-il que le groupe naissant a internationalisé le djihad et se trouve maintenant en position de force par rapport à al-Nostra avec 5 à 6000 combattants. 

    Alors pourquoi un tel emballement ces derniers temps avec l'ASL? Dans un premier temps, les combattants islamistes ont usé à bon escient de la démagogie avec la population: rations, surêté etc. Bien vite, se sentant pousser des ailes, al-Jolani a prouvé son incapacité à tirer profits des anciennes erreurs et s'est engagé dans une politique de terreur en commettant rapts, exécutions publiques, exactions, pillages, évincements de chefs rebelles reconnus. La population ne pouvait plus se reconnaitre dans la cellule terroriste et depuis janvier, l'ASL combat fermement cette branche devenue pire encore que le régime suite aux exécutions d'enfants de quinze ans sur une place publique pour avoir refusé une tasse de thé gratuite. 

    Le second front actuel est bien sûr l'Irak. Les djihadistes ont profité de la vague de contestation sunnite contre Maliki, le premier ministre, vague partie du démantèlement d'un camp de réfugiés qui servait de base arrière aux organisations terroristes. Grâce aux alliances locales notamment de tribus sunnites, EIIL n'a eu aucun mal à prendre le dessus sur l'armée et les forces gouvernementales et à arracher Ramadi et Fallouja pour déclarer les villes État islamiste. Pourtant, "les combattants de l'EIIL et les tribus locales ne partagent pas la même vision de l'Etat ou de la société. Il y a entre elles une adhésion par pure solidarité contre un même ennemi. Ce sont des allégeances volatiles" explique Dominique Thomas dans le Monde. Et donc c'est ce ancrage local, travaillé depuis la guérilla contre les États-Unis en 2003-2004 que ces villes resteront État islamiste. Les ancrages sont donc fragiles dans leurs bases mais restent détenteurs du pouvoir et de la psychose s'intallant progressivement dans le Blad al-Cham...

     

    Questions d'Orient - Le 12 janvier 2014


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  • Syrie (nord): 

    "Club Med" pour djihadistes

     

    On le dit peut-être pas assez mais le nord du pays en ruine et en guerre civile est sûrement devenu un des lieux les plus dangereux pour les journalistes. Avec l'augmentation des katibas islamistes et des groupes de brigands et mercenaires djihadistes, ces lieux deviennent des pièges terribles dont très peu sont encore ressortis. 

    C'est le cas de Matthew Schrier, un jeune américain de 34 ans. Après avoir étudié le cinéma sans résultat, il a décidé de tenter sa chance comme beaucoup en se faisant photographe de guerre pour vendre ses clichés à des agences américaines. Et pour cela, on lui a proposé de joindre Alep depuis la Turquie. La ville syrienne en ruine se situe à environ une centaine de kilomètre d'une frontière totalement ouverte où transitent tous les combattants de l'ASL mais aussi beaucoup de djihadistes venus du monde entier pour rejoindre des katiba islamistes. Toujours est-il qu'après dix-huit jours dans une cellule locale de résistance, il décide rentrer en Turquie mais son chauffeur se fait attendre et le 31 décembre approchant, il décide de prendre le premier guide venu. A la sortie de la ville rebelle, des hommes dont les visages ont recouvert de foulards noirs l'arrêtent et l'invite à les suivre sur un ton amical pour une vérification. Le jeune homme vient de disparaître du paysage syrien et de tomber dans ce que le journaliste italien Domenico Quirico relâché après cinq mois décrira comme "Le pays du mal". 

    Le cas du jeune homme n'est pas isolé. On peut citer l'enlèvement des journalistes français Edouard Elias ou Dider François aussi enlevés à Alep le 6 juin 2013 ou Nicolas Hénin et Pierre Torres disparu le 22 juin à Rakka. 

    Le cas est alarmant dans la mesure où depuis leur disparition, les ravisseurs n'ont donné aucun signe. Aucun visage, aucune voix, aucun lieux, aucune preuve à mettre sur ces enlèvements, aucune rançon. Aux cris désarmés familiaux ne répond qu'un silence laissant planer toutes les éventualités... 

    La Syrie est devenu le premier conflit où les terres en guerre étaient aussi risqués pour les hommes de l'information. Mais c'est aussi la première fois que les ravisseurs agissent la sorte. 

    Devant cette situation dramatique pour le journalisme de terrain et de guerre, 13 Agences de presse mondiales (dont AFP) ont signé une courrier destiné aux groupes armés où ils s'accordent à dire que le pays est devenu trop dangereux pour envoyer des hommes pour couvrir les jours de guerre. La situation est par ailleurs assez néfaste aux rebelles laics qui ne peuvent que difficilement se faire entendre par les Agences journalistiques ou afficher les revendications et leurs actions. Alors que Genève 2 se rapproche, l'OSDH a arrêté de compter les morts de la guerre, l'imbroglio étant beaucoup trop important sur le terrain pour faire un décompte sérieux. 

