• Syrie:

    Jarba à Moscou; bilan et explications

     

    Alors que vendredi dernier s'achevait le premier round de la conférence "de paix" appelée Genève II entre opposants au président al-Assad et délégation du régime de Damas, le leader du CNS (Conseil national syrien) Ahmed Jarba a enchainé son voyage européen avec une visite à M. Lavrov, ministre des Affaires étrangères russe et acteur actif de l'organisation des conférences et du soutien à Damas.

    Pourquoi partir en terres "ennemis" pour un leader d'une opposition de plus en plus acculée et subissant une multiplication des bombardements à l'explosif à Alep notamment ? La réponse est simple: il faut jouer fine lame auprès des Russes qui pourraient bien être l'acteur décisif du conflit étant donné l'influence qu'ils ont sur Assad. Il est possible que si Jarba parvient à long terme à d'attacher Moscou à la cause rebelle modérée, le conflit prenne une tournure toute différente.Assad ne peut effet plus se passer du soutien économique, politique, diplomatique et peut-être militaire de Poutine et des mollahs de Téhéran.

    Peu d'éléments ont filtré après la rencontre des deux opposants mais M. Lavrov a tout de même déclaré: "j'estime que la discussion d'aujourd'hui sera extrêmement utile pour clarifier les approches afin de faire avancer le processus de Genève" via l'agence Interfax.

    Jarba quant à lui a été plus bavard en s'exprimant au micro deGolos Rossii avant la rencontre des deux hommes. Une prise de parole stratégique pour se faire entendre d'un peuple et pour parler au nom d'une Coalition qui a du mal à gagner une aura suffisante pour attirer les attentions de l'Occident. L'accent a été mis sur l'aspect humanitaire, aspect le plus probable de toucher une population et d'avoir une onde de choc suffisante à une possible prise de conscience: 136 000 morts en un peu moins de trois ans, des millions de réfugiés, des villes tombées, des camps de réfugiés dans des conditions effroyables. Jarba n'a néanmoins pas manqué de rappeler ce pourquoi l'opposition était venue et reviendrait à Genève pour négocier. "La principale tâche au prochain round de négociations à Genève est la création en Syrie d'un organe dirigeant de transition", a-t-il dit. Appelant ses "alliés" passifs occidentaux à faire pression sur le régime syrien pour que ce dernier accepte de reconnaitre et de se baser sur le texte de Genève I, Jarba prépare le terrain pour le round suivant des négociations qui aura lieu la semaine prochaine. "Nous voulons en parler en détail et ouvertement avec le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov", a-t-il poursuivi.

    Concernant une possible transition démocratique, espoir qui semble impossible à réaliser pour l'opposition sous pression, le président du CNS indiqué que l'organe démocratique syrien en exil disposait déjà d'une liste de candidats pour ce gouvernement de transition. L'opposition, par le biais de son chef a aussi indiqué être prête à discuter cette liste et à faire "preuve de souplesse" ayant tout à fait conscience que ces propositions devront être acceptées par les deux camps.

    Des pouparlers qui doivent reprendre le 10 février à Montreux sans pour autant que le gouvernement al-Assad n'ait encore indiqué si sa délégation sera présent une seconde fois. Néanmoins, tout le monde s'accorde à dire que personne parmi les deux belligerants n'a intérêt à sembler vouloir se défiler dans une guerre de l'image et de la parole qui s'est jouée à Montreux et qui reprendra de plus belle la semaine prochaine. "Nous n'avons aucun doute sur le fait que la délégation gouvernementale (syrienne) participera au second round de négociations inter-syriennes à Genève", a toutefois assuré mardi le vice-ministre russe des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov, cité par l'agence officielle Itar-Tass.

