• Égypte: la nostalgie du temps passé

    Égypte:

    la nostalgie d'un temps passé

     

    "C’est la profonde ignorance qui inspire le dogmatisme" disait Jean de la Bruyère. Il semblerait que ce soit bien le phénomène qui ronge les université égyptiennes depuis un certain temps, les cours ayant laissé place aux engagements politico-religieux pour faire vivre des partis qui n'existaient pas avant le soulèvement du peuple contre le pouvoir Moubarak.

    Ce qui est frappant quand on parcourt quelques articles de journaux égyptiens et de presses locales c'est la profonde nostalgie de certains face à ces mutations au coeur de l'appareil chargé de former les adultes de demain. Les questions qui émergent pour la génération qui est actuellement celle des professeurs sont: comment les étudiants vivent-ils ces périodes troubles ? Comment appréhendent-ils demain ? Qu'elles peuvent être les ressemblances entre l'université d'hier que ces professeurs ont connu et celle d'aujourd'hui minée par les revendications de tous, et rendue inefficace par les clivages communautaires qui divisent l'Égypte.

    Alors pour rêver encore un peu, on se souvient de ces couloirs d'une université pleinement au service de la patrie (al-watan). On se souvient quand le mot université était celui qui faisait vibrer les jeunes écoliers, quand cette institution était au coeur des parcours de réussite. On se souvient quand les lieux de vie en commun qu'étaient la caféteria, les jardins étaient des lieux de partage tant amicales qu'étudiants pour discuter et réfléchir sur l'avenir. Certains ont aussi en tête les activités sportives et touristiques que proposaient l'université et qui, pour certains étaient aussi le moyen de s'évader vers d'autres lieux qui leur étaient fermés dans une sphère familiale introvertie.

    Je note aussi le regret des professeurs, hier vénérés par leurs étudiants et complices d'ailleurs car ce respect était mutuel et les professeurs ne comptaient guère leur temps quand il s'agissait d'aider ou de discuter avec leurs étudiants. Le professeur était l'homme qui avait réussi, l'homme dont le parcours était à suivre.

    Aujourd'hui, ces hommes tristes de la décadence voient l'université comme le lieu malade du pays et ça n'est d'ailleurs pas complètement faux. Au lieu d'être la figure de l'ouverture du pays à la science, d'être le laboratoire de recherche, fierté d'une patrie, elle est l'arène du combat...mais du vrai combat ! Elle peut être l'arène du mécontentement politique, des clivages religieux mais quand elle devient l'arène des bombes là oui, nous pouvons admettre que son rôle se perd et que son enceinte est pervertie.

    Alors, oui, la bibliothèque, lieu du savoir compilé, les salles de cours et les couloirs se vident de leurs flots d'élèves dans les moments creux. D'autant que, comme le note un certain nombre d'universitaires et de journalistes, la vie universitaire dévie vers d'autres cieux, des cieux bien plus sombres. Les étudiants semblent avoir réinvesti les lieux universitaires pour en faire la facade de leurs manifestations, pour protester ou insulter à tout-va, oubliant et laissant de coté par là le devoir qu'a tout étudiant vis-à-vis de son établissement et vis-à-vis de lui-même. Laissant tomber les bancs de l'université et se laissant tomber lui-même dans des abysses de revendications politico-religieuses, c'est le vivier de l'Égypte de demain qui est en jeu...et nous savons tous ô combien un pays qui sort d'une révolution a besoin du renouvellement des générations pour se structurer !!

    La cause majeure de cette décadence de l'université semble être à lire dans l'inversion des notions notamment due à une confusion entre la formation universitaire, la culture et la religion, cette dernière ayant pris un poids considérable dans l'échiquier des forces en présence depuis la révolution de février 2011 et le retour en force du parti frériste.

    Alors on se retrouve dans une situation où chacun s'essaie à l'argumentation pour défendre son point de vue ou celui de son groupe. La religion contre la démocratie, les Frères contre les laïcs, l'université contre le dogmatisme. Ce sont des notions que certains veulent envisager séparemment les unes des autres car selon eux religion ne doit/peut pas être compatible avec démocratie tandis que d'autres vantent la particularité de la situation égyptienne: en Égypte, la religion c'est plus qu'une simple affaire civilisationnelle, c'est un mode de vie et au vu de la position de la religion dans le pays de Pharaon, la démocratie doit devenir affaire de religion et la religion doit être la parole qui guide l'Égypte vers le futur.

    Je me permettrais de faire part de mes doutes quant aux succès d'une initiative semblable tant cela semble vouer à l'échec. Nous en avons eu l'illustration en Tunisie où le mouvement du rassemblement (Nahda -> Ennahda) n'a pu être assimilé à une civilisation ne voulant ni autoritarisme ni foi.

    Autant dire qu'en Sissi incarnant le renouveau de l'autoritarisme face au terrorisme, et les Frères Musulmans proches d'une doctrine islamiste prônant un pouvoir religieux, rien ne semble coller en Égypte avec les revendications de février 2011. Enterrement des principes d'une révolution ou renouveau pour adaptation aux différentes mouvances qui apparaissent ? Le futur proche devrait parler...

     

    Questions d'Orient  - Le 19 avril 2014


    Tags Tags : , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :