• Syrie: logique et sociologie de la révolte, genèse d'une guerre civile (1/3)

    Syrie:

    logique et sociologie de la révolte, genèse d'une guerre civile (1/3)

     

    Le premier article sera consacré à l'étude de la genèse de la révolte syrienne, ce qui a convaincu les syriens de s'exposer et quelle(s) cause(s) sociologiques ont pu aboutir à une nationalisation du conflit. 

    Une révolte, révolution enfin ce que connait le pays syrien actuellement doit nécessaire être conçu comme une crise discontinue d'un point de vue sociologique. Une telle étude sur les comportements sociaux qui ont pu pousser aux soulèvements doivent prendre en compte les différents temps sociaux de la contestation, des temps sociaux qui ne se valent pas ! C'est bien pour cela qu'il est tout à fait nécessaire de pouvoir mener à bien des enquêtes (tâche que remplissent les gens accrédités sur le terrain) mais aussi de pouvoir s'interroger sur ces phénomènes que notre civilisation occidentale a qualifié de printemps arabes. 

    Alors, si l'on veut comprendre l'actuel enlisement et phénomène de guerre civile meurtière qui anime actuellement le Proche Orient, il faut se demander qu'elle peut être la genèse d'un tel soulèvement, un soulèvement qui a ça de particulier qu'il n'a pas évolué de la même manière qu'en Tunisie ou en Egypte. L'interrogation que l'on retrouve dans la bouche des sociologues experts en la question est: pourquoi descendre dans la rue pacifiquement dans un contexte tel que celui d'une dictature. Cela représentait un véritable pari sans la longévité pour les habitants syriens, un pari osé rarement conçu dans un tel climat de tensions. 

    Si l'on étudie cela sous l'angle du comportement rationnel qui caractérise l'être humain et qui en fait un être différent d'un animal, il n'y a en fait aucune piste réelle. Le pari est extrêmement dangereux, chacun risque à chaque fois de ne pas retrouver son lit le soir alors...pourquoi? L'attitude classique d'une population dans un tel cas est une attitude attentiste pour bénéficier des résultats du combat des autres. En Syrie, si le combat pacifique n'a pas concerné toute la population dans un premier temps, certaines provinces ont quand même vu une part majoritaire de leur population descendre vite dans la rue. C'est notamment le cas du gouvernorat d'Alep. Cela n'est donc pas concevable sous l'angle de la rationnalité humaine. 

    On entend beaucoup parler aussi de la notion sociologique de "choc moral". C'est ce que beaucoup utilisent pour justifier l'entrer en révolution et le passage à la lutte armée. Il s'agirait d'un évènement choquant, surprenant, inattendu. En Syrie, beaucoup ont vu ce choc dans l'arrestation par les moukhabarat de jeunes adolescents torturés à mort pour graffitis anti-régime. Mais ce n'est pas un choc moral car on ne peut admettre que les syriens ont appris quoique ce soit concernant les pratiques de terreurs exercées par le régime. La torture en Syrie était quelque chose "d'admis" et chacun savait pertinemment qu'une séquestration passait par la torture. Cette atrocité de mars 2011 n'a donc pas été une surprise, revanche elle a suscité de l'indignation. 

    Si ce n'est pas cette rupture cognitive appelée choc moral alors comment expliquer le soulèvement? 

    Il est un cas fréquent dans la construction de contestations: l'utilisation de ressources préexistantes dans la société, ressources mobilisables pour construire une base sociale de contestation. Et ce schéma classique est trop classique pour la Syrie. Il ne peut s'y appliquer dans la mesure où il n'a jamais existé sous Bachar al-Assad, d'autres partis ou organisations rassembleuses sous une bannière idéologique. Le régime a beaucoup travaillé là-dessus et il a tellement bien travaillé que ce ne peut être par mobilisation de ressources sociétales. Cela s'est d'ailleurs traduit très vite par un loyalisme sans faille (à quelques exceptions près) des religieux à Bachar. Dans le gouvernorat d'Alep notamment, les religieux n'ont pas suivi les mouvements de contestation et sont restés solidement ancrés au régime. C'est en cela que la Syrie s'est grandement différenciée des autres révolutions en Tunisie ou en Égypte. 