    Alors que la rencontre entre les deux hommes marquait une pause, M. Jarba a rappelé que l'opposition avait pour sa part "fermement" décidé de participer à cette nouvelle cession de négociations. "Nous avons déjà annoncé notre décision de participer au second round le 10 février", a-t-il déclaré, cité par l'agence officielle Itar-Tass; avant de rajouter que "nous l'avons annoncé en dépit du fait que lors du premier round de négociations inter-syriennes des meurtres à l'aide de barils d'explosifs ont continué à être commis en Syrie". Tous les intérêts sont dans cette conférence pour l'opposition qui n'a d'autre choix que de se saisir de toutes les occasions possibles pour faire bonne figure devant les diplomates onusiens et pour tenter d'acquérir à sa cause les nations fidèles à Bachar al-Assad. On pense bien sûr à la Russie puisqu'il est hors de question encore pour le CNS de devoir négocier avec l'Iran d'autant que le pays de Rohani refuse de reconnaitre les principes de Genève I, principes au fondement même de Genève II... c'est somme toute assez logique ! D'autant que lors d'une conférence de presse à Montreux la semaine passée, Ahmed Jarba a déclaré que M. Lavrov, lui avait dit lors d'une rencontre à Paris que la Russie, soutien indéfectible au régime de Damas, "n''était pas attachée" en soi au président al-Assad. Pourtant...le Kremlin a longtemps martelé que les compositions diplomatiques en cours et à venir ne devaient acceptées un compromis établissant le départ de M. Assad et présentant donc la présence du président syrien comme une condition sine qua none car vu comme un pôle de stabilité.

    Une déclaration qui n'avait pas ravi tout le monde.

     

    Questions d'Orient - Le 04 février 2014


    votre commentaire
  • Égypte:

    Ansâr Beït al-Maqdess, l'inconnue X qui fait trembler l'Égypte

     

    Parce que le groupe est inconnu, parce qu'on ne sait guère d'où viennent ses soutiens et parce qu'ils commencent à faire trembler les hauts sphères d'une société égyptienne fragile et en recomposition, le groupe djihadiste Ansâr Beït al-Maqdess fait douter. Pour les spécialistes, le groupe présente des similarités avec Al-Qaïda sans pour autant qu'il y ait de preuves. Pour le nouveau gouvernement du maréchal Sissi, ce groupe est indiscutablement géré par les Frères Musulmans, son ennemi favori dont il a évincé un membre référent, le président Morsi en juillet 2013.

    En moins de deux semaines, le groupe al-Maqdess a proclamé avoir orchestré un attentat à la voiture piégée en plein centre du Caire contre le QG des forces de police, a prétendu que ce sont bien ses membres qui ont assassiné un Général de police entre pleine journée au beau milieu de la capitale égyptienne. Enfin, ce serait aussi le groupe djihadiste qui serait parvenu à abattre un hélicoptère de l'armée tuant ses cinq passagers, il y a deux semaines. Autant dire que pour un groupe "naissant", ils n'y vont pas par quatre chemins. Actuellement, leur cible est connue: les forces de police et les hauts placés en représailles à la répression sanglante d'Abdel Fattah al-Sissi contre les Frères Musulmans depuis la chute de Mohamed Morsi. Le 5 septembre, le ministre de l'intérieur, Mohamed Ibrahim a frôlé la mort dans une attaque et peu après le groupe a prévenu les autorités: "la vengeance arrive".

    David Barnett, chercheur à la Foundation for Defense of Democracies, organisation américaine qualifie le groupe de fantômes et affirme clairement l'incapacité des autorités à se battre contre de l'air, d'autant que les structures sécuritaires du pays ne semblaient pas s'attendre à un "un tel niveau de sophistication qui dépasse les capacités prétendues par les observateurs". Si le maréchal égytpien règne d'une main de fer et semble avoir redressé le pays, Ansâr Beït al-Maqdess semble aujourd'hui détenir les clefs du succès pour ramener le pays à l'État d'insécurité de ces trois dernières années...voir bien pire !

    Bien qu'assimilés à la confrérie frériste aujourd'hui décapitée de ses leaders, le groupe paraît appliquer une stratégie et une idéologie se rapprochant d'al-Qaïda. Sa formation n'est à dater de 2013 puisque le groupe a diffusé son premier communiqué dès le départ de Moubarak en mars 2011. En revanche, après une période de stagnation, le groupe semble avoir rebondi sur l'arrivée au pouvoir de celui dont personne ne doute et celui que personne ne défi et a affiché un regain d'énergie explosif.

    L'association djihadiste semble néanmoins une grande inconnue...quelle composition? quels financements? Pour ce qui est des membres, il semblerait que la majorité des combattants islamiques soient venus des tribus du Sinaï, chef lieu du groupe et territoire d'où ils tirent régulièrement des roquettes sur territoire juif voisin. Pourtant, dans certaines vidéos diffusées par Ansâr Beït al-Maqdess, des images du chef d'al-Qaïda, l’Égyptien Ayman al-Zawahiri font leur apparition laissant penser des contacts réguliers.


