• Syrie: Assad en manque de combattants à la veille de Genève II

    Syrie:

    al-Assad en manque de combattants à la veille de Genève II

     

    Alors que la conférence de Genève II vient d'ouvrir ses portes aux délégations syriennes pro et anti Assad hier et que M. Ban Ki-moon et les ministres des affaires étrangères M. Lavrov et M. Kerry ont inauguré la cérémonie par un discours appelant à prouver au monde entier que malgré les difficultés, la communauté internationale pouvait se mobiliser pour trouver une solution, deux rapports ont été publié dans les deux jours derniers. Les deux pourraient avoir de graves conséquences sur l'attitude adoptée par les membres des délégations pro-Assad. Le premier serait un rapport commandé par le Qatar et donc à prendre avec des pincettes et ferait état de massacre à grande échelle dans les prisons syriennes. Le deuxième est intéressant d'un point de vue géostratégique.

    C'est sur ce rapport que nous allons nous pencher. Il a été relayé par les sites d'informations en ligne du Damas Post mais aussi par All4Syria et indique que le président Assad, chef suprême des armées syriennes a mis en place hier un décret qui "autorise le retour dans l'armée des soldats, sous-officiers et officiers versés à la retraite, ayant démissionné, bénéficié d'une dispense ou mutés à une fonction civile de l'Etat". En ralliant les troupes assadistes, ils pourraient récupérer le grade qu'ils arboraient au moment de leur départ si celui-ci est intervenu depuis moins de 3 ans.

    Ce décret est arrivé en Syrie comme une autorisation et une seconde chance donnée aux anciens ou aux punis mais les sites en question admettent qu'il s'agirait plus d'une mesure d'urgence fasse à la pénurie de troupes de l'armée régulière. Ce déficit vient de plusieurs facteurs. Tout d'abord, l'armée syrienne régulière, d'après les chiffres mis à disposition a subi des pertes énormes dans les combats mais aussi un taux de désertion extrême souvent chez les officiers. Mais aussi parce que le principal allié guerrier des troupes d'Assad était le Hezbollah. Et ce dernier semble commencer à se retirer doucement et discrètement du champ de bataille. Mais pourquoi cet allié chiite de poids se retirerait-il? Tout d'abord parce que lui aussi a subi de très importantes pertes dans les villes syriennes et les attentats. Que ses soldats ont souvent dénoncé un comportement déplacé des militaires syriens, laissant le "Hezb" en première ligne et récoltant des fruits mûrs d'une victoire donc ne se mettant vraiment pas en danger. Il faut rajouter à cela, le procès Hariri qui commence tout juste et dans lequel cinq membres du groupe libanais sont impliqués. Ce procès constitue un poids supplémentaire alors même que le pays libanais est rongé par l'extansion permanente de la guerre syrienne et par une crise politique ministérielle.

    Ce rapport et le décret montre aussi que les mercenaires divers auxquels Al-Assad fait appel constamment dans ces trois ans de guerre n'auront guère fait le poids, ni même les miliciens loyalistes du régime, agents infiltrés et passés maîtres dans l'art de la dénonciation: ce sont les chabbihas. L'armée n'aurait guère su s'appuyer que sur sa garde républicaine et ses forces spéciales, les autres corps comme les Forces de Défense nationale, totalement soumis à un régime en place quel qu'il soit, n'auront pas pu faire la différence. Le rapport montre aussi que les cellules confessionnelles venues d'Irak, du Yémen, du Pakistan ou d'Afghanistan, cellules pour la plupart chiites n'ont pas satisfait l'objectif d'un président Assad qui se serait bien vu comme grand défenseur des minorités (entendons chiites, coptes...).