    Est-ce alors le système de solidarité tribale. Il existe dans le nord de la Syrie un réseau de solidarité, des communautés, des 'asabiya. Michel Seurat (mort lors de ses recherches) s'était focalisé sur cette notion d''asabiya et avait montré leur rôle dans certaines révoltes. Mais ici, l'hypothèse ne tient guère. Pour Élisabeth Picard (du CNRS et de IREMAM) qui a travaillé sur l'identité et les questions de sécurité au Proche-Orient arabe, il faut donc relativiser le rôle de ces communautés. 

    Ces ressources auraient-elles pu être créé dans l'action? La question mérite d'être posée mais l'efficacité du régime post révolte mais aussi durant les premiers mois des mobilisations a entravé toute mise en réseau d'un groupe et de revendications diverses. La contestation n'a pu non plus se bâtir sur des secteurs précis comme la politique car la Syrie n'a guère d'autres secteurs que celui politique uniquement contrôlé par al-Assad. La contestation s'est plus rapprochée d'une série de revendications déconnectées des structures pré-établies, des structures sociales du pays donc des secteurs existants. 

    Finalement, après ces contres exemples qui nous ont permis d'établir une liste de particularités du pays et de voir que la contestation syrienne s'inscrit dans un cadre assez complexe car empruntant à plusieurs secteurs de la sociologie humaine, il nous maintenant parler du concret...ce qui a entrainé ce mouvement de descente massive dans la rue. 

    Malgré le danger, les syriens ont été, localement dans un premier temps puis nationalement ensuite, des centaines milliers à manifester contre le régime dans une volonté pacifiste. Comment expliquer que les habitants ont été persuadés de la fuite du régime après des manifestations pacifiques alors même qu'ils étaient tout à fait conscient de la brutalité de ce régime et de sa détermination? Pour la majorité des sociologues qui ont pu travaillé "sur le terrain", il s'agit là d'une grande erreur d'interprétation...assez lourde de conséquence, il faut bien l'admettre. Il y a eu un mouvement d'identification aux printemps arabes qui étaient parvenus à renverser des régimes en Tunisie, en Égypte relativement pacifiquement. La population avant la révolte se montrait déjà assez sceptique concernant le régime et n'avait aucune confiance dans les structures politiques et institutionnelles régissant le pays (autre preuve encore qu'il ne peut s'agir d'un choc moral mais qui d'autant plus ambigüe pour saisir les manifestations pacifiques). Sceptique, les populations ont commencé localement a créer des zones de débat. En Syrie, aucun regroupement de plus de trois personnes n'était toléré avant la révolte. Ces zones de débat ont donc été créées dans des espaces non contrôlabes par le régime. Nous reviendrons sur les lieux mêmes ultérieurement. Toujours est-il que c'est grâce à ces lieux (parfois virtuels) que le débat syrien est né. Les échanges internet ont permis de voir le résultat d'autres soulèvements. Non pas que la population syrienne soit idiote mais elle s'est logiquement et dans l'enthousiasme assimilée à ces révoltes et identifiées aux populations égyptiennes et tunisiennes. La réaction du régime a bien montré l'entendue de l'erreur commise par le peuple. Cette erreur est un élément clef de la contestation et les trois ans de crise passés ont permis de voir et de comprendre que jamais le régime n'aurait pu chuter à la suite de révolutions pacifiques alors même qu'il ne chute après trois ans de guerre acharnée contre plus de 600 groupes armés syriens et djihadistes. 

    Pour comprendre la révolution, il faut aussi comprendre qu'une mobilisation en Syrie est quelque chose d'interdit et que cette mobilisation, pour prendre une échelle nationale a dû trouver des lieux et des personnes pour se former un socle. 

