• Liban:

    terre neutre pour les déclarations iraniennes ?

    Consdiérations sur la question syrienne, iranienne, saoudienne et libanaise suite aux déclarations de l'ambassadeur iranien à Beyrouth, M Abadi.

     

    Début janvier 2014.

    L’arrestation de Maged al-Maged par l’armée libanaise est un coup d’éclat salué de tous, un rayon de soleil pour une armée dans un pays en pleine dérive sécuritaire. L’homme, djihadistes saoudien bien connu et émir des Brigades Abdallah Azzam avait déjà accumulé à son compteur plusieurs attaques au Liban et dans les pays voisins. En arrêtant un tel personnage, le but était clair : aller à la rencontre d’une mine-trésor de renseignements notamment sur une attaque au centre de toutes les discussions : l’explosion à Bir al-Abed contre l’ambassade iranienne. Ce n’était donc pas un petit morceau que le Liban venait d’attraper dans son filet mais voilà…un djihadistes c’est imprévisible. Alors que le pays commençait déjà à être soumis à une pression des pays arabes et de la République islamique d’Iran pour pouvoir bénéficier d’une délégation sécuritaire, l’état physique de l’homme s’est dégradé pour cause d’insuffisance rénane et son cœur à même fini par s’arrêter. Il a surpris tout le monde : personne n’a eu le temps de l’interroger, personne n’a pu ouvrir le coffre au trésor pour comprendre des attaques, en prévoir d’autres et peut-être en empêcher. Le ministère des Affaires étrangères du Liban n’a pas tardé à ce recevoir un message du ministre iranien de la Justice Moustapha Bor Hamdi à son homologue libanais Chakib Cortbaoui, pour demander une présence iranienne dans l'enquête, "étant donné que l'attentat de Bir el-Abed a visé un territoire iranien à Beyrouth". Dans la continuité du message, le ministre iranien des Affaires étrangères a contacté son homologue libanais Adnane Mansour pour féliciter les autorités libanaises de l'exploit sécuritaire que consistait l’arrestation de Maged, lui rappelant la requête iranienne de participer à l'enquête. La requête a été prise en compte par Adnane Mansour qui a pourtant appelé les Iraniens à attendre la décision du ministère de la Justice et du parquet à ce sujet. En Arabie, on ne s’est pas pressé aux portes pour récupérer le corps si bien que le Liban estime que le terroriste devait être enterré sur son sol. En parallèle à l’arrestation, les forces armées libanaises ont été prévenues : les Brigades Azzam n’hésiteront pas à prendre leur revanche. D’autant que nous étions alors au lendemain de l’attentat de Haret Hreik clairement tourné vers le Hezbollah et quelques mois après l’attentat de Bir al-Abed visant l’Iran.

     

    Alors pourquoi terrain d’affrontement entre l’Arabie Saoudite ? Sur fond de conflit syrien, l’Arabie et son collègue qatari sont clairement visés comme étant des soutiens puissants aux groupes rebelles syriens (ASL) voire même aux groupes djihadistes du Jabhat Nusra ou EIIL. Dans un maillage d’alliances complexes dont une partie nous échappe probablement, l’Iran est donc directement en conflit sur la terre syrienne, soutenant financièrement et sûrement militairement via les Pasdarans, le régime d’Assad. Le Liban devient donc le pays où les bombes sont encore la façon modérée de s’exprimer et où la parole diplomatique conserve un poids relatif. Syrie : affrontement direct entre Hezbollah et djihadistes ; Liban : affrontement indirect mais enfin via des attentats que chaque camp voit comme une attaque directe de l’autre. L’Iran, après l’explosion devant son ambassade a immédiatement pointé du doigt l’Arabie Saoudite ce qui a semble-t-il contraint la monarchie wahhabite à abandonner son bébé, sa création syrienne djihadistes : EIIL. M’enfin, le groupe terroriste n’a pas de souci à se faire puisqu’il a su tirer profit dans le temps qui lui était imparti du soutien wahhabite pour être assez puissant maintenant qu’il se trouve seul en scène.    

    Selon les responsables, la lutte contre le terrorisme grandissant à Beyrouth et au Liban (les jurd avec la Syrie étant le lieu de tractations guerrières et d’affrontements meurtriers) nécessite une collaboration avec les services de renseignements des États arabes, de Moscou et de Washington aussi, la Russie et les États-Unis étant déjà engagés dans cette lutte. Les relations étant déjà tellement tendues entre la Russie / l’Iran (soutiens d’Assad) et les monarchies du Golfe (soutiens de la rébellion et sunnites) qu’une telle coopération prête presque à sourire. Nous serions prêts à nous esclaffer : avant de coopérer, il faudrait déjà parler ensemble, à la même table ; de telles discussions sont tout l’enjeu des conférences de négociations sur la Syrie à Montreux. "Le Liban est bel et bien devenu le terrain du combat tacite entre l'Iran et l'Arabie saoudite, ou encore une variante de la crise syrienne", la phrase de ce diplomate résume bien la situation.

     

    Néanmoins, pourrions nous concevoir un moment, un évènement pour une possible ouverture à un dialogue ? Oui ! Et le moment est tout trouvé, c’était aujourd’hui, 35ème anniversaire de la révolution islamique d’Iran ayant amené au pouvoir l’imam Khomeini qui avait au préalable chassé le shah d’Iran.

    Pour célébrer le 35e anniversaire de la révolution iranienne, l'ambassade d'Iran à Beyrouth a organisé une rencontre entre l'ambassadeur Ghadanfar Rokon Abadi et la presse. Une occasion pour les représentants des médias de se rendre à la chancellerie, après le double attentat terroriste qui l'a visée en novembre 2013.

    Les lieux sont devenus une véritable forteresse. Pour reprendre le parallèle énoncé précédemment, cette conférence intervient alors que les pourparlers de Genève II (2ème cession) viennent de reprendre. C’est sur ce sujet brûlant pour un Iran réintroduit dans les relations internationales suite à l’accord P5+1 mais immédiatement stigmatisé par le militantisme anti-Assad et mis sous pression par les puissances occidentales pour savoir l’étendue de son aide à Bachar, que la discussion débute. L'ambassadeur Abadi admet lui-même qu'il ne faut rien attendre des négociations de Genève 2 car même s'il y a un accord, la délégation de l'opposition n'est pas en mesure de l'exécuter sur le terrain qu'elle ne contrôle pas. Bien sûr ces propos, de par leur manque d’objection sont à relativiser néanmoins, ils sont bien la traduction de la mentalité qui règne autour de cette conférence où chacun sait bien que c’est "juste pour la photo" mais où chacun se dit : et si… ?


    Les questions fusent et se murmurent de partout, d'autant que l'ambassade iranienne a été ces derniers temps le théâtre de multiples rencontres entre diplomates iraniens et acteurs majeurs du Moyen-Orient libanais : l'ancien président de la République Amine Gemayel, le leader druze Walid Joumblatt et même l'ancien ministre de l'Intérieur et de la Défense Élias Murr. Ces rencontres, aussi à voir dans leur dimension de médiatisation servent parfaitement l’image de Téhéran et de son ambassadeur qui ne manque pas de rappeler ainsi que le pays perse établit une parole avec toutes les parties libanaises se posant ainsi comme agent neutre dans un Liban chaotique, ambassade iranienne terre où chacun peut se rendre sans se soucier d’une quelconque appartenance politique. "Nous considérons que le seul ennemi est l'entité israélienne car elle viole les droits des Palestiniens et elle est basée sur l'injustice. Mais nous n'avons pas de problèmes avec toutes les autres parties qui peuvent être nos alliés". Dans un discours axé sur des principes d’ouvertures, Rokon Abadi tient tête fièrement face aux journalistes aux questions pièges sur les relations avec « l’ennemi » wahhabite. Le diplomate se montre aussi fier représentant de son État, un État aux principes inchangés dit-il depuis 35 ans : une république qui continue de ne pas intervenir dans les affaires internes des autres pays et son souci est d'assurer la justice, dans le cadre de solutions politiques. C'était donc sa position depuis le début au sujet de la crise syrienne et elle avait même proposé un plan en six points qui prévoyait un cessez-le feu, une réconciliation nationale, un gouvernement de transition, une nouvelle Constitution, des élections présidentielle et législatives. À ce moment-là, ce plan avait été refusé mais plus tard, le secrétaire général des Nations unies avait sollicité l'aide de l'Iran dans le dossier syrien, et la République islamique avait répondu présente pour participer à l’établissement d’une transition politique dans un pays en ruine où se croise les intérêts de presque tous les voisins mais aussi les intérêts de groupes ou États bien au-delà du Proche ou Moyen Orient. "En même temps, notre position était claire.. Il faut cesser d'armer les factions de l'opposition, notamment les takfiristes, et cesser d'envoyer des combattants en Syrie".

    L'ambassadeur n’a pas oublié de rappeler l’exclusion de l’Iran quelques heures avant le début de Genève II, exclusion justifiée par la non-reconnaissance de Genève I alors même que la République islamique n’avait guère participé à cette réunion. "Nul n'a le droit de se comporter ainsi avec nous. Malgré cela, nous avons déclaré notre appui au processus, même si nous ne sommes pas invités à y participer. Car pour nous, il s'agit d'une question de principes, non d'intérêts. Toute notre politique est décidée en fonction des principes sur lesquels est fondée la République islamique. Notre Constitution prévoit ainsi le soutien aux opprimés. Ni au Liban, ni en Syrie, ni ailleurs nous ne cherchons à imposer quoi que ce soit, car ce serait violer les principes de notre Constitution. Mais nous souhaitons aider" a déclaré Abadi.

    Dans son interlocution, il faut relever que toutes les interrogations et précisions apportées par M. Abadi tournaient autour de la question syrienne. Posé en médiateur, ou du moins c’est la position qu’aimerait adopter l’Iran, la question syrienne n’est autre que le voile de la question cruciale : l’Arabie Saoudite et la guerre presque ouverte dont nous avons parlé plus haut, déclarée officieusement par les groupes djihadistes que l’Arabie soutiendrait et le Hezbollah, du moins sa branche armée au Liban. Abadi rappelle que son pays souhaite les meilleures relations avec la maison des Saouds, d'autant qu'elles auraient des conséquences positives pour l'ensemble de la région notamment si Zarif et la monarchie saoudienne parvenait à s’entendre à propos des aides fournit par chacun des deux camps aux camps adversaires en Syrie. C'est vrai que pour l'instant, les appels de l'Iran n'ont pas eu réellement des échos en Arabie, mais la République islamique ne désespère pas d'avoir un jour des réponses positives, pouvant mettre fin à l’aporie des confrontations entre ASL, EIIL, le jabhat nusra et l’armée syrienne arabe. Abadi croit d'ailleurs que ces réponses ne devraient plus trop tarder car il y a déjà des changements, et son pays appelle constamment à la sagesse et à l'adoption de positions rationnelles. "Bien entendu, il faut aussi attendre la visite du président américain à Riyad...". "Au sujet de la déclaration du ministre iranien des AE sur le fait que tous les combattants étrangers doivent se retirer de Syrie qui a été comprise comme une injonction au Hezbollah ", l'ambassadeur répond qu'au contraire "l'idée du Dr Zarif était de se demander pourquoi on insiste sur la présence du Hezbollah, alors qu'on oublie les autres groupes armés qui, selon les rapports de l'ONU, seraient au nombre de 2 000. De plus, la question est la suivante : si le Hezbollah retire ses combattants de Syrie, la crise dans ce pays sera-t-elle terminée ?". Il est très probable que non étant donné les simples animosités et les différences de représentation sur la forme de pouvoir à venir entre les djihadistes irakiens et syriens (EIIL et Nusra) et l’ASL qui prône une transition laïque et démocratique.


    La question qui est bien sûr dans tous les esprits pour l’instant et dont la réponse pourrait tout changer aux tractations de Genève et aux opérations militaires en Syrie : est-il possible qu'un jour l'Iran lâche le président Assad ou le Hezbollah pour les besoins d'un grand compromis international ? La réponse d’Abadi est classique et assez lapidaire : "c'est l'habitude des États-Uni, de lâcher leurs alliés, pas celle de la République islamique. En 35 ans, où l'a-t-elle fait ?". Mais alors pourquoi Téhéran est-il si attaché au pouvoir de celui qui est vu comme le dernier dictateur survivant aux printemps arabes ? La réponse est encore une fois on ne peut plus rationnelle : "Bachar al-Assad est un président élu et une grande partie de son peuple continue à l'appuyer. Lorsque Jeffrey Feltman est venu en Iran (en tant qu'émissaire de l'ONU), il a demandé aux responsables iraniens d'empêcher le président Assad de se présenter à l'élection présidentielle de 2014, et à la question iranienne de savoir pourquoi, il a répondu : parce que, selon nos études, s'il se présente, il sera élu. Comment peut-on dire qu'on est avec la démocratie et empêcher la population de choisir son président ? Enfin, imaginons un peu la Syrie sans Bachar al-Assad. Dans le contexte actuel, ce serait une catastrophe...". Bien sûr, si la réponse est rationnelle et semble convaincante, elle n’en est pas moins discutable et les réseaux sociaux se font bien le relais de cette haine syrienne envers Téhéran et ses paroles tellement rationnelles qu’elles pourraient presque convaincre l’Occident.


    Le mot de la fin M. Abadi ? "Contrairement aux révolutions actuelles, n'a pas vieilli en 35 ans ni dévié de la ligne tracée, et continue d'offrir un modèle islamique rayonnant basé sur les principes". Ne dérogeons pas aux principes qui marchent, la propagande certes légitime comme toute propagande étatique, reste solide mais doit, comme toute propagande fait l’objet d’une vive mise à distance au risque de tomber dans le panneau : non, tout ne va pas bien au Moyen-Orient.

     

    Questions d'Orient - Le 11 février 2014


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  • Iran:

    nouveau...ou pas !

     

    La rencontre et la visite d'inspecteurs de l'AIEA en Iran aujourd'hui s'inscrit dans le carnet de mesures prises pour contrôler le nucléaire d'un pays qui renoue avec l'Occident. Mais il s'agit de renouer avec prudence et chaque visite est un nouveau palier franchi. 

    L'accord passé entre les P5+1 et le pays perse a été un pas immense mais il reste dorénavant à concrétiser le traité par des mesures directes. Néanmoins, notons que l'inspection d'aujourd'hui n'est pas à inscrire dans le cadre de cet accord mais d'une feuille de route établie en novembre. Ses objectifs restent les mêmes. Six étapes sont prévues et à respecter pour Téhéran qui semble se plier aux exigences depuis l'élection de Rohani à l'été 2013. Des questions plus délicates devraient aussi être aborder dans un second temps selon M. Amano, le chef de l'AIEA. Aucune précision n'a été fournie sur les objectifs à remplir mais le porte-parole de l'AIEA,  M. Kamalyandi a affirmé jeudi que la portée de la coopération future possible serait décidée en fonction de l'évaluation rendue par les experts de l'Agence sur les mesures théoriquement votées et leurs applications concrètes en Iran. 

    L'équipe de l'AIEA se serait donc arrêtée dans différents sites aujourd'hui dans le but de lever les doutes de l'Agence mondiale sur l'énergie atomique; puis des discussions ont été entamées, discussions menées et dirigées par l'ambassadeur auprès de l'AIEA, M. Najafi. 

    Un nouvel Iran donc? Il est clair qu'il y a encore quelques mois il était impensable que des inspecteur se rendent légalement et tranquillement sur des sites nucléaires iraniens. Tous ces gages donnés par l'Iran à la communauté internationale après huit années d'isolement et de mesures répressives économiquement et politiquement parlant. Mais selon les experts c'et aussi majoritairement par intérêt qu'agit le pays, dans un pragmatique parfait. En effet, il est difficilement pensable que Rohani change de politique du jour au lendemain. 

    Néanmoins ses efforts sont incontestablement présents et ce dernier en récolte les fruits au bon moment. Ces espoirs d'ouverture et de réintroduction dans les relations internationales permettent aussi à l'Iran de se libérer du joug énorme d'une partie des mesures et des embargos mis en place depuis près de dix ans. De fait, l'économie iranienne va incontestablement mieux et voilà nos investisseurs, MEDEF, chefs d'entreprises qui font leurs bagages en toute hâte; le marché réouvert fait l'objet d'une course contre la montre; à celui qui arrivera le premier ! 

    Un nouvel Iran présenté à Davos par M. Rohani qui empreint sa politique générale (intérieure comme extérieure) d'une volonté d'ouverture à laquelle nous n'étions pas habitués et encore moins les iraniens eux-mêmes. Les chefs des diplomaties iraniennes et américaines se sont beaucoup cotoyés ces temps avec les réunions autour du nucléaire, de la Syrie et les différentes dates du calendrier des mesures du programme nucléaire. Ces rencontres entre M. Kerry et M. Zarif sont (nous pouvons le dire aujourd'hui) historique puisque les relations avaient été rompues avec les Etats-Unis depuis 1980 et l'avènement de Khomeini. M. Zarif a même prétendu qu'une ambassade américaine pourrait être réouverte d'ici peu...chaleurs diplomatiques inattendues. 

    Et le pays et ses dirigeants sont malins et toutes les opérations sont souvent assez bien dirigées pour viser des cibles précises et travailler à la fois sur l'image extérieure que donne l'Iran mais aussi sur les populations locales, ethnies et groupes idéologiques. La reconnaissance de l'holocauste comme "une tragédie cruelle qui ne doit plus se reproduire" par M. Zarif n'est autre qu'une ouverture à la communauté juive d'Iran forte de 8 000 personnes. Intéressant et significatif lorsque l'on sait les relations qu'on put entretenir le pays hébreu et l'empire perse. D'ailleur, les paroles menaçantes et faisant acte d'une destruction prochaine du pays Israël ont subitement été retirées du nouveau discours iranien. 

    M. Rohani et Zarif "ont une vision différente de celle des responsables politiques et idéologiques précédents" selon Alireza Nader, experte au centre de réflexion américain Rand. Néanmoins, cela ne retire en rien les doutes sur les changements majeurs dans les relations géopolitiques tel que la reconnaissance d'Israël ou le soutien actif du pays au groupe Hezbollah sur fond de guerre civile syrienne. D'autant que Rohani reste assez influencé et soutenu par l'ayatollah Khomeini. Sur ce point, la politique intérieure reste assez tendue puisque l'aile dure du régime reste très critique vis-à-vis de la politique du président qu'elle juge trop centrée sur les relations avec Washington. Les ultraconversateurs n'hésitent pas non plus à faire du rentre dedans même avec M. le Président: le président de la télévision d'Etat n'a pas flanché et il a retardé d'une heure une intervention de Rohani sous prétexte que les deux journalistes choisis par le chef de l'Etat n'étaient pas assez dans la mouvance iranienne traditionnelle. 