    Il faudra maintenant compter sur ses anciens, vétérans, officiers ou soldats. Le rapport fait état d'un appel unanime aux militaires ayant commis des fautes graves, ou ayant été placés dans des postes civils en guise de punition ce qui pourrait faire penser que la situation est assez catastrophique, militairement parlant, pour le régime; perte de crédibilité dont ce régime se serait sûrement bien passé quelques jours avec Montreux. Cet appel aux anciens combattants est aussi une manoeuvre habille pour éviter les dépenses extrêmes dans les formations rapides et insuffisantes pour des bataillons de soldats inexpérimentés et décimés rapidement. Les anciens et leur sortie récente (3 ans) font de ceux qui vont revenir, des armes toutes prêtes et toutes formées pour le régime. 

    Ce recrutement dans l'urgence semble accréditer les chiffres qualifiées de "données terrifiantes" sur "la situation militaire du régime" après près de trois ans de guerre civile. Ce rapport a été publié "sous le timbre" de la direction conjointe de l'Armée Syrienne Libre, il est disponible en arabe et en anglais et donne les chiffres suivant estimés à une marge d'erreur de + ou - 5% sachant que l'armée syrienne régulière comptait environ 300 000 hommes au début de la crise syrienne, en mars 2011.

    -> 189 000 (soit 61 % des effectifs de l'armée) le nombre des militaires recherchés par la Sécurité militaire pour défection, désertion ou refus de rejoindre leurs casernes. Il s'agirait de 6 000 officiers, 7 500 sous-officiers et 175 500 hommes de troupes appartenant à toutes les communautés ;
    -> 3 000 le nombre d'officiers déserteurs réfugiés dans des camps spéciaux en Turquie et Jordanie, et 3 700 celui des officiers déserteurs restés en Syrie ou coopérant, sans avoir déserté, avec la révolution ;
    -> 40 000 au maximum (13 % des effectifs de l'armée) le nombre des militaires aptes au combat sur lesquels Bachar al-Assad est en mesure de faire appel avec une totale confiance. Appartenant pour la plupart à la Garde républicaine et aux Forces spéciales, ils sont en majorité membres de la communauté alaouite ;
    -> 38 000 le nombre des militaires présents dans les casernes mais que le régime s'abstient d'engager dans les combats de crainte de les voir déserter. Ils appartiennent eux aussi à toutes les communautés ;
    -> 24 000 le nombre des officiers (70 % de ce corps) n'ayant pas déserté, qui sont majoritairement alaouites ;
    -> 60 000 le nombre des militaires disparus (19 % de l'effectif de l'armée). Certains d'entre eux sont morts et ont été enterrés dans des fosses communes. D'autres sont détenus au secret dans les prisons militaires. Le sort des derniers est inconnu ;
    -> 3 500, dont 145 alaouites, le nombre des officiers détenus dans leurs casernes, en prison ou dans les geôles des services de renseignements pour avoir refusé d'obéir aux ordres d'ouvrir le feu et de tirer sur les civils ;
    -> 4 500 et plus le nombre des sous-officiers de toutes confessions détenus dans les mêmes conditions et pour les mêmes raisons ;
    -> 65 000 le nombre des conscrits et des rappelés détenus dans les prisons militaires pour n'avoir pas répondu aux appels sous les drapeaux ;
    -> 135 000 et plus le nombre des membres de l'armée et des services de sécurité tués depuis le début du conflit. Parmi eux 68 000 (51 % du nombre des victimes) appartenaient à la communauté alaouite ;
    -> 40 à 50 le nombre des militaires de toutes confessions tués chaque jour sous la torture, et inhumés sous de simples numéros dans des fosses communes ;
    -> 125 000 à 130 000 le nombre des militaires, agents des moukhabarat
    , membres des milices populaires ou des chabbiha
    , blessés, estropiés ou invalides. De 90 000 à 100 000, soit autour de 75 % d'entre eux, sont originaires de la région côtière ;
    -> 45 000 au maximum le nombre des hommes actuellement engagés dans l'armée de défense nationale, les comités populaires et les chabbiha, voués à constituer le gros des victimes par manque de formation;
    -> 40 000 et plus le nombre des combattants chiites extrémistes non syriens, rémunérés pour suppléer au déficit en hommes de l'armée régulière. Environ 60 % d'entre eux sont des mercenaires civils, rapidement entrainés. Ils proviennent d'Irak, d'Iran, du Liban et de Syrie même ;
    -> 277 le nombre des appareils de l'armée de l'air abattus, détruits dans leurs hangars ou hors d'usage. Sur 340 chasseurs, bombardiers et hélicoptères en état de voler au début du conflit, seuls 63 le sont encore aujourd'hui. Près de 30 % des 25 avions de transport, hélicoptères non adaptés aux combats et avions de reconnaissance sans pilote, sont actuellement en panne ou hors de service ;
    -> 7 le nombre des aéroports militaires pris par l'Armée libre ou ses alliés, encerclés ou inutilisables. L'un d'entre eux est utilisé comme caserne ;
    -> 2 200 le nombre des chars ou véhicules blindés de divers types partiellement ou totalement détruits. L'armée syrienne possédait 3 600 véhicules de ce type il y a trois ans. Sur les 1 400 qu'il lui reste, 20 % environ sont hors de service, par suite de pannes techniques ou par manque de pièces de rechange ;
    -> 65 % le pourcentage des centres de défense aérienne, de stations de radar et de lance-missiles totalement ou partiellement détruits. Ils sont situés dans les régions nord, est et sud, et autour de la capitale. Les centres situés dans la région centre ont été moins affectés. Ceux situés sur la côte sont tous en état de marche ;
    -> 55 % le pourcentage des forces de la défense aérienne hors service ;
    -> 65 % le pourcentage des édifices militaires détruits en général, y compris les matériels et les équipes ;
    -> 69 % le pourcentage de superficie du territoire national échappant à l'autorité du régime. De ce chiffre, 46 % est totalement passé sous le contrôle de l'Armée syrienne libre, 10 % est contrôlé soit par l'ASL, soit par d'autres forces, et 13 % est contrôlé de jour par le pouvoir et la nuit par l'ASL ;
    -> 65 % à 70 % le pourcentage des édifices sécuritaires détruits ou hors de service. Ce chiffre englobe les bâtiments, les équipements, les matériels, les équipes et les véhicules.