    Cela m'ammène donc à parler des lieux. D'où sont parties les manifestations. Elles sont étrangement parties des mosquées alors même que la population religieuse est souvent restée très fidèle à Bachar. La mosquée, dans le monde syrien est le seul lieu où le régime ne peut pas interdire le rassemblement tous les vendredis de plusieurs centaines d'hommes venus prier. La mosquée est donc rapidement venue vecteur majeur de rassemblement discret. La contestaiton est aussi partie de quartiers dit nouveaux quartiers autoconstruits qui ne sont pas des ghettos sociaux ou des bidonvilles mais de beaux quartiers où la pression policière classique des grandes villes était beaucoup moindre. Leurs petites rues permettaient des fuites plus simples et une tracabilité beaucoup plus difficile pour les forces de l'ordre. 

    Ce facteur de rassemblement dans des lieux précis fait de la révolution syrienne tout sauf une révolution étudiable grâce à une carte catégorique ciblant telle ou telle ethnie ou quartier rassemblent des populations précises. La genèse de la révolution syrienne n'a jamais été confessionnelle, ethnique, tribale... Les lieux sont donc des endroits clefs de cette genèse d'une guerre civile mais difficile à interpréter à cause de leur éclatement géographique. 

    Le deuxième point que j'aborderais est: qui mobilise et qui est mobilisé? Il s'agit bien entendu de parler des réseaux. Ces réseaux ont été des vecteurs essentiels des révolutions arabes. Facebook, twitter ou ask ont toujours permis l'embrigadement par les islamistes ou l'émergence de revendications populaires quand les journalistes ne pouvaient les transmettre. En Syrie, les réseaux dit faibles ne pouvaient fonctionner, beaucoup surveillés par la police et la tracabilité beaucoup trop grande. La population s'est distinguée par deux pôles extrêmes: l'anonymat total pour lancer une manifestation (un membre se lève, crie Allâh Akbar et tous suivent) ou bien les groupes très serrés de dix à quinze personnes maximales dont la confiance du souvent à une scolarité commune ou un voisinage sur le long terme permet la mise en commun d'avis francs et la création d'espaces de discussion. 

     

    Pour conclure, nous pouvons aussi nous interroger sur l'aspect de nationalisation de la contestation. Sans pousser la réflexion, il serait bon se demander comment, si tous les réseaux dit faibles étaient sous contrôle du régime, la contestation a pu gagner la Syrie en si peu de temps. Les moyens de communication ont été beaucoup utilisés ainsi que la synchronisation. C'est donc par des moyens virtuels que le message est passé et les slogans pouvaient être choisis par des votes sur de platesformes de discussion nationale mais souples donc pas centrées. Ces formes de coordination décentralisées ont très vite échappé au régime sur le modèle afghan: l'imbroglio total fait que les instances dirigeantes se perdre à vouloir tout contrôler suite à la multiplication des platesformes d'échange. 

    La forme prise pour l'organisation est donc tout à fait rationnelle lorsque l'on prend en compte la pression policière pesant sur la population avant la révolte. 

    Ces manifestations pacifiques n'ont pas été prises trop au sérieux par le régime dans les premiers mois, le régime qui a adopté des méthodes de désynchronisation des revendications en travaillant à des échelles locales. Aux revendications morales de reconnaissance du peuple, les émissaires du parti Baath ont répondu par des solutions concrètes: à une demande de transparance du régime, la population s'est retrouvé devant un émissaire proposant une solution radicale au problème d'approvisionnement en eau (problème majeur en Syrie surtout au  nord et dans l'est). 

    On peut le constater aujourd'hui, ces tentatives de mutation en solutions concrètes n'ont pas accroché la population et peu à peu le régime a tenté avec brio cette fois ci de confessionnaliser le conflit en utilisant la fracture bien connue dans le monde de l'Islam : sunnites, chiites. De cette manière le régime a rallier une partie de la population syrienne mais aussi libanaise à sa cause et à obtenu le soutien militaire et économique de voisin tel l'Iran.

     

    A suivre...

     

    Question d'Orient - Le 16 janvier 2014


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