    Selon M. Afshon Ostovar du CNA (Centre des études stratégiques), organe américain, le gouvernement conduit par Rohani joue sur deux tableaux différents suivant les conjonctures immédiates. "Quand Zarif rejette la négation de l'Holocauste, c'est pour les gouvernements étrangers et leurs opinions publiques. Quad il critique Israël et plus largement le sionisme c'est pour calmer les durs du régime en Iran" affirme-t-il. Le changement serait donc plus superficiel, plus dans le ton que dans le fond et dans l'absolu. Méfiance donc sous-entend-t-on en au lieu.

    Reste aussi qu'en effet, le ton reste le ton et la forme reste la forme...le régime iranien garde son cap. Rohani n'a pas reconnu Israël, il veut maitriser la technique nucléaire (civile au moins), et continue un soutien massif à Bachar al-Assad en Syrie avec des conseils militaires, gardiens de la révolution (Pasdaran) et peut-être des approvisionnements réguliers en armes, munitions et fonds économiques ce qu'a toujours contredit Téhéran. La séparation claire entre les pouvoirs du président Rohani et ceux du Guide suprême de la révolution à savoir Khomeini cause préjudice à la crédibilité du pouvoir puisque Rohani semble tout à fait prêt à s'engager dans une réelle réforme nucléaire mais...il ne décide en rien des grandes orientations sur la politique de l'énergie aux mains de l'ayatollah. Il n'est pas à l'ordre du jour non plus reconnaitre l'état hébreu car "l'antisionisme est dans l'ADN de la République islamique" selon M. Ostovar. 

    Je pense que nous pouvons l'admettre...le changement n'est pas encore maintenant ! 

     

    Questions d'Orient - Le 08 février 2014


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  • Égypte:

    le serpent qui se mordait la queue...

     

    "Moubarak dégage". Ce furent les mots d'une révolte égyptienne, seconde à s'inscrire dans les printemps arabes et déclenchée depuis le 25 janvier 2011. C'est à la puissance de leurs voix et à leur force de conviction que des centaines de milliers d'Égyptiens ont enflammé la place Tahrir. Le pays a soufflé les bougies d'une révolution qui a gagné...une fête terne dans le fond, l'envie et la joie étant un peu nuancées par un sentiment de retour à la case départ.

    La place Tahrir est restée emblématique et nous pouvons en être sûr, elle le restera encore longtemps. Le 25 janvier 2014, une foule massive, digne d'un printemps arabe était rassemblée mais dans l'union, la joie et les valeurs actuelles, ou plutôt la valeur actuelle: le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, l'homme fort l'unique, le seule celui que tous veulent; à quelques exceptions près rien de bien important. En effet, actuellement le pays entier semble s'être levé contre le pouvoir accusé d'être responsable de tous les maux du pays entre 2012 et 2013: les Frères Musulmans, puissante conférie islamiste dont Morsi était élu. Morsi a été le seul président élu démocratiquement en Égypte mais déchu le 3 juillet 2013 par le général puis maréchal Sissi depuis lors au pouvoir. Cet inqilâb (coup d'État en arabe) comme le nomme les partisans fréristes explique la mobilisation croissante de la confrérie et les manifestations contre le pouvoir militaire imposé depuis sept mois par Sissi; des manifestations qui ont fait plus de 1 400 morts dans les rangs islamistes ce qui tend à faire relativiser l'Occident et le Moyen-Orient (un peu moins que l'Occident néanmoins) sur l'avenir et les résultats concrets de la révolte.

    Et pourtant, lorsque l'on voit la ferveur populaire et le consentement réel et voulu à un pouvoir militaire de la part de la population de l'Égypte, on ne peut que se dire que Sissi a gagné la bataille de la légitimité, de la voix stratégique et diplomatique. Sissi a gagné la bataille et il sera élu, comment en douter? Ce n'est pas sa fausse modestie, partie intégrante de cette mise en scène autour du personnage qui pourra nous en faire douter. Sissi a gagné. Le tout est de savoir si nous pourrons dire dans dix ans: en 2013, la démocratie égpytienne semblait reprendre la main, en 2014, elle a été assassinée de nouveau; la démocratie est morte, vive la démocratie... A court terme donc il faut espérer voir le maréchal Sissi user d'un pouvoir qui saurait répandre et déléguer pour rebâtir le pays même si on ne peut contester qu'après un effondrement, une guerre civile, un pays en difficulté économique, une main de fer peut parvenir à restaurer une nation; ce n'est d'ailleurs pas pour rien que Sissi a souvent été comparé au Général de Gaulle au lendemain de mai 1945 dans une France se redécouvrant.

    Se redécouvrir...serait-ce actuellement le but prôné par le soutien à Sissi? Est-ce réellement ce que veulent les Égyptiens? Si la réponse est positive, il semble alors que cette population ait oublié ou ne veuille pas voir que le régime de Sissi réprime certes leurs opposants d'aujourd'hui mais ne fait qu'un remixe d'un régime Moubarak. Bien ou Mal, là n'est pas ma question. Mais force est de constater que les craintes d'un retour à l'État policier ne sont que trop légitimes. Car si la population a tourné son combat contre les Frères Musulmans, déclarés organisation terroriste, la répression a aussi touché des membres de l'opposition laïc militant pour un rôle moindre de l'armée et du pouvoir de Sissi.

    Depuis que le président Morsi a été destitué ce n'est pas simplement les Frères Musulmans qui ont pris un sérieux coup sur la tête avec l'arrestation ou la mort dans les manifestations de chef ou de militants mais c'est tout un pays qui est retombé dans un trou...ce n'est pas encore un gouffre mais l'écart est mince. Des dizaines de policiers ont payé le prix de leur engagement patriotique suite aux attaques d'Ansâr Beït al-Maqdess, groupe djihadiste du Sinaï et suite à la dérive sécuritaire qui imprègne le pays, traduction notamment des revendications communautaristes haineuses traditionnelles faisant de confronter fréristes et coptes.

    Entre temps, la Constitution qui avait été votée et approuvée sous Mohamed Morsi a été modifiée en faveur du nouveau pouvoir. Les élections présidentielles seront organisées dans les trois mois qui viennent ce qui signifient qu'elles interviendront avec les élections législatives. Sur le calendrier cela avantage Abdel Fattah al-Sissi qui n'est encore que ministre de la Défense et chef suprême des armées...m'enfin le président par intérim est inconnu et ne contrôle absolument rien puisque le seul organe qui contrôle du concret est l'armée et l'armée est contrôlée par Sissi. L'armée elle-même est le soutien le plus précieux du maréchal puisqu'elle l'a porté dans la situation actuelle, lui accorde tout son soutien ce qui importe beaucoup sur le moyen et long terme et l'exhorte actuellement à se présenter à la présidence. D'autant que la crainte qu'inspire le maréchal et ses méthodes peu orthodoxes ont écarté de sa route toute potentielle opposition.

    Du point de vue de la politique étrangère, les Frères Musulmans ont vraiment tout perdu puisqu'ils sont activement combattus par la monarchie wahhabite d'Arabie et que les États-Unis voient en Sissi la possibilité d'une stabilité dans la région. Pour cela, la puissance américaine n'hésite pas à financer l'armée même si Obama tend à réduire l'aide économique et à glisser vers une observation passive hésistante face aux changements géopolitiques.

    Alors quoi? Quel avenir pour ce pays, le plus peuplé du monde arabe? Que va devenir la démocratie, lueur d'espoir, moteur d'un mouvement social et démographique sans précédent dans les mondes arabes? Mais surtout, a-t-on là l'exemple parfait à court terme d'un serpent qui se mord la queue et qui est en train de revenir à la case départ, traduction cinglante de l'échec de la révolution?

    Pour cela nous nous baserons sur la confrontation de deux points de vue: celui de M. Mongrenier, chercheur à l'Institut More et collaborateur de Hérodote, revue référence en géopolitique et le point de vue et M. Moreau Defarges membre de l'IFRI (Institut Français de Relations Internationales). Leurs points de vue ne sont pas opposés mais sont différents sur certains points.

    Pour Jean-Sylvestre Mongrenier "il est vrai que la révolution du Nil a été trop vite célébrée et encensée". Selon lui, l'histoire n'a pas encore assez fait son travail pour pouvoir avoir un jugement définitif à l'heure actuel. Les mutations sont encore trop grandes et elles sont clairement visibles au jour le jour. "Il n'y a pas eu de bouleversement d'ensemble de la société politique. L'armée a conservé le pouvoir ultime et les réseaux de l'ancien régime ont pu se reconstituer", admet-il. "Lorsque l'armée a déposé Mohammad Morsi, nombre de ses supports ont affirmé que la révolution continuait. En fait, ce retournement de situation fait penser au retour du même : la continuité prévaut et l'on a le sentiment de revenir au point d'origine ; c'est d'ailleurs le sens premier du mot révolution", estime M. Mongrenier.

    "Non; il ne faut pas oublier que l'Égypte a beaucoup de problèmes économiques et sociaux, notamment, et que la démocratie ne se réalise pas en un seul jour". Cette vision un petit peu plus catégorique appartient à M. Defarges qui estime que l'on peut repartir de rien et construire tout en si peu de temps. La vision au long terme est donc essentielle et nos jugements ne peuvent être aussi attifs. Les communautarismes exacerbés menant à des tensions physiques et violentes doivent s'estomper puisque le pays est multiconfessionnel et que chaque pan de la population (laïcs, démocrates, libéraux) se sont montrés tout à fait incapable dans le laps de temps qu'il leur a été laissé de gérer le pays. "Mais je ne pense pas que ce soit l'échec de la révolution égyptienne. Nous ne pouvons pas demander à une société de s'organiser rapidement après des décennies d'autoritarisme. Le processus d'apprentissage à la démocratie exige du temps. Si les civils assuraient le pouvoir immédiatement, cela pourrait se passer bien plus mal que prévu", insiste monsieur Defarges.


    "Dans le cas de l'Égypte, à l'instar d'autres parties du monde arabe et musulman, il ne faut pas identifier laïc et civil", relativise néanmoins M. Mongrenier. Les Frères Musulmans incarnent quelque part la puissance civile face aux militaires et à leur pouvoir puisqu'ils contrôlent l'Égypte mais à la différence qu'ils représentent une puissance non laïque. "Du temps de Moubarak, ce sont les Frères Musulmans et leur action dans la société qui constituaient une large part de la société civile. Entre deux phases répressives, les nassérides ont entretenu des relations ambivalentes avec la confrérie. Pourvu qu'elle ne conteste pas frontalement leur monopole sur le pouvoir politique, ils la laissaient prendre en charge les questions sociales et mener ses activités caritatives", rajoute M. Mongrenier. Ces relations ambivalentes et ambigües expliquent pourquoi les Frères musulmans, début 2011, n'étaient pas aux avant-postes de la contestation.
    "Une partie des forces laïques en Égypte et dans le monde arabe, demeure marquée par des thématiques gauchisantes héritées des années 1970. En regard des problématiques socioéconomiques et des enjeux géopolitiques contemporains, ces thématiques sont décalées. Il est patent que les solutions et slogans mis en avant ne sont pas opératoires. Initialement, les systèmes autoritaires et patrimoniaux ébranlés par le printemps arabe sont des formules politiques laïques qui, au fil du temps et par la force des choses, ont cherché des accommodements avec l'islam et la charia" ajoute M Mongrenier.

    Par conséquent et pour calmer les ardeurs et les craintes d'un retour à un État policier apparenté à l'État Moubarak qui semblait vaincu, Defarges assure qu'un tel retour n'est pas possible. Le titan a été maté et il est mort. Maintenant, cela n'exclu en rien la possibilité que face à des manquements, des incompétences et des mouvements sociaux de contestation, Sissi applique une répression sans chercher un dialogue.