     

    Les chiffres étant fournis par une agence engagée dans le combat et prenant donc parti, sont à prendre avec précaution mais pourraient se situer dans des ordres de grandeur réalistes.

    Le nombre de désertions chez les soldats réaliste humain ou chez les officiers par surprise et dégoût du jeu réel du régime a considérablement affaibli l'armée, décapitant ainsi des unités fortes et organisées mais devenues sans chef, des chefs militaires hauts gradés désormais à la tête de grandes katibas ou brigades (liwâ) dans l'ASL. Ce n'est donc pas avec ces militaires réguliers qu'al-Assad tient mais bien grâce aux mercenaires et aux aides militaires et financements iraniens. Le pays chiite, allié de longue date des Assad a su mobiliser comme il faut des alliés fournissant ainsi des combattants souvent chiites ou des conseillers en stratégie militaires et des financements efficaces à l'armée régulière.

    Cet engagement très productif de l'Iran en terme de durabilité pour le régime Assad et pour le maintien de l'armée dans les noyaux urbains syriennes nécessaires au contrôle des routes et des axes explique les raisons du refus de siéger aux côtés d'une délégation iranienne de la part de l'opposition. Cette dernière avait fixé trois points, conditions sine qua none que devait respecter le pays iranien. Le paysdevait  reconnaître les principes du communiqué de "Genève 1" mais aussi s'engager à ne pas faire perturber les négociations de Genève II  et accepter ce qui pourrait sortir des éventuelles disucssions. Mais ils doivent aussi commencer immédiatement à rappeler les combattants dont ils sont responsables à la fois de la présence en Syrie et des crimes qu'ils commettent, au nom de Bachar al-Assad et à son profit. L'Iran, qui a commencé par refuser les principes de Genève I s'est vu exclure quelques vingt-quatre heures avant le début de la conférence.

     

    Questions d'Orient - Le 22 janvier 2014


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