    Matthieu Guidère, spécialiste français des mouvements jihadistes, l'attaque à la roquette revendiquée par le groupe samedi dernier contre la station balnéaire israélienne d'Eilat est une traduction précise de l'objectif originel du groupe: "Son objectif premier était d'attaquer Israël et d'empêcher la coopération entre l’Égypte et Israël, notamment en sabotant le gazoduc".  Un objectif qui semble évoluer aussi en fonction des conjonctures géopolitiques puisqu'au moment de l'éviction de Mohamed Morsi et suite à la répression contre les Frères Musulmans qui a suivit, Ansâr Beït al-Maqdess déclare l'armée égyptienne plus mécréante que celle d'Israël. Les attaques se recentrent donc sur le coeur du pays jugé déstructuré par un président mécréant. "A partir de là, Ansâr Beït al-Maqdess, qui affirmait combattre l’État hébreu, devient un groupe jihadiste dont l'action est concentrée contre les forces de sécurité en Égypte", ajoute M. Guidère.

    Selon M. Barnett, les dernières attaques traduisent "que le groupe dispose de combattants expérimentés". Ismaïl Alexandrani, chercheur basé dans le Sinaï rajoute un détail important sur leur origine pouvant expliquer leurs ardeurs au combat et la dévotion avec laquelle il mène ce dernier : "certains ont combattu en Afghanistan, en Syrie et en Bosnie avant de rejoindre le groupe". Il pourrait donc s'agir de moujahidin regorgeant d'expérience et saisissant le prétexte de la destitution de Morsi pour couper court à toute procédure diplomatique ou démocratique et pour affirmer un regain de violence permettant de s'affirmer comme nouveau pôle déstabilisateur de la région.

    Propagande ou non, les jeux diplomatiques sont bien rodés et le vice-ministre de l'Intérieur Chafiq Saïd a affirmé à l'AFP que les autorités avaient arrêté des membres d'Ansâr Beït al-Maqdess. Ces derniers auraient avoué "avoué appartenir aux Frères musulmans".

    "Le gouvernement est tellement engagé dans sa bataille contre les Frères musulmans qu'il semble avoir perdu de vue la vraie bataille qui se déroule sous ses yeux, car un groupe jihadiste capable de mener de telles attaques est un danger réel". Mot de la fin de M. Barnett...pertinent dans la situation de confusion que connait le pays actuellement malgré l'érection de Sissi comme chef ultime voulu par les Égyptiens.

     

    Questions d'Orient - Le 03 février 2014


    votre commentaire
  • Syrie:

    Genève II...et après?

     

    Voilà, c'est fait le premier round des négociations entre la délégation du régime Assad et les membres de l'opposition (CNS) s'est achevé hier soir...sans aucun compromis, rien du tout. Le résultat est donc quasi nul et chacun compte sur la capacité de Genève II à devenir Genève III. Le prochain face-à-face est prévu à partir du 10 février. Mais les délégations accepteront-elles?

    Oui répond le CNS qui a en effet tout intérêt à poursuivre ces discussions pour pousser encore et encore son avantage et pour s'affirmer encore plus sur le devant de la scène internationale parce que ces discussions sont aussi histoire de médiatisation. Toute la semaine, la coalition s'est montrée forte et n'a pas baissé la tête devant ceux qu'ils considèrent comme leurs assassins. Si Ahmad Jarba s'est montré un piètre orateur, ses collègues ont su prendre le relais quand il le fallait et les nerfs n'ont pas surchauffé. "Pour la première fois, le régime syrien a été obligé d'écouter les revendications de son peuple" note avec satisfaction Munzer Akbik, un porte-parole de l'opposition.

    La délégation du régime de Damas s'est montrée assez fébrile et maladroite; plus que ce à quoi l'on s'attendait. La pression mise par l'ONU et les tiraillements entre les impératifs de la diplomatie et leur naturel classique. Leur arogance des premiers jours a été mise à rude épreuve. Cela s'est caractérisé par quelques sorties de pistes qui ont décrédibilisé les paroles de la délégation Mouallem d'où aussi l'importance de la médiatisation des rencontres: Omran Al-Zoabi le ministre de l'information, déclare vendredi que "le pouvoir ne fera aucune concession",  mais quelques heures plus tard, Walid Mouallem, ministre des Affaires étrangères d'Assad ne déplore "le manque de sérieux et de maturité" du CNS. Si Walid Mouallem et la délégation n'a en rien indiqué s'il reviendrait sur les bords du lac Léman, tout le monde s'accorde à dire que dans la bataille médiatique en jeu aucun n'a intérêt à refuser une deuxième rencontre. C'est au premier qui part et nous avons pu nous rendre compte qu'au jeu de la patience, le régime semblait assez tenace.