     Concernant le ou les dangers que l'on pourraient appeler "extérieurs" à la société civile égyptienne même (nous pensons bien sûr à la zone du Sinaï devenue bastion du djihadisme égyptien, Jean-Sylvestre Mongrenier soutient que cette zone est en proie à des formes d'agitation d'actions et de rébellion qui sont composés sur des socles de logiques tribales, islamisme et trafics divers. Ansâr Beït al-Maqdess en est l'exemple probant et l'absence d'informations sur les financements du groupe, ses alliances, ses affinités, ses cibles, ses combattants font de ces sources d'agitation actuellement en position de force et jugées capables de déstabiliser la société des représentations explicites de cette société instable. "Dès le départ des événements en Égypte, les tribus et diverses formes d'islamo-gangstérisme se sont imposées dans ce territoire. L'activisme de ces différents groupes s'est longtemps nourri des trafics avec la bande de Gaza, le pouvoir central égyptien ayant perdu le contrôle de la situation locale, en partie à tout le moins, dès avant la révolution du Nil. Très tôt, certains observateurs parlent du Sinaï comme d'un petit Afghanistan local", affirme M. Mongrenier.
    « Il est aisé de comprendre que ce chaudron infernal est propice au développement du djihadisme international, avec implantation de groupes armés déracinés. Ceux-ci mènent la lutte sur un plan global, leurs objectifs dépassant un cadre territorial bien limité".  Cadre territorial donné au départ étant l'Égypte mais touchant aussi de plein fouet le voisin hébreu Israël recevant régulièrement des roquettes des terres montagneuses voisines et préoccupé par cette dérive sécuritaire massive dans une zone importante géopolitique et historiquement. D'après M. Mongrenier, "la coopération sécuritaire israélo-égyptienne repose donc sur des intérêts réciproques : le pouvoir militaire égyptien est la cible première de l'islamo-terrorisme".


    Pour M. Defarges, l'interrogation majeure sur la zone doit porter sur l'état actuel de l'islamisme extrémisme dont les variables géostratégique sont inconnues. La culture du mystère autour de ces nouvelles menaces fait de ces groupes des fantômes (aucun archétype du terroriste du Sinaï à rechercher) et rend difficile l'évaluation des forces en présence. "S'ils sont dans une situation difficile, les extrémistes peuvent être tentés de créer des forteresses ; des zones d'insécurité où ils instaureront des États islamiques. Et de ce point de vue, le Sinaï est idéal. La péninsule serait alors un piège pour les armées israélienne et égyptienne " explique l'expert. Au cas où un repli stratégique du groupe interviendrait dans le Sinaï pour faire de la zone frontalière un endroit de djihad montagnard, Le Caire devrait pouvoir s'appuyer sur l'Arabie Saoudite et les États-Unis, alliés de marque multipliant les signes de soutien.

    « L'Arabie saoudite soutient largement, sur les plans politique et financier, le pouvoir militaire qui a évincé Mohammad Morsi et les Frères musulmans. À Riyad, le républicanisme de la confrérie, son prosélytisme et son militantisme sont perçus comme autant de menaces", affirme M. Mongrenier. "Plus largement, Riyad orchestre une sorte de contre-révolution régionale, et ce depuis le golfe Arabo-Persique jusqu'aux rives de la Méditerranée orientale, voire jusqu'aux côtes atlantiques du Maroc. L'idée étant de consolider la monarchie wahhabite face à la version locale des Frères et à une possible sédition. On comprend ici que les lignes d'affrontement doivent être saisies selon différents ordres de grandeur. Autrement dit, le choc entre militaires et islamistes égyptiens renvoie à d'autres niveaux d'analyse. Il faut prendre en compte le jeu de l'Arabie saoudite, simultanément engagée sur le front d'une lutte contre la confrérie et les forces dites révolutionnaires, à l'intérieur du monde sunnite, et contre le régime iranien qui anime une sorte d'arc chiite au Moyen-Orient », ajoute M. Mongrenier.

    L'Arabie Saoudite est dans une situation très grave économiquement parlant notamment selon M. Defarges: "L'économie du royaume éprouve de grandes difficultés, surtout avec le chômage des jeunes. Le régime de Riyad ne sait pas se réformer, car la réforme implique nécessairement de mettre fin aux privilèges de la tribu royale". Par conséquent, d'un point de vue géopolitique, l'objectif final de la monarchie wahhabite en soutenant Sissi et les adversaires des Frères n'est pas simplement d'évincer une menace pour la stabilité de l'Égypte mais aussi et surtout d'assurer la stabilité économique, politique et sociale dans le royaume saoudien. La maison des Saouds a donc tout intérêt à descendre indirectement l'organisation islamiste en soutenant Fattah al-Sissi.

    Et les US? Nous avons dit au départ qu'il s'agissait là d'un allié de marque ça c'est sûr mais aussi d'un allié traditionnel. Mais cela reste à nuancé. La méfiance reste de mise depuis le bureau oval et rien n'est réellement fixé dans la politique américaine vis-à-vis de l'Égypte. L'administration Obama a déjà suspendu ou du moins largement diminué ses aides au pouvoir militaire et se tient comme observateur passif. "Faute de tierce force entre militaires et islamistes, les Américains ont un temps cru pouvoir insérer les Frères musulmans dans le jeu politique et favoriser l'émergence d'un islam de marché. Désormais, Washington estime qu'il n'a pas de réelle prise sur les événements et qu'il vaut donc mieux se tenir à distance (...). Cela n'implique pas un retrait pur et simple de la région et la renonciation à toute influence, estime toutefois M. Mongrenier. « Tout en conservant des points d'appui, des alliances et des portes ouvertes, les Américains cherchent cependant à éviter le pire (...)", achève l'expert.

    Pour Moreau Defarges il y a bien mutations des relations entre les USA et la capitale égyptienne: "Les États-Unis veulent que l'Égypte soit un point d'appui au Moyen-Orient. Néanmoins, l'administration américaine ne peut pas se permettre d'aider un régime despotique (...). À long terme cependant, Le Caire restera un partenaire régional (...) même si les relations se transforment", prétend-il. Le soucis américain aujourd'hui est leur manque de réalisme. Dans ce Blad al-Cham (Syrie, Palestine, Israël, Jordanie) et dans les monarchies du Golfe, les États-Unis ne peuvent plus s'appuyer que sur le pays hébreu. Mince pour une puissance mondiale qui se prétend gendarme du Moyen et Proche Orient. Tout l'intérêt est donc la création d'un maillage géographique solide avec des centres, pôles solides d'appui au cas où et puis pour la vie de tous les jours. "Cela est dû au fait que Washington n'a plus de politique moyen-orientale. Il n'empêche que les États-Unis sont à la recherche d'un nouveau partenaire régional, et celui-ci pourrait bien être l'Iran. Un grand pays, isolé certes mais surtout non arabe. Toutefois, un partenariat avec Téhéran implique un prix à payer : accepter l'Iran comme puissance nucléaire civile, mais également militaire. Ce qui est, pour cette dernière option, inconcevable à Washington. Il faut donc, observer l'évolution des relations entre l'Iran et les États-Unis" estime M. Defarges.

    Complexe géopolitique du Moyen-Orient, tout semble se jouer localement et peu à peu dessiner un maillage de lecture de la géographie résultant des printemps arabes. Rien n'est acquis, tout est en mouvement, tellement en mouvement qu'il faut parfois bien se garder d'émettre des jugements hatifs tant la surprise peut-être grande le lendemain de découvrir l'inverse des prévisions.

     

    Questions d'Orient - Le 06 février 2014


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  • Syrie:

    Jarba à Moscou; bilan et explications

     

    Alors que vendredi dernier s'achevait le premier round de la conférence "de paix" appelée Genève II entre opposants au président al-Assad et délégation du régime de Damas, le leader du CNS (Conseil national syrien) Ahmed Jarba a enchainé son voyage européen avec une visite à M. Lavrov, ministre des Affaires étrangères russe et acteur actif de l'organisation des conférences et du soutien à Damas.

    Pourquoi partir en terres "ennemis" pour un leader d'une opposition de plus en plus acculée et subissant une multiplication des bombardements à l'explosif à Alep notamment ? La réponse est simple: il faut jouer fine lame auprès des Russes qui pourraient bien être l'acteur décisif du conflit étant donné l'influence qu'ils ont sur Assad. Il est possible que si Jarba parvient à long terme à d'attacher Moscou à la cause rebelle modérée, le conflit prenne une tournure toute différente.Assad ne peut effet plus se passer du soutien économique, politique, diplomatique et peut-être militaire de Poutine et des mollahs de Téhéran.

    Peu d'éléments ont filtré après la rencontre des deux opposants mais M. Lavrov a tout de même déclaré: "j'estime que la discussion d'aujourd'hui sera extrêmement utile pour clarifier les approches afin de faire avancer le processus de Genève" via l'agence Interfax.

    Jarba quant à lui a été plus bavard en s'exprimant au micro deGolos Rossii avant la rencontre des deux hommes. Une prise de parole stratégique pour se faire entendre d'un peuple et pour parler au nom d'une Coalition qui a du mal à gagner une aura suffisante pour attirer les attentions de l'Occident. L'accent a été mis sur l'aspect humanitaire, aspect le plus probable de toucher une population et d'avoir une onde de choc suffisante à une possible prise de conscience: 136 000 morts en un peu moins de trois ans, des millions de réfugiés, des villes tombées, des camps de réfugiés dans des conditions effroyables. Jarba n'a néanmoins pas manqué de rappeler ce pourquoi l'opposition était venue et reviendrait à Genève pour négocier. "La principale tâche au prochain round de négociations à Genève est la création en Syrie d'un organe dirigeant de transition", a-t-il dit. Appelant ses "alliés" passifs occidentaux à faire pression sur le régime syrien pour que ce dernier accepte de reconnaitre et de se baser sur le texte de Genève I, Jarba prépare le terrain pour le round suivant des négociations qui aura lieu la semaine prochaine. "Nous voulons en parler en détail et ouvertement avec le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov", a-t-il poursuivi.

    Concernant une possible transition démocratique, espoir qui semble impossible à réaliser pour l'opposition sous pression, le président du CNS indiqué que l'organe démocratique syrien en exil disposait déjà d'une liste de candidats pour ce gouvernement de transition. L'opposition, par le biais de son chef a aussi indiqué être prête à discuter cette liste et à faire "preuve de souplesse" ayant tout à fait conscience que ces propositions devront être acceptées par les deux camps.

    Des pouparlers qui doivent reprendre le 10 février à Montreux sans pour autant que le gouvernement al-Assad n'ait encore indiqué si sa délégation sera présent une seconde fois. Néanmoins, tout le monde s'accorde à dire que personne parmi les deux belligerants n'a intérêt à sembler vouloir se défiler dans une guerre de l'image et de la parole qui s'est jouée à Montreux et qui reprendra de plus belle la semaine prochaine. "Nous n'avons aucun doute sur le fait que la délégation gouvernementale (syrienne) participera au second round de négociations inter-syriennes à Genève", a toutefois assuré mardi le vice-ministre russe des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov, cité par l'agence officielle Itar-Tass.

    Alors que la rencontre entre les deux hommes marquait une pause, M. Jarba a rappelé que l'opposition avait pour sa part "fermement" décidé de participer à cette nouvelle cession de négociations. "Nous avons déjà annoncé notre décision de participer au second round le 10 février", a-t-il déclaré, cité par l'agence officielle Itar-Tass; avant de rajouter que "nous l'avons annoncé en dépit du fait que lors du premier round de négociations inter-syriennes des meurtres à l'aide de barils d'explosifs ont continué à être commis en Syrie". Tous les intérêts sont dans cette conférence pour l'opposition qui n'a d'autre choix que de se saisir de toutes les occasions possibles pour faire bonne figure devant les diplomates onusiens et pour tenter d'acquérir à sa cause les nations fidèles à Bachar al-Assad. On pense bien sûr à la Russie puisqu'il est hors de question encore pour le CNS de devoir négocier avec l'Iran d'autant que le pays de Rohani refuse de reconnaitre les principes de Genève I, principes au fondement même de Genève II... c'est somme toute assez logique ! D'autant que lors d'une conférence de presse à Montreux la semaine passée, Ahmed Jarba a déclaré que M. Lavrov, lui avait dit lors d'une rencontre à Paris que la Russie, soutien indéfectible au régime de Damas, "n''était pas attachée" en soi au président al-Assad. Pourtant...le Kremlin a longtemps martelé que les compositions diplomatiques en cours et à venir ne devaient acceptées un compromis établissant le départ de M. Assad et présentant donc la présence du président syrien comme une condition sine qua none car vu comme un pôle de stabilité.

    Une déclaration qui n'avait pas ravi tout le monde.

     

    Questions d'Orient - Le 04 février 2014


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  • Égypte:

    Ansâr Beït al-Maqdess, l'inconnue X qui fait trembler l'Égypte

     

    Parce que le groupe est inconnu, parce qu'on ne sait guère d'où viennent ses soutiens et parce qu'ils commencent à faire trembler les hauts sphères d'une société égyptienne fragile et en recomposition, le groupe djihadiste Ansâr Beït al-Maqdess fait douter. Pour les spécialistes, le groupe présente des similarités avec Al-Qaïda sans pour autant qu'il y ait de preuves. Pour le nouveau gouvernement du maréchal Sissi, ce groupe est indiscutablement géré par les Frères Musulmans, son ennemi favori dont il a évincé un membre référent, le président Morsi en juillet 2013.

    En moins de deux semaines, le groupe al-Maqdess a proclamé avoir orchestré un attentat à la voiture piégée en plein centre du Caire contre le QG des forces de police, a prétendu que ce sont bien ses membres qui ont assassiné un Général de police entre pleine journée au beau milieu de la capitale égyptienne. Enfin, ce serait aussi le groupe djihadiste qui serait parvenu à abattre un hélicoptère de l'armée tuant ses cinq passagers, il y a deux semaines. Autant dire que pour un groupe "naissant", ils n'y vont pas par quatre chemins. Actuellement, leur cible est connue: les forces de police et les hauts placés en représailles à la répression sanglante d'Abdel Fattah al-Sissi contre les Frères Musulmans depuis la chute de Mohamed Morsi. Le 5 septembre, le ministre de l'intérieur, Mohamed Ibrahim a frôlé la mort dans une attaque et peu après le groupe a prévenu les autorités: "la vengeance arrive".

    David Barnett, chercheur à la Foundation for Defense of Democracies, organisation américaine qualifie le groupe de fantômes et affirme clairement l'incapacité des autorités à se battre contre de l'air, d'autant que les structures sécuritaires du pays ne semblaient pas s'attendre à un "un tel niveau de sophistication qui dépasse les capacités prétendues par les observateurs". Si le maréchal égytpien règne d'une main de fer et semble avoir redressé le pays, Ansâr Beït al-Maqdess semble aujourd'hui détenir les clefs du succès pour ramener le pays à l'État d'insécurité de ces trois dernières années...voir bien pire !

    Bien qu'assimilés à la confrérie frériste aujourd'hui décapitée de ses leaders, le groupe paraît appliquer une stratégie et une idéologie se rapprochant d'al-Qaïda. Sa formation n'est à dater de 2013 puisque le groupe a diffusé son premier communiqué dès le départ de Moubarak en mars 2011. En revanche, après une période de stagnation, le groupe semble avoir rebondi sur l'arrivée au pouvoir de celui dont personne ne doute et celui que personne ne défi et a affiché un regain d'énergie explosif.

    L'association djihadiste semble néanmoins une grande inconnue...quelle composition? quels financements? Pour ce qui est des membres, il semblerait que la majorité des combattants islamiques soient venus des tribus du Sinaï, chef lieu du groupe et territoire d'où ils tirent régulièrement des roquettes sur territoire juif voisin. Pourtant, dans certaines vidéos diffusées par Ansâr Beït al-Maqdess, des images du chef d'al-Qaïda, l’Égyptien Ayman al-Zawahiri font leur apparition laissant penser des contacts réguliers.


    Matthieu Guidère, spécialiste français des mouvements jihadistes, l'attaque à la roquette revendiquée par le groupe samedi dernier contre la station balnéaire israélienne d'Eilat est une traduction précise de l'objectif originel du groupe: "Son objectif premier était d'attaquer Israël et d'empêcher la coopération entre l’Égypte et Israël, notamment en sabotant le gazoduc".  Un objectif qui semble évoluer aussi en fonction des conjonctures géopolitiques puisqu'au moment de l'éviction de Mohamed Morsi et suite à la répression contre les Frères Musulmans qui a suivit, Ansâr Beït al-Maqdess déclare l'armée égyptienne plus mécréante que celle d'Israël. Les attaques se recentrent donc sur le coeur du pays jugé déstructuré par un président mécréant. "A partir de là, Ansâr Beït al-Maqdess, qui affirmait combattre l’État hébreu, devient un groupe jihadiste dont l'action est concentrée contre les forces de sécurité en Égypte", ajoute M. Guidère.

    Selon M. Barnett, les dernières attaques traduisent "que le groupe dispose de combattants expérimentés". Ismaïl Alexandrani, chercheur basé dans le Sinaï rajoute un détail important sur leur origine pouvant expliquer leurs ardeurs au combat et la dévotion avec laquelle il mène ce dernier : "certains ont combattu en Afghanistan, en Syrie et en Bosnie avant de rejoindre le groupe". Il pourrait donc s'agir de moujahidin regorgeant d'expérience et saisissant le prétexte de la destitution de Morsi pour couper court à toute procédure diplomatique ou démocratique et pour affirmer un regain de violence permettant de s'affirmer comme nouveau pôle déstabilisateur de la région.

    Propagande ou non, les jeux diplomatiques sont bien rodés et le vice-ministre de l'Intérieur Chafiq Saïd a affirmé à l'AFP que les autorités avaient arrêté des membres d'Ansâr Beït al-Maqdess. Ces derniers auraient avoué "avoué appartenir aux Frères musulmans".

    "Le gouvernement est tellement engagé dans sa bataille contre les Frères musulmans qu'il semble avoir perdu de vue la vraie bataille qui se déroule sous ses yeux, car un groupe jihadiste capable de mener de telles attaques est un danger réel". Mot de la fin de M. Barnett...pertinent dans la situation de confusion que connait le pays actuellement malgré l'érection de Sissi comme chef ultime voulu par les Égyptiens.

     

    Questions d'Orient - Le 03 février 2014


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