    Mais ce sont aussi les humanitaires qui sont touchés (Acted, MSF, CICR), les religieux chrétiens (le père Paolo Dall'Oglio ou les évêques Boulos Yazigi et Yohanna Ibrahim), des milliers de syriens, des soldats gouvernementaux qui sont gardés au chaud pour un futur échange de prisonniers, des notables locaux, des activistes ou des citoyens pour un mauvais regard, un mot dit un peu trop fort ou une cigarette... 

    Le témoignage de Schrier reste majeur pour comprendre l'organisation de ces cellules. Il a été enfermé dans une usine à otage où il s'est trouvé avec vingt-deux autres hommes dans le même cas que lui. La prison avait été sectorialisée suivant les professions, les rôles. Les prisonniers avaient le droit à une minute par jour pour faire les besoins. La minute passée, les hommes étaient battus. C'est ce que Matthew Schrier a appelé le "Club Med" des terroristes. Il a mentionné parmis ses ravisseurs, un jeune garçon de douze ans dont la passion était l'électrocution des prisonniers avec un taser. Trois autres étaient des canadiens anglophones. Les terroristes ont profité de leur état de supériorité pour dévaliser les comptes du jeune homme en achetant sur Ebay, des pièces de voiture ou des smartphones. 

     

    En réalité, derrière tout ces rapts il y a un but économique: un marché de vente en pleine prolifération. Les prisonniers (essentiellement les journalistes) sont revendus. Ils auront déjà été vendus (trahis) par leur chauffeur contre une somme. Si les évasions ont été rares (trois seulement dont Matthew Schrier), les libérations ont été monneyées. On compte ces libérations au nombre de trois, nombre infiniment petit. Il s'agit de l'italien Domenico Quirico, de Pierre Piccinin et de Jonathan Alpeyrie. Les autorités ont divulgé la somme de sa libération: 450 000 dollars selon Le Monde. Alpeyrie s'est d'ailleurs lamenté que la somme était divulguée, déclarant que c'était une incitation aux rapts sachant les sommes engagées, très importantes pour des katibas locales qui ont compris comment bâtir un petit royaume de terreur. 

    L'histoire de Jonathan est aussi édifiante sur la mentalité et l'imbroglio qui règne au sein de ces groupes. L'homme a été capturé à Yabroud le 29 avril de l'année passée par une cellule de brigands djihadistes. Il a été successivement attaché à un lit pendant trois semaines puis attaché à une fenêtre puis on lui a proposé de se convertir à l'islam et les terroristes ont simulé une mise à mort. Soudainement calmés, ces derniers lui ont demandé gentiment des explications sur le fonctionnement d'un apparail détécteur de métaux. En discutant avec ses geôliers, il leur a expliqué qu'il pratiquait le water-polo. Visiblement passionné, le chef lui a demandé de lui apprendre à nager. Le journaliste s'est retrouvé à sauver de la noyade un petit homme dans une eau glacée. Puis on lui a annoncé sa libération, il a été embarqué, s'est retrouvé dans une maison d'un cheikh puis transporté chez un homme d'affaire proche du régime à Damas. Ce dernier l'a enfourné dans un coffre de voiture et l'a transporté à Beyrouth avant de le lâcher devant l'ambassade française de la ville libanaise. Ce qu'il s'est passé en réalité c'est que cet homme, sur les listes noires des occidentaux a racheté le journaliste aux djihadistes. 

    Ces transactions malsaines et étranges transcendent totalement les logiques guerrières et les appartenances guerrières. L'argent fait le tout et des hommes de Damas se trouvent à racheter des prisonniers à des opposants....l'argent servira probablement à acheter quelques kalachnikov. 

    Ce que le Monde décrit comme de "troublants mimétismes" entre les camps sont beaucoup plus concrets qu'on ne le pense. Durant sa capture par Jabhat al-Nostra (le nom fait le reste...) Matthew Schreier a subi le supplice de la falaqa pour avoir essayer de creuser un trou dans sa porte. Le supplice est connu pour être le favori des moukhabarat, les services secrets d'al-Assad et consiste à recevoir 115 coups de cables métalliques sur les pieds. On assiste donc à un transfert des tortures peut-être subies au départ des contestations sur les prisonniers plus faibles. 

     

    Finalement ce qui reste le plus inquiétant est l'imbroglio qui règne dans le pays. Il apparaît que les groupes ne communiquent pas avec les ambassades ou les familles pour des rançons ou pour donner des preuves de vie mais les preneurs d’otages ne parlent pas non plus entre eux. Les questions qui demeurent c'est pourquoi toutes ces absences ou ces mises en scène humiliantes? Peut-être ne savent-ils pas quoi faire de ces centaines de prisonniers qui s'accumulent dans des conditions d'hygiènes effroyables, peut-être travaillent-ils sur la psychose, devenus des créateurs de peur à temps perdu... Décourager les journalistes de venir? Pas très astucieux dans un pays où les preuves journalistiques non intéressées restent les principales preuves concrètes des diverses exactions et revendications... 

    Cette psychose, cette création de groupes dont l'image ternie chaque la rébellion à cause de la férocité déployée est une grande victoire stratégique, politique et géopolitique d'al-Assad. Ces groupes sont à l'image de certaines exactions de son régime donc tout autant condamnable ce qui place l'ASL mais aussi les occidentaux dans une situation de malaise profond quant à un interventionisme ou à une prise d'opinion.

     

    Questions d'Orient - Le 11 janvier 2014


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  • Liban:

    des bombes à la guerre psychologique

     

    Les récents attentats à la bombe qui ont secoué le pays libanais fin décembre, tuant notamment le proche conseil de Saad Hariri ont répandu une psychose dans la population. Une psychose guerrière qu'ont récupéré les réseaux sociaux pour la transformer en une psychose virtuelle, infondée mais bien présente dans les rues de Beyrouth. Comme souvent, les artisans de ces articles à rumeurs maitrisent parfaitement leur sujet et attendent avec patience leur tour pour récupérer les bénéfices de la crainte populaire. 

    Rien de bien créatif là-dedans, beaucoup de déjà vu: l'objectif est de pousser l'ennemi dans une position où il se sent acculé au mur et dans une position de faiblesse qui peut être réelle ou construite de toutes pièces. 

    Si cette psychose et les attentats qui ont ensanglanté le pays fin 2013 sont sans aucun doute liés à la dérive sécuritaire du pays voisin, la Syrie en pleine guerre civile et à l'engagement du Hezbollah aux côtés de Bachar, les dégradations sécuritaires sont incontestablement liées aussi à la crise ministérielle que traverse le pays. Les questions politiques sont animées par la formation d'un cabinet politique ou neutre en cas de non accord des parties (la difficulté étant de faire coexister le Hezbollah et le 14 Mars). 

    De fait, et comme dans beaucoup de guerres qu'elles soient virtuelles ou physiques, les artisans des parties sont toujours plus audacieux et plus forts pour trouver les bons moyens...jusqu'à "hacker" et à pervertir un message transmis sur le compte Twitter de l'ambassade américaine de Beyrouth. Ce dernier incitait les ressortissants américains au Liban à prendre les mesures nécessaires face aux dangers du pays...mais ne laissait en aucun cas planer d'ambiguité sur la question. Récupéré astucieusement, un compte falsifié se faisant passer pour l'ambassade américaine a déclaré: "Messages claiming to be from @usembassybeirutwarning Americans to “avoid crowded places tonight & tomorrow” were NOT issued by the Embassy.", si traduction: ne pas sortir de chez soi pendant deux jours. Ce semblant de glauques prévisions n'a pas tardé à circuler par le bouche-à-oreille, par les "retweet" etc. et l'ambassade américaine a beau eu assurer que ce n'était qu'un hacking, la psychose populaire avait déjà fait son effet.

    Rattaché à l'affaire syrienne des "encagoulés" (cf article du blog à ce sujet), un ingénieux auteur de blog a monté un véritable roman policier à intrigue palpitante déclarant que des miliciens rattachés à al-Qaïda investissent chaque nuit les rues de Beyrouth, transformant l'ambiance de la ville libanaise en une ambiance de ville pakistanaise. Ces blogs, rapidement relayés grâce aux différents contacts et lieux sont issus du parti du "Hezb" (Hezbollah) et n'hésitent pas à prétendre que ces miliciens sont rattachés au Parti du Courant du Futur dirigé par le sunnite Saad Hariri et faisant parti de la mouvance du 14 Mars. 

    Ces incriminations contre les sunnites ou al-Qaïda sont aussi palpables dans les médias qui ont annoncé avant même les expertises, que l'incident ayant ravagé une très vieille bibliothèque à Tripoli il y a une semaine ne peuvent être du qu'à la Qaïda...étant donné que la bibliothèque appartenait à un prêtre chrétien. 

    Aucun résultat n'est clair pour l'instant et il n'est peut-être pas décalé que d'annoncer qu'un tel acte peut être dû à La Base mais ce que les quotidiens libanais et moyen-orientaux reprochent à ce type d'accusations directes est qu'elles agissent telle une souflerie sur un petit foyer de braises dans un contexte de grand incendie politique et confessionnel.

    Attirés par des titres alléchants et des mails envoyés par dizaines de milliers, ce type d'écrits ne peut pas réellement être endiguer lorsqu'il a fait son effet. Les FSI peuvent toujours se démener pour appeler les citoyens à ne pas prêter garde aux rumeurs sur des voitures piégées ou de ne pas "croire" des communiqués officiels, rien n'y fera...déjà parce qu'il est dur dans un pays aussi chaotique de ne pas se référer à des instances officielles comme les comptes twitter accrédités d'un petit V ... ...

    D'une réaction normale, les citoyens semblent donc se laisser impressioner pendant que les artistes attendent de récolter les fruits bien murs d'une population terrorisées qui pourra se mettre entre les mains de n'importe quel protecteur.

    Il suffirait pourtant que notre "blogeur fou" prennent sa retraite en tant qu'écrivain de best seller pour 2014...

     

    Questions d'Orient - Le 09 janvier 2014


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