    Avant de clore la réunion vendredi, l'émissaire international pour l'ONU Lakhdar Brahimi qui a mené l'intégralité des négociations avec un humour et un détachement qui surprend pour un homme de 80 ans, a ennoncé dix points clefs qui selon lui justifieraient de ne rien lâcher et continuer à espérer. Dans ces points, la reconnaissance de Genève I reste clef. "Les deux camps savent qu'ils doivent conclure un accord sur la formation d'une instance de gouvernement transitoire ("TGB", "transitional governing body" en anglais)dotée des pleins pouvoirs", comme le stipule le communiqué Genève I, achevé en juin 2012 suite à un accord russo-américain.

    Si Genève I posait problème c'est aussi parce que le régime n'a jamais vraiment voulu reconnaître ce traité ou a nié les effets qu'il pourrait avoir pour Damas. Néanmoins, sous une pression inévitable durant ces discussions, Mouallem a accepté de discuter ce texte. Pourtant, les informations qui sont sortis des discussions semblent montrer deux adversaires aux revendications et interprétations opposées.

    La délégation de l'opposition menée par Jarba est soutenue par l'occident (si l'on peut parler de soutien) et elle conçoit le TGB comme une entité particulière qui disposerait des pouvoirs du gouvernement et de la présidence ce qui indique une mise à l'écart du président Assad. La délégation de Damas est soutenue concrètement par Moscou et Téhéran mais elle écarte logiquement toutes ces jeux sur les mots. Dans leurs interprétations et leurs conceptions du texte, le TGB peut êtreà la limite un gouvernement d'union incorporant quelques membres de l'opposition au gouvernement mais laissant le pays aux mains de Bachar.

    Pour le prochain round et pour faire face à une stratégie bien huilée du régime de perte de temps de palabres à n'en plus finir, les grands responsables ont décidé de tester de nouvelles méthodes de négociations. Prenant exemple sur le conflit cambodgien car les deux conflits présentent des similitudes (lourdes implicaions de puissances aux échelles régionales, jeu géostratégique des grandes puissances, peuples soumis à une répression du gouvernement), ces négociations devraient être menée suivant trois paliers.

    -> Un dialogue à établir entre syriens c'est-à-dire entre les membres d'un gouvernement contesté et ceux appelés opposition. Contrairement à Genève II, il faudrait que ce dialogue, une fois établit puisse être continu et non sporadique et il devrait être présidé par une personne à haute stature morale. On pense notamment à Kofi Annan longtemps responsable à l'ONU de la Ligue Arabe. Si des discussions sont instaurées, elles devraient l'être sur des sujets temporellement immédiats par exemple des cessez le feu locaux ou des aides humanitaires. Il faut un dialogue sur l'avenir du pays et donc des grandes questions, armatures des négociations: quelle République ? Quelles garanties constitutionnelles pour les minorités religieuses ou ethniques et donc quelle place dans la Syrie de demain dans les institutions nouvelles et leur rôle politique. Cela permettrait une prévention sur des questions laissées de coté par la population égyptienne et qui ont conduit à la dérive sécuritaire et à l'inqilâb de Sissi en juillet 2013; surtout en prenant compte de la mosaïque culturelle et cultuelle que représente la Syrie (70% de la population sunnite + les chiites + les coptes...). Cette question est centrale pour la Syrie et pour répondre aux craintes de minorités comme les alaouites qui seraient probablement plus rassurés si un consensus était établit pour garantir leur droit face aux menaces de vengeance ou de haine confessionnelle.

    -> L'étape deux semble se rapprocher de ce qui a été fait à Genève II. Une conférence internationale permettant le regroupement des pays voisins du pays concerné et pouvant jouer un rôle géopolitique (on pense à l'Iran notamment exclu de la conférence) mais aussi les puissances occidentales et les pays intéressés.

    -> Enfin le troisième point serait de mobiliser un accord sur le modèle du P5+1 et de l'accord sur le nucléaire iranien passé en novembre 2013.Le parallèle entre Iran et Syrien fait parfois frémir et pourtant...il est impossible à éviter, la Syrie étant un espace à huit clos, ring d'affrontement et de regroupement confessionnel des puissances régionales et locales qui veulent se voir attribuer un rôle ou changer un petit peu là géographie et la géopolitique du coin.

     

    Questions d'Orient - Le 01 février 2014


    votre commentaire